« Alors que nous écrivons ces lignes, le bruit de l'hélicoptère tente de briser notre concentration. (...)

Sylvie et Marcel qui soignent leur troupeau, les moissons du sarrasin, un fest-noz célébrant la récolte de patates, quatre-vingt charpentiers bâtissant l'ossature d'un gigantesque hangar ou une bibliothèque tout juste inaugurée. Son regard peut-il embrasser avec les 2000 hectares toute la richesse de la vie qui les peuple ? (...)

Les préparatifs d'une nouvelle opération d'occupation et de destruction du bocage à sept mois des élections présidentielles ont quelque chose d'irréel. Après un printemps de grèves, de blocages économiques, d'agitation de rue contre la loi travail, en plein état d'urgence, quel serait l'enjeu de transformer ce coin de campagne mais aussi la ville de Nantes en véritables poudrières ? (...)

Car ici, l'expression « zone de non droit », qu'ils voudraient effrayante, a pris une acception radicalement positive. (...) Une communauté de lutte a donc patiemment vu le jour, nouant des liens tissés pour résister aux attaques comme au pourrissement. Tout ceci ne va pas sans heurts, évidemment, si déshabitués que nous sommes à décider nous-mêmes de nos devenirs. Nous réapprenons, nous apprenons, et rien n'est plus joyeux et passionnant que de se plonger dans cet inconnu (...)

C'est pour toutes ces raisons que la zad représente une véritable expérience révolutionnaire, de celles qui redessinent radicalement les lignes de conflit d'une époque. Le mouvement anti-aéroport s'étend aujourd'hui dans des pans de la société habituellement plus sensibles au chantage à l'emploi et à la crise qu'à la défense d'un bocage. Les salariés de Vinci, mais aussi de l'actuel aéroport, ont clairement exprimé (1), via leurs sections CGT, qu'ils rejoignaient la lutte (...) Nombreux sont ceux qui le pressentent, se tenant prêts à transformer la bataille de Notre-Dame-des-Landes, si elle a lieu, en véritable soulèvement populaire, capable de rabattre l'arrogance d'un État qui pense pouvoir impunément casser les travailleurs, précariser la population, mutiler les manifestants, tuer Rémi Fraisse, Adama Traoré et tant d'autres, donner un blanc-seing à sa police et continuer allègrement sa chasse aux migrants (...)

Face à leurs fusils semi-létaux, face à leurs blindés à chenilles, nous aurons les armes séculaires de la résistance : nos corps, des pierres, des tracteurs et des bouteilles incendiaires, mais surtout notre incroyable solidarité. Peu importe que la partie soit inégale, elle l'était tout autant en 2012, quand après des semaines dans la boue, derrière les barricades, nous leurs avons finalement fait tourner les talons (...)

Brandissant nos bâtons (2), nous avons scellé ce serment : nous défendrons ce bocage comme on défend sa peau ; policiers, soldats, politiciens, vous pouvez venir raser les maisons, abattre le bétail, détruire les haies et les forêts, ne vous y trompez pas : la fin de votre mandat ne suffirait pas à éteindre ce que vous embraseriez à Notre-Dame-des-Landes. ».

Collectif Mauvaise Troupe

Ce très beau texte dont la force n'est pas suffisamment rendue par les quelques citations ci-dessus, a été signé par « Gwen Lefeuvre, Emma Laporte et Jean Calmels, depuis Notre-Dame-des-Landes, pour le collectif Mauvaise Troupe, auteurs de Constellation. Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle (L’éclat, 2014) ».

L'article intégral est lisible (pour les abonnés) sur Le Monde.fr du 7 octobre.

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(1) Texte intégral de l'appel de la CGT de Vinci dans le billet n° 313 du 5 avril 2016 sous le titre "Un texte syndical fort".

(2) Détails et images sur l'affaire des bâtons chez le sieur Quadruppani, cf son blog ici vanté "Les Contrées Magnifiques", billet intitulé "Revenir à la zad", avec de très jolies photos de forêts de bâtons (pas bête le coup du comptage !) http://quadruppani.blogspot.fr/2016/10/revenir-la-zad.html