Avec une camarade bénévole dans la même asso qu'elle, la Taulière se présente aujourd'hui à ce petit bureau de poste - mais tout à fait pourvu du nombre de guichets nécessaires, c'est-à-dire peu - situé en pleine ville, dans un secteur ultra-commerçant.

Nous voyageons à deux, comme des convoyeurs de fonds, anonymes mais le doigt sur la gâchette, l'air dégagé mais le regard circulaire. Car nous transportons une coquette somme à remettre sur le compte de l'association à la Banque Postale.

La Grande Poste, dont dépend l'asso, est fermée depuis deux mois, pour travaux. D'où notre marche furtive en direction de cet autre bureau, plus éloigné, mais bon. On doit se délester au plus vite de nos sacs d'or, alors.

Nous entrons, pour buter sur une file d'attente imposante qui sinue (le local est trop exigu pour qu'on puisse attendre sur une ligne droite) en direction du seul préposé présent au guichet.

Un papier scotché sur un panneau, écrit au feutre, indique "pas d'opérations financières aujourd'hui". Un automate d'affranchissement baille, les entrailles dévastées, le capot levé de manière obscène en direction du public. Je ne sais pas si vous avez déjà vu l'intérieur d'un machin comme ça, c'est assez effrayant. L'autre guichet est clos. Les clients ont l'air résigné de celleux qui ont déjà compris qu'il était inutile de se révolter. Voilà pour l'ambiance.

Un employé "volant" vient à notre rencontre, nous lui exprimons l'envie pressante de nous délester de notre monnaie. Las...

- On ne peut pas faire de remise d'espèces, nous informe-t-il, ce dont nous nous doutions vu le papelard collé, mais bon, ça ne coûte rien d'essayer.
- Alors, où ?
- Au bureau Préfecture (c'est à l'autre bout de la ville).

Nom de nom.

Quel arrêt de tram ? Il ne sait pas. Avons-nous la certitude que là-bas on prendra nos espèces ? Il n'ose l'affirmer. Où aller alors ? Bellevue ? Châteaucreux ? L'employé se désole de plus en plus. Et demain ? Demain, tente ma collègue, le sourire aguicheur comme si elle lui demandait quelque chose d'extrêmement coquin, demain on pourra ? Je sens qu'elle a la bonne technique, moi j'ai aboyé, je l'aurai effrayé, cet homme. Il faut le prendre par la douceur et la séduction.

Oui, on pourra.

C'est sur cette réconfortante affirmation que nous quittons cette scène surréaliste, la Taulière passablement énervée, sa copine plus zen (heureusement qu'on est deux, sinon y avait de l'assassinat dans l'air).

En sortant, je lui montre un autre papier scotché cette fois à l'extérieur sur la plaque censée indiquer les horaires d'ouverture : "le bureau est ouvert de 14 à 17 heures".

Eh bien, je vais vous dire : on pourrait pleurer sur "tout fout le camp", on pourrait se faire monter la tension, comme j'ai failli le faire tout à l'heure. Et au final, on en rit. Le monde actuel atteint à une sorte de beauté comique inattendue et nous errons comme autant de M. Hulot, dans les balbutiements, au milieu de structures incompréhensibles.

Et l'on rit, de ce long rire "ontologique" cher à Garcimore.