... c'est un exercice que la Taulière s'offre régulièrement. Ainsi de ce "Collier..." dont l'orfèvre ne fut pas seulement le joaillier Boehmer pour ce qui concerne le bijou lui-même (authentique création de Boehmer & Bassenge en 178..), mais aussi l'inépuisable Alexandre Dumas, le gars qui écrit avec une truelle surdimensionnée à rubans de dentelle et tire les dialogues non pas à la ligne, mais à la page.

Là où Hugo nous assomme littéralement avec la description de Notre-Dame de Paris, Dumas nous endort dans d'interminables conversations de salon assaisonnées de "Quoi, Madame ? - Ah Sire..." et autres "Par Dieu, Monsieur le Cardinal !!", si bien qu'il faut fuir ces coins du feu sans cesse pour retrouver le chemin de l'intrigue parmi dix intrigues secondaires.

C'est ce qui fait que le gros Dumas père (1) ne sera jamais Balzac, lequel, dans "Illusions Perdues" suivi de "Splendeurs et misères des courtisanes" pour ne citer que ces deux-là, sait à la fois mener cent récits, ne jamais perdre de vue un Vautrin tenu à la laisse courte jusque dans le moindre détail d'un cigare allumé puis jeté dans un mouvement d'humeur, jouer de tous les registres, accents (ridicules parfois), argots peaufinés et discours techniques parfaitement maîtrisés, et nous émouvoir aux larmes pour son anti-héros, le pâle, juvénile, pourri-gâté et évanescent bellâtre de Rubempré. Balzac était un feuilletonniste de génie, et un romancier majeur.

Dumas a ses fans pourtant. Je confesse rester une mordue des Trois Mousquetaires, n'être jamais vraiment revenue d'un pur amour d'enfant pour l'élégant Aramis aux mains pâles et je trouve particulièrement bandante la sanglante et longue vengeance d'Edmond Dantès devenu Comte de Monte-Cristo ("non, j'ai vu monter personne", blague éculée s'il en fût, qui nous faisait esclaffer au collège). Mais j'en connais plus d'un-e, jamais descendu-e-s du fameux cheval jaune de d'Artagnan, qui ont été emporté-e-s par son trot pesant, dès les premières pages des Mousquetaires, vers de copieux sommeils.

Il faut donc une solide obstination (ou l'obligation de garder le lit de temps à autre) pour s'attacher ce lourd collier dans le "goût du temps", au demeurant peu gracieux si ce n'est dans sa reproduction en zircon et rubans bleus, entreposée paraît-il à l'Hôtel de Breteuil, s'il existe. A signaler une version "miniature" (sic) du collier en vente sur internet pour 149 euros, garanti "jamais sorti de la boîte", slogan qui semble directement inspiré de Cagliostro, l'un des protagonistes de cette histoire romanesque à laquelle ne pouvait pas échapper Dumas, ce genre d'épisodes historiques faisant son fonds de commerce. Le site ne dit pas de quelle taille est la miniature, mais comme elle est destinée à un cou de poupée, on peut parier pour un collier de 10 cm linéaires.

Pas grand-chose à dire de ce "Collier de la reine", donc. Il a toutes les qualités - ou tous les défauts - du feuilleton qu'il a d'abord été. A peu près fidèle, dans la trame du récit, à l'épisode de l'escroquerie dont fut victime Marie-Antoinette, laquelle signait "de Lorraine, d'Autriche" et non "de France", détail d'étiquette qui a foutu dedans les faussaires, c'est un bon gros roman parfois indigeste mais qui se lit tout de même, quitte à tourner certaines pages par paquets de vingt pour savoir enfin où est passée l'atroce comtesse de La Motte, répliquée sur la Milady des Mousquetaires : malfaisante vipère, maléfique au possible, Jeanne de La Motte de Valois doit finir marquée, fouettée ou décapitée, ou les trois. On verra.

Qu'est-ce qui tracassait donc ce bon Alexandre, pour inventer ainsi de telles super-femmes diaboliques ? Une consultation à Vienne, quelques décennies plus tard, eût peut-être sauvé le roman français de ces Barbarella en herbe qui sont plutôt des "Reine Noire".

Bref, on l'a refermé, ce "Collier..." et si d'aucun-e-s se demandent bien ce qui passe par la tête de la Taulière pour en faire une note de lecture, voici.

Dans le fatras romanesque de ce bouquin qu'on lit comme on regarde les "Feux de l'Amour" à la télé (on s'emmerde, on sait ce qui va se passer, on est navré par la médiocrité du style et des décors et pourtant on tourne les pages pour se voir confirmer ce qui est déjà téléphoné deux épisodes plus haut), il faut pourtant isoler quelques trouvailles comme les premières pages consacrées à la description de l'interminable et supra-glacial hiver de 1783-84, où le gel prit Paris jusqu'en avril.

Il y avait là, promesse non tenue, quelques intéressantes notations météorologiques, paysagères et botaniques qui se perdent par la suite, l'essentiel des intrigues se déroulant dans les salons, les boudoirs ou dans les allées d'un Versailles sans saveur et sans couleur, sans précipitations ni saisons. Encore une différence avec Balzac - que, pour finir, je devrais arrêter de citer ici en comparaison - dont la Comédie Humaine est une source incroyable de détails carrément encyclopédiques sur la vie rurale, urbaine, la nature, l'architecture, les professions, etc.

Il faut enfin et surtout sauver du "Collier..." cette petite perle poétique, seul et véritable bijou du roman et au fond, seule raison de sa présence dans les notes de lectures de l'Appentis, l'un des rares moments où l'on retrouve le souffle du père Dumas.

Contexte : le comte de Cagliostro (Joseph Balsamo de son vrai nom), récupère une de ses maisons, déserte et abandonnée, pour y loger une jeune femme qui sera l'un des instruments de son modeste projet (nous sommes en 1784) : abattre la royauté d'Europe (so simple !...). La scène se passe lorsqu'il se rend rue Saint-Claude (dans le Marais) pour faire l'état des lieux de cette propriété.

« Le comte arriva, comme nous avons dit, en face de la porte cochère, tira de dessous sa houppelande une grosse clef, broya pour la faire entrer dans la serrure une foule de débris qui s'y étaient réfugiés, poussés par les vents depuis plusieurs années.
La paille sèche, dont un fétu s'était introduit dans l'ogivique (sic) entrée de la serrure, la petite graine, qui courait vers le midi pour devenir une ravenelle ou une mauve, et qui un jour se trouva emprisonnée dans ce sombre réservoir, l'éclat de pierre envolé du bâtiment voisin, les mouches casernées depuis dix ans dans cet hôpital de fer, et dont les cadavres avaient fini par combler la profondeur, tout cela cria et se moulut en poussière sous la pression de la clef. »

Cet orifice empli des fins débris du temps, le bruit infime et parfaitement reconstitué des poussières écrasées, ce "cri" de la serrure, la scène complète enfin, que nous n'avons malheureusement pas le temps de reproduire ici comme aurait écrit ce brave Alex, voilà ce qui sauve les 944 pages du "Collier de la reine" (publié pour la première fois dans La Presse en 1848).

On trouve dans ces quelques pages un perron en ruines, la nature ayant repris ses droits sur les pierres écroulées ; une maison délabrée toute imprégnée de la mémoire de drames anciens, des pièces humides et désertes où se produit pourtant un bruit que d'abord le Comte de Cagliostro n'identifie pas. Comme il n'est pas homme à moitié, il va de pièce en pièce jusqu'à un escalier secret dont il fait jouer l'entrée...

« Mais à peine le comte eût-il posé le pied sur l'escalier secret, que le bruit étrange recommença de se faire entendre. Cagliostro étendit sa main avec sa lanterne pour en découvrir la cause : il ne vit qu'une grosse couleuvre qui descendait lentement l'escalier et fouettait de sa queue chaque marche sonore.
Le reptile attacha tranquillement son oeil noir sur Cagliostro, puis se glissa dans le premier trou de la boiserie et disparut.
Sans doute c'était le génie de la solitude. »

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(1) La Taulière a eu besoin de se rafraîchir la mémoire à propos de Dumas père et/ou fils. Les biographies des deux hommes ont en commun des filiations dignes de leurs romans : la grand-mère de Dumas père était une esclave affranchie de St-Domingue. Quant à lui, il eut en 1824 son premier rejeton (Dumas fils, donc, qu'il traîna un peu à reconnaître) avec... sa voisine de palier, une couturière, et le second avec une dame mariée par ailleurs : ce fut Henry Bauër, né en 1851, écrivain, polémiste, journaliste, qui porta le nom de sa mère et fut officier dans les troupes de la Commune.