A Fabrice, qui m’écrit hier :

« il y a une jouissance folle et énigmatique qui vers le lointain nous attire
folie est un de ses noms
c'est elle que Lacan appelait jouissance de l'Autre,
féminine à l'occasion mais pas seulement...
on veut être fou mais
"n'est pas fou qui veut"
avait écrit ce même Lacan sur la porte de son bureau psychiatrique
pour nous reste l'art donc un bel équivalent de folie (…) »

(en souvenir de nos nuits d’écriture in-sensée et de la course des stylos trempés dans divers alcools non point beuverie pourtant mais carburant)

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les écrivains maudits maudissent la déliquescence de leur pensée dans un brouillard de produits censés aider à la création mais
les vrais fous écrivent sagement le matin, au mieux de leur forme et debout devant un lutrin

la perfection formelle est essentiellement emmerdatoire

fulgure, boursoufflure : un / zéro

des haricots rouges bouillonnent, tandis que j’écris, dans une eau de sang, c’est un test : temps, réduction, morbidesse. Les Italiens disent morbidezza pour exprimer la tendreté d’un aliment, mais c’est aussi suavité. Il est 23 heures 12 et ces légumineuses doivent cuire une heure

vu sur l’emballage quadrilingue d’un paquet de papier toilette le texte italien affirmant que le produit est d’une douceur suave (morbibezza)

les mecs de Cobra n’allaient pas s’empapaouter d’académisme et dès que leur art menaçait de devenir adulte – autrement dit de faire de l’œil aux marchands - ils s’occupaient de tout casser et de redevenir enfants

les enfants, tiens : en voilà des fous des artistes !

les Oulipiens explor(ai)ent les potentialités littéraires en écrivant sous contrainte, ce qui constitue une sorte de paradoxe assez stimulant. Ils furent - sont - de fameux triturateurs mais combien de flivoreux borogoves ont surgi sur leurs sentiers ? De voyelles en couleurs primaires, de nuits juste avant les forêts ? d'Albertine marine comme une mouette, de détectives sauvages, de Volcan Popo et de rage against the dying of the light ?

le trait continu par lequel une personne vivant il y a dix ou vingt mille ans a tracé à main levée la silhouette d’un aurochs d’un mètre quatre-vingt de long sur une paroi verticale, voire en surplomb, établirait un processus artistique fondateur ? A moins qu’il ne soit que la trace ultime d’un art décadent, avatar terminal d’une école picturale défunte…

dans ce cas nous recommencerions sempiternellement les mondes après avoir perdu définitivement la mémoire collective de l'humain

le test « haricots rouges » montre que 45 minutes suffisent, au-delà : bouillasse, la cuisine aussi demande précision