Si vous lisez le Canard Enchaîné, dans une actu fournie il vous aura peut-être échappé un article de mercredi 1er février intitulé "De la jument dans le lardon". Pour celleux qui l'ont lu, vous pouvez passer ce mail à d'autres dont ce n'est pas le cas.

Pour les autres : l'article traite d'une technique pratiquée dans les élevages porcins pour synchroniser les chaleurs des truies (motif : économiser des contraintes et des déplacements liés à l'insémination, en permettant d'inséminer les cochettes toutes ensemble et à la chaîne).

Les produits s'appellent en France : Fertipig, Gestavet, Synchro-Part, Chrono-Gest, etc. Il s'agit d'hormones (gonadotrophines) agissant sur le cycle des truies et vendues par les officines véto.

Ces hormones sont obtenues en saignant des juments gestantes. Ces ponctions sanguines de 10 litres par prise sont répétées plusieurs fois par semaine. Elles amènent la jument à avorter (au besoin on les avorte à la main), et hop, on la ré-insémine, et en avant, dès son 40e jour de gestation les prises de sang recommencent.

Ces traitements épuisent les juments, causant leur mort dans au moins un tiers des cas, mais de toute façon, à terme, devenues anémiques elles sont envoyées, âgées de 3 à 5 ans, sur les chaînes à viande après leur courte vie dans les "fermes à sang".

Ce trafic n'est pas pratiqué en France ni même en Europe, car c'est proscrit, mais en Uruguay ou en Argentine, où la loi est plus souple.

Nous avons donc les mains "propres" sur notre territoire national, laissant une fois de plus la sale besogne se faire plus loin, ma main droite ignore ce que fait ma main gauche et tout va bien dans le monde de la charcutaille, du boudin et du rôti.

Et n'allez pas imaginer (ce n'est pas le Canard qui le dit, mais moi) que votre boucher ne se fournit que chez un éleveur vertueux qui ne pratiquerait pas cette technique. La dernière livraison (janvier 2017) pour 1,2 millions d'euros pour la seule France (source Canard) ne laisse aucun doute : l'ensemble des élevages industriels ne suffirait pas à absorber de telles quantités. Ce sont donc tous les éleveurs de porcs - gageons même que, s'agissant d'un produit autorisé et "naturel", la filière bio est concernée aussi car, contrairement à ce qu'on voudrait tous croire, il y a avec le label "bio" bien des arrangements).

«  En attendant, chaque tranche de saucisson dégustée aura ce petit goût, inimitable, du sang de juments exténuées. Délicieux ! », conclut le Canard.

Ajoutons que, comme on pouvait le supposer, ce traitement par injection d'hormones équines n'est pas réservé seulement aux truies mais à d'autres femelles animales.

Je ne pourrai plus regarder un animal dans les yeux en pensant que, pour le bien de nos papilles, on s'adonne à la torture animale (je ne vois pas d'autres mots). Voilà, on a tous le moment dans notre vie où se produit un choc déterminant, moi ça a été cet article, mais peut-être que j'étais déjà mûre pour dire au-revoir à la bidoche, que je ne fréquentais plus guère.

Dédié en particulier à celleux qui aiment beaucoup les chevaux (pas dans l'assiette) et d'autres animaux (dans l'assiette).

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Addenda :

1) Envoyé par un copain agriculteur : "Merci pour cet article. Je connaissais cette pratique chez les naisseurs qui fournissent aussi bien les élevages conventionnels que le bio. Les truies pour être rentables doivent donner naissance à plus trente porcelets par an. Souffrances des mères et des petits pour les profits exclusifs d'une mafia."

2) Entendu hier matin sur France- Culture un "débat" où M. Finkielkraut, animateur de l'émission, et son invité, le chercheur J.P. Digard, se donnent gaiement la réplique en compères bras dessus bras dessous sur le thème de l'utilisation des animaux bien comprise, face à une Corinne Pelluchon pugnace, à l'argumentation bien structurée.

Digard est un spéciste convaincu, défendu ici en ces termes :

«  On s’est aussi habitué à entendre des biologistes affirmer que " l’homme n’est qu’un animal parmi d’autres". D’où lui vient le droit de sélectionner, dominer, manipuler, ou encore de tuer et manger " son semblable " ? On voit bien l’issue concrète d’un tel doute : le végétarisme, l’abandon de tout usage de produits animaux, donc la fin des espèces domestiques, sauf retour à une vie sauvage et forcément protégée… »

Dans ce magazine dont l'intitulé comporte le mot "science", habituellement garant d'une certaine rigueur et honnêteté intellectuelle, il est curieux de trouver autant de couches de mauvaise foi : le végétarisme annoncé comme "issue" (connotation catastrophiste), l'utilisation des guillemets pour une fausse citation ("l'homme n'est qu'un...") et de la restrictive "ne...que" qui veut renforcer l'argument et ne fait que le rendre suspect, et enfin le sophisme éculé consistant à prétendre que les végétariens feraient disparaître l'animal domestique. Alors oui, mille fois oui, si "domestique" devait sous-entendre : exploité, torturé, massacré à une échelle industrielle.

Rassurons pleinement M. Digard et ses admirateurs : végétariens ou même "vegan" ne dédaigneront pas la compagnie d'animaux domestiques, si "domestiques" signifie "compagnons protégés, nourris, soignés comme il convient". Il y aura le choix parmi tous ceux que l'exploitation humaine laissera sur le chemin et qu'il faudra bien prendre en charge.

Enfin, il s'écoulera bien une paire de siècles avant que l'humanité renonce à bouffer des bêtes, sans parler du temps nécessaire pour que celles-ci puissent retourner à l'état qui serait le leur si nous n'étions pas intervenus dans leur environnement pour leur malheur. D'ici là, quelque pétaudière nucléaire aura sans doute vitrifié la planète et le règne du vivant avec.