Une belle tête de salopard vaut bien un mauvais jeu de mots, les camarades musulmans me pardonneront, l'occasion était belle.

L'Appel du Mézenc (prononcer "Mézin"), donc, à la différence de ceux qui résonnent en terre musulmane cinq fois le jour, n'a été lancé qu'une fois, mais a reçu une réponse assez massive, ce 23 octobre. Il provenait de plusieurs collectifs, dont "Nuit Debout 43", qui nous ont convié-e-s à marcher jusqu'au sommet du Mézenc pour protester contre les propos nauséabonds de Wauquiez. Se permettant de parler au nom des habitants de la région Auvergne Rhône-Alpes, celui-ci a en effet refusé d'accueillir 1784 personnes en provenance du plan de répartition proposé par l'état, accompagnant ce refus tonitruant d'une rhétorique droite (ouiche) venue du FN. Il y est question de problème qui va "se propager", de la "multiplication des Calais", etc. Occasion de citer à nouveau le très galvaudé mais toujours efficace : "Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît".

Passons sur la situation qui amène aujourd'hui à "répartir" les gens sur le territoire, verbe et procédures qui font tout de même un peu frémir. Mais enfin, au-delà des querelles de principe, des prises de position diverses et parfois avariées, regardons du côté des communes qui accueillent aujourd'hui celles et ceux qu'on appelle "migrants", "sans papiers", "réfugiés" - et on ne fera pas ici de leçon de sémantique. Regardons plutôt du côté de toutes les villes et villages qui ont reçu tel ou tel nombre de ces personnes et qui font, dans le silence assourdissant des médias, leur job de citoyen-ne-s et d'édiles - voire ont revendiqué de le faire - en veillant à ce que ces arrivant-e-s soient dignement accueillis. Et ne préjugeons pas de la suite.

Au pied du sentier qui conduit au sommet du Mézenc, un panneau rappelait le texte - bon, un peu promené, un peu galvaudé, de source incertaine mais naïvement touchant, attribué à Etienne 1er de Hongrie quéque part aux environs de l'an mil et qui exhortait paraît-il son fils Imre à accueillir les étrangers en son royaume, à les traiter dignement et à leur laisser le libre usage de leur langue et de leurs coutumes. Un éloge de la diversité qui, s'il est authentique, donne la mesure de notre régression. A côté, une lauze peinte en orange et portant mémoire de notre protestation, a été posée contre la barrière de bois qui protège le sentier des bagnoles.

Un flux bigarré de gens de tous âges montait et descendait ce sentier qui sans doute n'en a jamais vu autant, aussi concentrés en aussi peu de temps, et par une météo telle que celle d'aujourd'hui.

Celleux qui étaient montés les premiers et arrivés en haut, y ont déployé une banderole. Tout ça, visible sur la page FB de Nuit Debout 43.

La Taulière, détrempée, épuisée mais pleine de jubilation, faillit atteindre la cîme (1750 mètres). Elle y renonça sagement à 200 m de l'arrivée, au vu de son état d'épuisement, des rafales de pluie et de vent qui drossaient durement les flancs du vieux Mézenc, suivant en cela les conseils avisés de sa co-marcheuse.

Nous redescendîmes prudemment le sentier gadouilleux, toujours croisant les montants, dépassées par les descendants, tout ce monde-là joyeux, babillant, sautant les flaques. Nul-le n'avait faibli pendant cette journée : ni les participants, ni le vent littéralement couchant, qui grondait avec un bruit continu d'autoroute en passant dans la chevelure des sapins sa rude main noueuse. Ni l'arrosage, non moins assidû, d'une brouillasse qui se résolvait en gifles glacées, ni les écharpes de brume qui s'enroulaient autour des arbres et empêchaient qu'on vît où l'on mettait les pieds.

Tout ça ramenait la Taulière à ses années d'adolescence, lorsqu'elle fréquentait les curés et les pélerinages de la Haute-Marne, en dépit du fait qu'elle avait fait une croix, ha ha elle est bien bonne celle-là, définitive sur la probabilité qu'un barbu, là-haut, eût engendré ce bordel de monde et continuât de s'en occuper. La Taulière ne croyait plus à rien de la sorte, mais elle croyait à l'amitié, à la générosité, aux chansons un peu cucul accompagnées par la guitare et l'organe au demeurant agréable d'une nana qui, sautant quelques années plus tard de la camionnette à haut-parleur de l'abbé directement sur les podiums d'Europe 1, devint par la suite une éphémère chanteuse qui finit 4e à l'Eurovision de 1975.

Elle croyait, la jeune Taulière, aux rassemblements et aux marches boueuses avec stations et ferventes prières (pendant celles-ci elle rêvassait). Elle restait donc fidèle au curé, parce qu'il était vraiment un bon mec, et plus égoïstement, en raison de certains intérêts purement personnels qui fréquentaient le même patronage, arborant sous une frange noire un irrésistible regard de braise porté par deux yeux de charbon aux longs cils dans un visage pâle et furieusement romantique.

Nul regard de braise, pourtant, ne motivait la Taulière en ce 23 octobre. Juste cette impression d'accomplir un genre nouveau de pélerinage, de faire nombre avec les autres, une façon parmi d'autres de dire qu'on n'est pas d'accord et que Wauquiez, on le supporte, bien obligés, mais on espère qu'en 2020 il va gicler loin loin.

Et puis, Laurence, tu te souviendras qu'il pleuvait dans nos bols de soupe après qu'on a débouché le thermos, et que ça n'a même pas refroidi le potage qu'on a avalé brûlant avec un quignon, debout sous les foutus sapins. Lesquels, toujours secoués tous azimuts, nous ont fait profiter en sus d'un destockage massif d'H2O. Occasion de découvrir l'énorme capacité du sapin moyen, capable, le gaillard, de retenir entre ses branches des litres de flotte et de vous les gerber négligemment sur le corgnolon à la première brise.

Entendu brièvement, sous le barnum de NDbt43, la représentante de RESF local insister sur le fait qu'il n'y a pas de hiérarchie des "réfugiés" et qu'on doit accueillir celleux qui se présentent, quelle que soit la raison pour laquelle ellils fuient leur pays d'origine. Et de citer quelques chiffres, de ceux que la presse évoque peu, préférant habituellement relayer les déclarations de la gent politique.

Fin de la journée.

A peine qu'on s'envolait, sur la route descendante, en rejoignant nos véhicules. Les rafales forcissaient toujours. La presse avait été là, la preuve dans "Le Progrès" en ligne. Il est drôle leur article, dont chaque phrase se termine en se référant à la source gendarmesque !

Faut dire que la présence bleue était insistante : voitures de patrouilles, camionnette, une ronde incessante. Et encore, on ne doit qu'aux conditions météo de n'avoir pas été épiés depuis le ciel en permanence. On rêve en se demandant quel danger, quelle menace pour l'ordre public, quel état d'urgence, pouvait bien représenter notre foule débonnaire où la tranche 3-12 ans était fortement représentée, là-haut sur ce mont noyé dans les brumes, inondé d'averses, alors que tou-te-s, en dévalant ses pentes par 5 petits degrés, nous n'avions plus qu'une idée en tête : nous jeter dans les bagnoles et mettre le chauffage en route sur max.

Enfin, Wauquiez, tout ça c'est pour te dire que tu l'as un peu dans le cul, mais que, pour parfaire le boulot, faudrait qu'on remonte là-haut en même temps que toi quand tu vas te pavaner sur le Mézenc où tu fais chaque année ta "rentrée politique", selon les gendarmes. Euh, selon Le Progrès.

Voilà. Ce billet a été écrit - et ça n'a rien à voir, croyez-le ou non - en écoutant "Requiem for What's His Name" du mon très cher Marc Ribot.