Elle fait la manche au marché du samedi matin, entre paroles désobligeantes, voire hargneuses et petites conversations avec les moins rêches des clients, pourchas des flics de la mairie bien occupés à éradiquer la présence Rom de la belle et propre cité (tu parles !) et attitudes diverses des marchands (du geste de refus à la passation d'un petit don en nature). Rosica, la petite trentaine, dodue et rousse sous son foulard coloré, les yeux clairs et le visage rieur, a son petit fan-groupe qui l'alimente, on fait comme on peut, un ou deux euros par ci, un pain par là, une pomme dans les mains de la gamine, une poignée de cerises...

Pendant ces deux années, la Taulière a été "repérée" par Rosica qui l'attend fidèlement devant son stand de légumes habituels... De mon côté, je me suis habituée à cette petite ponction hebdomadaire et nous sommes bien d'accord, Rosica et moi, qu'il y a des samedis où je donne et parfois non, et ma foi ça roule comme ça, dans une micro-économie de personne à personne.

J'ai été jusqu'à aujourd'hui dans la certitude que, pour intéressée que soit Rosica (et on la comprend ! c'est de sa survie qu'il s'agit), elle ne rechignait pas à donner, à sa manière, quelques nouvelles avec deux mots de français, maintenant heureusement secourue par sa fille qui parle un peu mieux. Mais je confesse que ces mots échangés, j'étais sûre que pour elle, c'était en quelque sorte une politesse qu'elle faisait à la monnaie versée et qu'elle n'avait, dans le fond, pas de temps à perdre avec les gens qui ne donnaient rien.

Leçon d'humanité aujourd'hui ! Samedi dernier, Rosica m'a vue avec un plâtre au bras gauche (pansement encombrant suite à opération bénigne). Cet après-midi, dans un tout autre quartier, je suis hélée au passage d'un côté de la rue à l'autre. Rosica et sa fille traversent et me font des signes, s'approchent. Nulle quête ni dans leurs yeux, ni mains tendues. Sourires, désignation du bras, air interrogateur. Rosica veut simplement avoir de mes nouvelles, la petite fille dit "c'est quoi ça ?". Je lui explique "coupé, docteur, quelques jours et ok". Elles me tapotent l'épaule et s'en vont avec de joyeux au-revoirs.

Ce n'est qu'aujourd'hui que je lui ai demandé son prénom et dit le mien. Un peu dure à la détente, la mémé !

La prochaine fois, je demanderai aussi le prénom de la petite et ne pas oublier de lui filer des bouquins. Des fois je me battrais.