Pendant que sur les actus de Google on nous informe d'essentiels tels que "Trump : indignation après un tweet anti-Clinton", des hommes, témoins importants du siècle passé et du début de celui-ci, tirent leur révérence.

Elie Wiesel est parti, avec ses belles indignations et aussi son tournant regrettable du côté des colons israéliens. Une grande voix, des positions inacceptables pour un homme avec un tel parcours de vie.

Compte tenu de l'envergure (politique) de Michel Rocard, pléthore de titres. Marianne, qui publie un entretien de 2015 avec Nicolas Baverez, fait son boulot en publiant une accroche qui fait dire au défunt : "j'ai passé ma vie à faire montre d'un optimisme généreux".

Lecture faite, le pétulant octogénaire fixait tout de même d'étroites limites à son optimisme :

« Du soutien à la décolonisation à mon enthousiasme pour la construction européenne et à mon engagement comme « démarxisateur » de la gauche française – on peut toujours rêver !… -, j’ai passé ma vie à faire montre d’un optimisme généreux ».

Le Monde.fr publie une vidéo (pas vue) et une photo assez émouvante de Rocard et Mitterrand en balade.

Les politiques n'ont pas changé, et ces deux-là étaient déjà, en ce temps-là, de redoutables chiens de meute, de chasse, de tout ce que vous voulez (les dents limées mais la mâchoire brutale), coutumiers de la curée comme du grondement menaçant envers quiconque empiétait sur leur territoire.

Toutefois, on ne verra plus, aujourd'hui, un tel cliché : deux pépères aussi simples, aussi souriants (enfin, Tonton déplie les lèvres), vêtus en M. Tout-le-monde, la casquette vissée sur le crâne, la tenue de vacancier moyen pour Mitterrand et Rocard visiblement en costard sous l'imper (trop long) et les chaussures de marche rutilantes (elles semblent neuves et lui ont peut-être été prêtées...). Enfin, ils se promènent, OK quelqu'un a fait la photo mais ce sentier humide, aujourd'hui ce ne serait pas du tout vendeur ! Et ils ont posé, tranquillement, pour une photo, une seule. Ils satisfont à une obligation, mais ne se mettent pas en scène. Et c'est pas non plus le tee-shirt de pue-la-sueur logoté NYPD de certain agité du jogging public... Ni le ridicule notable de province qu'on nous sort régulièrement, empaqueté, corseté, empoté.

Ajouté un an plus tard en relisant : pourquoi, bon sang, veut-on à tout prix nous cacher que Hollande et Trump avaient quelque chose en commun : tous deux portent une gaine ? C'est tellement visible, tellement grotesque, qu'on ne comprend pas pourquoi la presse, si prompte à déculotter les dames, ne s'y intéresse pas. On a peur de comprendre.

On mesure le changement de mentalité, les années-fric sont passées par là - n'oublions pas que c'est Tonton qui leur a ouvert la porte et servi la soupe - et les années-média aussi, qui ont changé l'angle de vue, qui vont s'amenuisant dans la médiocrité et pipolisent gaiement. C'est pourquoi cette photo, d'une certaine manière, est rafraîchissante.

Quant à Rocard, si de son propre aveu il a fait de la "démarxisation" de la gauche un "engagement", eh ben là, j'sais pas quoi dire.

Yves Bonnefoy a précédé Rocard de peu, je ne sais pas s'il lui a tenu la porte, mais je sais que la poésie de Bonnefoy m'a souvent accompagnée même si je ne possède nul exemplaire de celle-ci.

« Je m’éveillai, c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et à fermer la vague,
L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines crachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait pourtant qu‘elle entrât, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute était déjà l’eau dans la salle.
Je tournai la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ce rire des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais des autres, dans leurs joies. »

« La Maison natale », Yves Bonnefoy