Moi, qu’est-ce que vous voulez, les bras me tombent et c’est sûr qu’à force de me tomber, les bras vont m’abandonner. Dès lors, avec quoi me battrai-je les flancs ? Avec mes moignons ?

En tant que femme de toute façon, j’ai souvent des moignons à la place de bras. Passons.

Ce soir sur France Culture, les conneries tombent aussi, et avec une telle fréquence qu’on ne sait plus où donner de la tête.

Ah bon, la tête aussi ? Ouais, la tête, alouette…

Adoncques, voilà un gars qui constitue pour son émission d’aujourd’hui un panel d’invitées entièrement féminin (oui, je sais, ça redonde. C’est comme ça, dès qu’on parle de nous ça redonde).

Il le fait remarquer avec bruit en début d’émission et feint de s’étonner de l’absence de file d’attente sur les réseaux tél, mél et twitt pour commenter ce choix.

Et le gars, là, il a la voix qui trémule, il est excité comme une puce, il pensait croiser le fer avec quelques machos téléphoniques, peut-être ? Raté. Et puis, histoire de se marrer, il en remet une petite couche : paraît que, quand ses plateaux sont exclusivement masculins, il en reçoit, des coups de fil et des mails de protestation, allez... Et là, rien.

Bon, tout de suite après, il re-feint de se ré-étonner du fait que, lorsque les thèmes de ses émissions tournent autour des champs de l’éducatif, du social et de la santé, la majorité des chercheuses invitées sont des femmes.

Dans le grand silence qui suit cette présentation, on pourrait insérer quelques réponses et je m’interdis dès à présent de commencer mes phrases par « Eh, Ducon… ».

Réponse 1 : tu trouves que c’est une grande victoire, ton plateau 100 % meufs ?

Alors écoute, nous z'aut' on fait pas la manche. Si tu te démerdes chaque semaine, allez, je suis pas méchante, pendant un an, mettons, pour constituer des plateaux strictement paritaires – on ne parle pas ici d’une parité arithmétique mais d’une parité réelle, c’est-à-dire : autant de chercheuses en sciences dures que de chercheurs en sciences molles (désolée de reprendre ici cette subdivision absurde, mais c’est celle qui vaut dans les milieux zuniversitaires zautorisés), alors on en reparlera, de ton tour de force. C'est en substance ce qu'a dit d'emblée une des femmes présentes : banalisons, plutôt que de faire des opérations coup de poing.

Réponse 2 : à propos de l’absence de réactions, t’as pas imaginé que l'intérêt du public mâle pourrait s'être détourné, du moment que c'était une émission avec rien que des go’zesses ça devait être un thème pour filles, nan ? Bon, c’est une hypothèse par trop agressive, donc je la retire. Ou aussi, comme tu l'as indiqué, que les femmes qui habituellement protestent, apparemment, contre leur sous-représentation, étaient aujourd'hui satisfaites et du coup n'ont rien dit ? Tu ne pensais pas tout de même qu'on allait te féliciter, non ? Si ? Ah, il fallait remercier ? Zut on a oublié. Quelle bande d'ingrates.

Réponse 3 : au lieu de souligner en passant que les thèmes e.s.s. (éduc/soc/santé) sont surinvestis par les femmes, tu aurais pu d'abord formuler ça en sens inverse (mais tu l’as pas fait) : que les champs scientifiques « durs » sont surinvestis par les étudiants au moment du choix des filières de recherche, et ne laissent du coup pas de place aux filles qui, par défaut, se tournent vers les champs "libres" ? Que n’as-tu creusé cette piste ? Ton émission s'intitulait bien, s'pas : "Les expertes sont-elles des experts comme les autres ?".

Ou encore, que le formatage des filles dès leur petite enfance vers un intérêt pour ces domaines les "prédestine", alors que les garçons sont sur-stimulés en direction de la chose scientifique ? La nana qui vous cause observe ça dans sa propre famille, alors que c'est tout des gens "conscientisés" et tout et tout. Mais la pression vient de tous côtés : jouets offerts par les grands-parents ; internet ; offre culturelle, école, cartes Pokémon, dinosaures, lego Starwars, etc. Je me comprends.

J’arrête là, afin d’écouter la suite du programme car les femmes invitées ont commencé à parler et elles disent des choses intéressantes, dans l'heure que leur octroie généreusement France Culture - et je ne tire pas sur l'ambulance en ce moment, car ce simulacre de tentative d'équité ne mérite que mépris.

Elles disent par exemple que, parmi les invités habituels des plateaux, les hommes présents ont parfois publié deux fois moins que des chercheuses non invitées et spécialistes du même domaine, mais que ces hommes-là offrent une surface médiatique plus importante que les chercheuses davantage expertes, mais moins bankable.

Ou que, quand une petite fille est baignée depuis sa plus tendre enfance par la radio familiale, qu'entend-elle à longueur de journée ? Des voix d'homme. Des affirmations péremptoires, des exposés rationnels, des péroraisons scientifiques, politiques, culturelles, des bulletins d'information, par... des hommes. Alors, dit la chercheuse, forcément dans sa tête va se faire un lien avec le fait que c'est aux hommes de parler (corollaire : sois belle et tais-toi).

Vous trouvez que j'exagère ? Prenez une journée radio - n'importe, celle que vous écoutez - et livrez-vous donc à un petit comptage.

Allez, tous mes vœux aux femmes, et en particulier à celles qui marcheront demain dans l’Amérique du premier jour de Trump 1er, raison pour laquelle France Culture s'est exceptionnellement mobilisée aujourd'hui.

Alors on est très contentes. Merci, vraiment.

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Post-scriptum : on n'arrête pas l'inculture. Sur France Inter, un mec qui présente un bulletin d'info parle des manifs anti-trump (tiens, je mets pas de majuscules, au fait), et des bonnets roses à oreilles que les femmes là-bas arboraient comme clin d'oeil à "pussy". Le journaleux croit devoir réexpliquer tout l'historique, les paroles nauséabondes de cet abruti de Trump, et il le cite de travers : "attraper les femmes par le vagin"... Hééé laà arrête, mec, ça fait mal t'es ouf !! Trump a dit "la chatte", pas "le vagin". Et la chatte, en argot, désigne la vulve et tout ce qui l'entoure, pas l'intérieur !!! Quel nul, il nous confond avec une balle de bowling. Même Trump n'aurait pas osé.

Re-post – re-scriptum

Fiérote, la Taulière : son argument intuitif à propos des choix de filières par défaut, a été soulevé pas plus tard qu’hier dans une émission par des scientifiques déplorant ce même phénomène de la « confiscation » des filières par les chercheurs hommes.