Mais ainsi va la vie, et the show must go on.


Billet 366, donc : LA CHEMISE, LA CHEMISE !!

La Taulière, qui s'achemine vers une immersion totale dans le ferroviaire, méditait ces jours-ci un énième billet vindicatif à ce propos. Entre temps, un mystérieux correspondant lui adresse un mail qui, les grands esprits parfois se rencontrant, traite plus ou moins de ce qu'elle s'apprêtait à déballer. Autant ne pas, se dit cette bonne Taulière, se fatiguer a niente. Utilisons donc en sous-traitance ce texte déjà écrit.

Que disait en substance cet ami qui semble avoir pris un coup de chaud en regardant deux reportages ?

DES GARES NEUVES ET VIDES AU MILIEU DE NULLE PART

« Ces jours, j'ai vu deux reportages sur la SNCF : le premier concernait la construction de gares neuves "au milieu de nulle part", bâtiments qui coûtent des millions pour pas grand chose. L'un d'eux situé à quelques kilomètres de Montpellier je crois, juste à côté de la gare rénovée !!! L'autre, en rase campagne, entre Amiens et . Il ne voit que 4 trains par jour et autant de voyageurs ! (...) » (ndlr : il s'agit vraisemblablement de celui-ci, publié par France TV info).

Nulle part n'est évoqué dans le reportage, précise l'ami en question, le coût de fonctionnement de ces navires fantômes.

UN DEFICIT QU'A RIEN A VOIR

« (...) Hier, le second reportage, le pompon : la SNCF est en déficit ! Ah bon ?! Et ce déficit est dû à... T'as trouvé ? Eh bien non, pas à la construction de gares pharaoniques, mais bel et bien aux grèves !!! Eh oui, les grévistes ont fait perdre des sommes de dingue à la SNCF. Si les cheminots ne revendiquaient pas, on serait plus tranquilles !!!! Second argument : le terrorisme. Il a fallu embaucher du personnel, le rémunérer (ça c'est dingue !) et du coup, des sous qui partent, encore...

« Autre argument : moins de voyageurs, à cause des attentats, bien sûr... Les horaires décalés, les gares où les trains ne s'arrêtent plus, comme tu l'évoquais ? Non, rien à voir !

« Dernier argument: des prix bradés, parfois, donc, moins d'argent qui rentre. Ils n'ont pas parlé de "politique bizarre" avec des trajets vendus parfois à des tarifs prohibitifs si on n'a pas de réduction et d'autres, des Lyon-Paris par exemple, à quelques euros.

Le déficit, ironise mon ami excédé, est dû au salaire versé aux agents, ces nantis...

LA PREUVE PAR MOINS MILLE

« Et à cela, quelle est la réponse de la SNCF ? Là tu auras trouvé, je le sais. Toujours la même réponse : 1000 suppressions de postes.

« La direction ne peut pas faire autrement, il faut comprendre, c'est le seul levier sur lequel ils peuvent jouer.
« Il n'y a pas que le responsable de ton train qui est à l'ouest à la SNCF. »

« Bon, » conclut mon aimable sous-traitant de manière assez martiale (un garçon plutôt paisible au demeurant) : « on va arracher la chemise de Pepy, quand ? ».

Ben, écoute, moi j'suis prête. Faut juste la jouer stratégique : convoquer la presse, y aller à plusieurs - très nombreu/ses, lui sauter dessus à tous ensemble pour que cent personnes comparaissent au tribunal pour ce même délit, comme dans les crimes chez Agatha Christie où vingt assassins tuent la même personne, chacun-e donnant son petit coup de pouce et assumant sa part du crime ; ou comme les conjurés entraînés par Vallès en 51 (1851), qui signèrent une pétition en cercle afin qu'il n'y ait pas de "premiers signataires" susceptibles d'avoir entraîné les autres et donc, d'être entaulés plus sévèrement.

Mais oui, d'acc : A POIL PEPY !!! Oui, sans problème. Cet homme, à mon avis, n'a pas eu assez froid sur un quai de gare.

J'avais quant à moi entendu le matin même le patron du rail causer en effet de ça dans le poste, sur l'air bien rodé de la désolation-mais-c'est-nécessaire-pour-retrouver-un-équilibre... Merci, donc, à ce correspondant à qui je conserve l'anonymat par égard pour lui, sait-on jamais, d'avoir écrit à peu de choses près le billet que je me disposais à pondre.

Plus ceci :

SALAUDS DE SALARIES MALADES !

« En raison de l'absence inopinée d'un agent, le train ta-ta-ta-ta initialement prévu à gna-gna-gna, partira avec un retard d'environ quinze minutes. ». Cette phrase (ou plutôt, ses auteurs) absurde autant que diffamatoire pour "l'agent" en question, avait déjà été clouée au pilori dans un précédent billet de l'Appentis.

La Taulière, ainsi que tous les usagers de la ligne 10 (j'ai toujours envie d'écrire "les usagés," comme Romain Gary alias Ajar dans l'excellentissime roman "Gros Câlin") l'entendent au moins deux fois par semaine dans chaque sens et c'est à partir de cette scie assez nauséabonde sous son air banal d'information simonnée (1) dans toutes les gares de France, que la Taulière avait elle aussi pris un énième coup de chaud.

Il faut donc une fois de plus examiner la scélératesse de "l'info" en question :

- "En raison de" : voici le doigt pointé, la désignation du mouton noir. Nous avons là une accroche efficace qui fait dresser l'oreille aux voyageurs ("ah, une explication...") et va permettre au substantiel du message de percuter directos leur entendement.

- "l'absence". Voilà ce qui cause un retard au départ de 15 minutes, quand c'est pas 20. Dans le cortex des voyageurs pas contents malgré leur apparente tranquillité - résignation, plutôt - s'imprime alors l'image d'un service pris au dépourvu. Attention ! Voilà le salaud d'agent absent qui pointe son gros pif d'irresponsable.

- "inopinée". Coup de massue final. L'agent-e absent-e INOPINE !! "Forcément, ça va marcher beaucoup moins bien maintenant !" Et en effet, paf : quinze minutes.

Le résultat, tu le captes sur le quai directement, à la vitesse de réflexion d'un touittos moyen qui, avec ses quatre ans d'âge mental (2) veut d'abord causer avant d'avoir fini d'entendre : "p'tain, font chier". Ce n'est là que l'expression policée, mesurée, d'un mécontentement sobrement exprimé. Suit l'insane litanie habituelle « feignants, trop bien payés, kestucrois moi si je m'absente ma patronne elle va pas me payer moi la cousine à mon beau-frère elle connaît un cheminot, attends, tu le crois pas, attends le mec il bosse 128 jours par an, deux mois de congés payés ouais, tu le crois toi ? Et toute la famille qui voyage gratuit... Nan mais allô...etc. »

Ou comment une information faussement neutre, en réalité une phrase de propagande pure et dure, distille un venin social duplicable et avance masquée jusque dans l'oreille d'une masse de gens, pour une partie notable d'entre elleux dépourvus du moindre sens de l'analyse. Je ne prends pas mes co-voyageurs pour des cons mais pour des salarié-es ou apprenti-es ou lycéen/nes tous plutôt très jeunes, ne possédant pas l'outillage critique nécessaire pour décrypter cette "information", bref des proies faciles comme je l'étais à leur âge, petite ouvrière puis employée de bureau à qui l'on aurait fait avaler n'importe quelle couleuvre (et à la conscience politique proche du zéro absolu).

Au passage, demandons-nous combien de fois elle sera relayée, cette propagande, et à quel nombre de votes elle aboutira, in fine ? Oui, votes pour celui qui veut sucrer 500 000 postes de fonctionnaires, par exemple. Ou pour celle qui vend de l'espoir social repeint en bleu foncé couleur car de flics.

Ainsi la direction d'une Société de moins en moins Nationale des Chemins de fer Français a-t-elle pris ce pli de déplacer la responsabilité de son incurie sur les seuls salariés de base. Comme si ceux-là, même en comptant qu'ils aient abusé, à la belle époque, des avantages octroyés par une fonction publique très protégée (en échange de leur force de travail, tout de même), avaient seuls causé la déconfiture générale.

Comme si l'encadrement, troupeau moutonnier formaté à se débarrasser de la patate brûlante en l'écrasant au besoin sur la tronche de leur plus proche collaborateur (3), n'avait pas sa part de responsabilité, et double encore, dans cette affaire : d'une, pour n'avoir pas joué son rôle d'encadrement ferme, bienveillant, et d'interface efficace et moral entre la base et la direction générale de l'entreprise. Et deuxièmement avoir gobé parallèlement la daube ultra-libérale qu'on a commencé à leur servir dans les années quatre-vingt, sans la moindre amorce d'embryon de début d'esprit critique, autrement dit, avoir trouvé la soupe bonne, l'avoir lapée et en prime léché les pompes de ceux qui la servaient.

Comme pour la fonction publique hospitalière où il est devenu brusquement indécent d'avoir des lits vides prêts à recevoir et un personnel en réserve prêt à soigner, comme dans la fonction publique d'enseignement où l'on avait pourtant connu ce temps baroque, incroyable, où un enseignant absent était aussitôt remplacé par un remplaçant aguerri, l'entreprise publique de transports ferroviaires a pudiquement effacé de son tableau de charge les astreintes où un tas de feignants surpayés venaient taper le carton toute la journée et siroter du café dans des locaux chauffés, en plus, et même y passer la nuit tout habillé sur de mauvais plumards de 80 cm de large, pour être prêts en cas "d'absence inopinée" à faire fonctionner sans retard une machine qui s'honorait alors de faire partir tous ses trains à l'heure, ha-ha, quelle ringardise, mon cher !

C'EST AINSI QUE LES HOMMES VIVENT (et les femmes, accessoirement)

Et voilà : les hôpitaux publics sont gérés comme des hôtels, en flux tendu comme le drap qu'on vous retire de sous les fesses à peine opéré-e. Le délai de remplacement d'un professeur absent dans le secondaire, qui était de zéro à deux jours dans les années 90, est passé à plus d'une semaine dans les années 2000, puis deux semaines, puis trois, voire au non-remplacement pur et simple. Un train part avec 15 à 20 minutes de retard pour un voyage de 40 minutes, soit un retard de 50 % de son temps, chose absolument inimaginable voici trente ans

Et que fait la SNCF ? Elle dénonce ses salariés et sucre mille postes. A mon avis, les absences inopinées vont se multiplier.

A la poste de Biol (Isère, 1500 habitants), la préposée (contractuelle) est déplacée depuis quelques années au gré des besoins, pour effectuer des remplacements dans les communes voisines. La population, lasse de se casser le nez, aux heures où le bureau était réputé ouvert, sur le panneau indiquant une fermeture "pour maladie", prend quelques habitudes dans les bureaux voisins, mais à son préjudice : aller plus loin, davantage de bagnole, une organisation à trouver et, pour les moins motorisés, du courrier qui ne part pas ... La direction de La Poste, aussitôt : "ce bureau est sous-fréquenté, il faut le fermer".

La méthode de management des grandes entreprises ex-publiques fonctionne sur le modèle du serpent qui se mord la queue en bouffant au passage le pigeon qu'est toujours l'usager. On note au passage que la préposée de Biol s'est fait une réputation de "toujours en arrêt maladie, jamais là" alors qu'elle trimait à la poste du bled voisin. Il y avait bien maladie, mais ailleurs, d'une autre responsabilité. L'encadrement - de proximité cette fois - lui faisait pourtant porter le chapeau sans vergogne. Je dis ceci dans la logique managériale où être malade est une faute.

A propos, si vous connaissez un bureau de poste qui lutte pour exister, vous pouvez contacter le collectif de sauvegarde de la poste de Biol. Ces gens sont en train de se battre et espèrent gagner. Ils font actuellement le pied de grue en se relayant devant leur bureau local pour noter la fréquentation, afin de pouvoir contrer les arguments scélérats de la direction.

L'idée de fonder un collectif national recensant toutes les initiatives locales de lutte pour garder les bureaux de postes à leur place, ne serait d'ailleurs pas idiote : cela permettrait d'échanger des infos, de s'entre-conseiller sur les meilleures stratégies, bref : de se sentir moins seuls et de massifier la protestation. Si ça vous parle, posez ici un commentaire, la Taulière transmettra.

Voilà, et merci Didier pour m'avoir fourni la matière de ce billet (oups, j'avais dit que je ne te dénoncerais pas...) ==========================================================

(1) Simonnée : de "Simone", nom de la voix qui fait les annonces en gare. Synonyme : claironnée sur un certain ton neutre dans les hauts-parleurs.

(2) Désolée ! C'est injurieux pour les personnes de quatre ans, et je devrais le retirer. Toutes celles que j'observe ici ou là font preuve, en réalité, d'un quant-à-soi beaucoup plus développé qu'un touittos moyen et ne s'expriment pas pour ne rien dire. Et lorsqu'elles veulent faire part d'une idée, elles le font avec circonspection et en choisissant leurs mots. Le fait que les adultes habituellement ne prêtent pas attention à l'émission d'une opinion par un bambin, empêche peut-être de s'en rendre compte. Il s'agit pourtant juste de tendre l'oreille, et à la bonne hauteur.

(3) La Taulière a suivi, dans le cours de sa vie professionnelle, quelques formations au management sous diverses égides : Chambre de Commerce et d'Industrie, etc. Dans ces années-là, il s'enseignait encore quelques principes vertueux. L'un, le premier d'entre eux, me reste particulièrement en mémoire parce que je l'ai vu appliquer ou l'ai appliqué moi-même, et plus d'une fois : en tant que cadre ou dirigeant-e, vous ne devez jamais faire porter la responsabilité d'une erreur, devant le client, sur vos subalternes (oui, on s'exprimait comme ça). Au contraire, il faut l'assumer pleinement et sans équivoque, quitte à laver ensuite son linge sale en famille. Et plus vous étiez situé-e haut dans la chaîne hiérarchique, plus vous deviez assumer.

C'est-à-dire que le message de la SNCF devrait être : "en raison d'une mauvaise gestion du personnel, nous n'avons pas su assurer la continuité de service indispensable dans une entreprise publique qui se respecte".

Il est vrai qu'on nous enseignait aussi que le salaire le plus haut de l'entreprise ne devrait pas excéder 10 x le salaire le plus bas (on est très vite passés à x 50 entre ma première formation, en 1971, et la deuxième, en 1979. Mais bon, ça restait en quelque sorte raisonnable). C'est-à-dire que Carlos Ghosn, par exemple, ne devrait gagner, à la tête de Renault-Nissan, que 70 000 euros par mois, et non 1,3 millions. Allez : 120 000, avec l'inflation.
Vous me direz, on ne peut pas reprocher ça à Pepy : il stagne à 450 000 par an depuis 2012 et la loi sur le plafonnement des rémunérations des patrons d'entreprises publiques. On comprend mieux son amertume, les messages de Simone et les 1000 postes.