Après la folie furieuse du voile, l'hystérie du burkini.

Oui, folie furieuse, il n'y a pas d'autre mot quand, en 2002 déjà, dans l'établissement où la Taulière avait l'honneur d'exercer certaines responsabilités, le proviseur, pourtant républicain bon teint (et pas de chez Les), nous expliquait en réunion hebdomadaire qu'il fallait surveiller les "jeunes filles qui portent des bandanas dans les cheveux" car nous avions été "alertés par le Rectorat à ce sujet", les jeunes filles en question le portant plus ou moins comme un bandeau, mais parfois un peu large, et donc, assimilable à un foulard, se conformant ainsi discrètement à l'obligation dite coranique de cacher leurs cheveux. Connerie contre connerie.

La Taulière avait demandé à son collègue s'il fallait désormais avoir un pied à coulisses avec soi pour mesurer la largeur dudit bandana, afin de déterminer quand il cessait d'être un bandeau pour devenir "foulard islamique" : 7 centimètres ? 12 ? Son humour n'avait été qu'à moitié goûté et pourtant, c'était là une façon de réagir contre ce qu'elle sentait monter, insidieux mais opiniâtre.

On connaît la suite, n'est-ce pas : loi, pas loi ? Batailles d'universitaires et de journaleux-ses autorisées, finalement loi, conseils de disciplines par charrettes dans les collèges et lycées contre les quelques dizaines de nanas qui avaient plongé la tête la première dans les amples abayas noires et les voiles qui allaient avec. Puis désignation des femmes dans la rue : "les voilées". Puis, la mayonnaise médiatique. Ah ils se vautraient, les plumitifs. L'aurait-on cru que 2m2 de moche polyester pouvaient rapporter autant ? Ca faisait juter l'audimat, et chacun-e d'y aller de son articulet qui restera, croyez-moi, dans les annales du monde et du grand journalisme.

Plus tard, dans un autre établissement (à partir de 2005, en gros), la crispation puis l'intolérance ayant fait leur oeuvre, on ne parlait plus que de ça. Au collège, on regardait les filles du quartier (sensible) uniquement à travers ce prisme : voilée, ou pas ? (voilée, ou plutôt portant le voile, pour éviter cet adjectif imbécile). Voilée en dehors du collège bien sûr, car, à part quelques inconscientes (ou héroïques ?), l'ensemble des filles musulmanes se découvraient en entrant dans l'établissement). Puis la stigmatisation, les vexations et, en retour, l'inévitable escalade d'incivilités et autres actes "dérogatoires au règlement intérieur" commis par les petites nénettes, car, lorsque la cocotte bout, faut bien que la vapeur sorte par quelque part.

Autre chose concernant ces fillettes : imagine-t-on la violente pression qu'elles subissaient deux côtés (école et quartier), les uns dans une rage julesferryste voulant à tout prix que ces gamines renoncent à une partie non négligeable de leur identité (oui, même à corps défendant. Ca peut paraître bizarre, mais c'est ce qu'elles disaient si on les écoutait), de l'autre les grands frères et autres apprentis fondamentalistes qui pourchassaient les filles à coup de "ma soeur tu dois rester pudique" et autres fadaises. C'est déjà pas facile d'être ado, mais l'être dans ce genre d'embrouillamini, je vous le dis, fallait qu'elles soient solides...

Donc, les punitions en rafale, les profs survoltés, tout ce beau monde réputé humaniste se muant en meute aboyante. Puis l'exclusion des mères voilées des sorties scolaires. Puis les protestations de droits-des-femmistes ou prétendues telles, qui s'occupaient exclusivement de libérer la femme musulmane, tandis que chez elles, leurs propres mecs continuaient de leur marcher sur le bide dans tous les domaines : privé, familial, professionnel, public, etc. Mais non, mes soeurs ! Un seul combat : faire tomber le voile. Et repousser les "envahisseurs", clamaient Michèle Vianès (1) et sa clique. Bon. Au moins, là, c'était clair.

Un soir, la Taulière était à la fenêtre de son logement et regardait dans la rue passer en vélo, à toute blinde, une troupe de ces fillettes empaquetées et voilées jusqu'aux yeux (sous Sarko premier, elles auraient pris une amende). Elles fonçaient sur leurs vélos, les abayas et les hijabs volaient loin derrière elles et dévoilaient qui des jambes nues, qui un jean moulant, qui un tee-shirt rose fuchsia, qui la naissance des cheveux... Elles fonçaient à vélo et riaient de toutes leurs belles dents, ivres de liberté.

Oui, de liberté.

C'est de la vision de cette bande de vélocipédistes vives et provocatrices comme les jeunes filles en fleur du petit Marcel, que datent les premières interrogations de la Taulière car, elle n'a pas honte de le dire, lorsque le lavage de cerveau généralisé fait loi - c'est le cas de le dire - et qu'on lit ici et là tout et son contraire, qu'on baigne dans un climat de soi-disant laïcité qui n'est qu'une forme habile d'expressions racistes, eh bien il est difficile de s'y retrouver et de penser droit. Bref, la Taulière a erré, comme nombre de ses contemporains, et a mis du temps à se faire une opinion personnelle. Mais aujourd'hui on ne lui fera plus avaler de couleuvres sur le dos des musulman-e-s de France et d'ailleurs.

Or, aujourd'hui, soit douze ans plus tard, de quoi s'occupent les politiques et la presse en France, entre autres urgences ? De femmes qui, autrement, n'auraient jamais eu la possibilité de goûter la fraîcheur de l'eau, et le font dans un costume certes à nos yeux ridicule et manifestant d'interdits d'un autre âge, mais qui leur permet, à elles, d'y aller, dans l'eau, sans enfreindre leurs propres limites culturelles et religieuses. Bref, rien de plus brûlant comme dossiers ?

Eh bien, c'est fini les filles ! Séchez-vous et rentrez chez vous ! Dans quelques communes du Sud - et gageons qu'il y aura des émules en pagaïe, maintenant que Valls leur donne son aval à visées exclusivement électoralistes - les premières amendes sont tombées, les plages sont foulées par des bleus qui s'emmerdent visiblement et ont chaud (bien fait, fallait choisir un autre taf) et traquent, dans une version quasi symétrique au scénar du fameux "Gendarme de St-Trop'", cette fois non les nudistes mais les trop habillées... On rirait si c'était pas si dérisoirement triste.

J'espère que nombre de femmes en burkini leur feront la nique en pirouettant dans la baille depuis la ligne des 20 mètres. Voir si les flicards vont mouiller l'uniforme pour aller ramener les contrevenantes sur le sable.

Nous demeurerons donc, fier pays des droits de l'homme, affalés dans notre connerie abyssale, continuant la chasse policière pour interdire aux femmes de se baigner vêtues comme elles le veulent. De fait, A LEUR INTERDIRE DE SE BAIGNER.

Ah bon ? Ce ne sont pas elles qui veulent s'habiller ainsi ? Et alors ? Un jour elles voudront, je vous le dis. A sentir l'eau fraîche courir sur leur peau et l'apesanteur de la baignade les porter dans le bien-être, un jour elles en voudront plus et laisseront tomber, une à une, ces pièces de vêtements. Un jour leurs filles rigoleront, en bikini, de cette époque où leurs mères se vêtaient comme les catolles du 19e siècle sur les plages normandes. Entre temps, juste, foutez-leur la paix et arrêtez de faire la une sur ce non événement.

Et quand les voiles et autres prisons seront ouverts (toutes les prisons, réelles ou symboliques, des femmes, pas seulement celle-ci), l'épaisse connerie des politicards qui font du burkini un cheval de bataille électoral (triste rosse en vérité) sera peut-être, elle aussi, un mauvais souvenir. Ou bien ils n'existeront plus politiquement, bref on les aura oubliés, ils auront mangé leur pain électoraliste blanc et noir ou se seront, peut-être soignés.

Tu parles.

Et pourquoi n'allons-nous pas toutes nous baigner en burkini ou toute autre tenue habillée qu'il nous plairait d'arborer ? C'est ça qui serait chouette... Allez chiche ?

Addendum du 24 août :

1) En autorisant le voile dans la police fédérale pour leur permettre, à terme, d'intégrer la Gendarmerie Royale (seigneur !!!), les Canadiens montrent la voie d'une véritable intégration. Plus les femmes dites "voilées", ou en tout cas ce à quoi on les réduit en France, plus ces femmes entreront dans la vie publique, plus elles avanceront vers un futur - avec foulard ou sans foulard - de liberté. Ne pas le comprendre est typique de la ringardise, de multiples fois pointée ici, de nos politiques et de la droitisation de leur pensée. Vous entendez ? Vous retardez de deux siècles, les mecs (et les nanas aussi, tiens).

2) L'entrée dans le débat de certains groupes de féministes (Raahh j'enrage d'entendre ici ou là "Les féministes" comme si nous étions un régiment d'assaut, bien encadré, je ne veux voir qu'une tête) est un peu tardive, mais enfin elles parviennent tout de même à se - très légèrement mais c'est un début - solidariser des femmes musulmanes portant foulard... Ah c'est pas facile de se libérer de la rage de libérer...

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(1) Sur la place et le rôle réel de Michèle Vianès dans la sphère politique locale (Lyon / Caluire), sans rien s'exagérer de sa toute petite importance, voir ici. Le cas Vianès est intéressant comme illustration de l'avance masquée de la pensée puante de l'extrême-droite, qui ne cesse de se déguiser en ceci ou en cela. "Regards de femmes" est le masque sous lequel avance celle qui est aussi une collaboratrice plus qu'occasionnelle du site d'extrême-droite "Riposte Laïque" et qui utilise le véhicule de la prétendue "laïcité", quoi que veuille dire ce terme galvaudé jusqu'à la nausée, pour diffuser leur idéologie crado et ringarde. Cette technique malheureusement porte ses fruits car la pensée "FN & associés" infuse lentement mais sûrement dans la société française. Je ne vous dis pas le nombre de fois où, dans des échanges avec telle ou telle personne, il faut démonter un bout de phrase, le décoder, et démontrer à celle ou celui qui l'a prononcé comment ellil a été intoxiqué-e. Et le nombre de fois où on ne s'en rend pas compte, où on laisse passer, etc. Banalisation mortifère.