Du disaillegne.


Comme je vous le dis. Ce qui caractérise cette manifestation à la communication tonitruante, c'est le vide, le vent, l'essence marketing, l'inutilité, la futilité, le dérisoire, le contentement de soi de ses petits acteurs qui se prennent pour des artistes.

En sortant de la gare on peut voir sur l'esplanade une composition de machins rose thyrien ou jaune vanille, sortes de fûts ou de poubelles sans couvercle disposées joliment, avec parmi (*) des fleurs assorties, plantées bien rangées sur un sol de copeaux colorés dans les mêmes teintes, dans les fameux bacs de bois qui accueillirent en 2016 de moches silhouettes de footballeurs sur fond de fausse pelouse. Là, on ne peut pas dire que c'est moche. Ce n'est pas beau non plus : ce n'est rien. Cela flatte l'oeil dans la facilité immédiate, comme ferait une vitrine aux soins d'un étalagiste appliqué, mais sitôt dépassé ça n'existe plus.

Ce rose et ce jaune se déclinent également sur les inévitables bannières verticales que toute manifestation se doit de faire claquer au vent. Sur ces couleurs d'aube dorée (pardon), se lit à l'infini le slogan de la Biennale 2017 : "Working promesse, les mutations du travail", en frangliche naturally.

Un doublevé géant est érigé lui aussi devant la gare, un gros W en tôle peinte. Perec aurait-il apprécié ? On a eu "euro 2016 UEFA" en bleu blanc rouge, au moins là, une seule lettre.

On a de la peine pour tous ces gens fauchés, sans boulot ni espoir, qui traînent leurs savates fatiguées au milieu de cet optimisme délirant et, cela transpire, persuadé du bien-fondé de la trouvaille. Working, promesse. Deux tromperies cyniques.

Des fabrications idiotes sont censées illustrer, en ville, ce slogan en forme d'arnaque, comme cette "chaise solaire" en tôle orange, sans autre dossier qu'une perche montant d'un des angles du siège carré, à environ 1m50. Ou un mobilier posé au milieu du hall de la gare, où l'on peut s'asseoir et lire, tapoter ou se gratter le nez à l'abri d'une cloison en angle droit érigée tous les 50 centimètres pour séparer les gens les uns des autres.

Le design, c'est une forme assez achevée de narcissisme contagieux : de son concepteur à son utilisateur. De l'avalanche d'objets, encore des objets, des plastiques, des vernis, des peintures, à ceux qui les contemplent en se félicitant de les bien comprendre, à défaut de pouvoir se les payer parce qu'en plus, c'est scandaleusement, épouvantablement cher. Le moindre tire-bouchon peut frôler, premier prix, les 80 euros. Celleux qui céderont à la tentation d'acquérir un des objets vendus à la boutique de la Biennale auront ce qui leur restera de vie pour contempler cette chose surfacturée et s'abîmer dans la signature d'un de ses "créateurs". Ils en profiteront pour réfléchir sur le vide sidéral d'une telle démarche.

Un brin d'optimisme agita la Taulière qui parcourait les rues devenues ce trop plein de signes artificiels : sur les places du centre ville, qui toutes avaient été rebaptisées "Place Tobe", un thé nous était promis : partout, un "thé place Tobe" ! Parfait, se dit la Taulière sans trop s'étonner de ces nouveaux toponymes, car n'était-on point en plein disaillegne, fouillâ ? Faut dire qu'elle fait une grosse consommation de cette herbe parfumée et donc, par réflexe pavlovien, elle cherchait des yeux le comptoir où une brume délicate s'élèverait de tasses prometteuses de la pâle liqueur,

Fichtre. Là encore, il fallait lire l'anglais. Sur toutes les places, en vérité, voilà ce qui est écrit :

SAINT-ETIENNE
THE
PLACE TO BE

(*) Non, il n'y a pas de faute. C'est un régionalisme. On peut utiliser "parmi" avec le sens de "au milieu", "à côté" ou "dessus" : ainsi, à force de rire, risque-t-on de "se pisser parmi".