Le "Petit théâtre de pain", compagnie basque de talents épastrouillants, nous propose une pièce inspirée - très librement, dit Manex Fuchs, metteur en scène - des "Douze hommes en colère" de Reginald Rose porté à l'écran en 1957 par Sidney Lumet (chronique d'une délibération de jury à huis clos).

Librement, en effet : dans une liberté magnifique. Ce texte ciselé de Stéphane Guérin (commande d'écriture), qui colle au plus près à tous les questionnements d'aujourd'hui sur la justice de notre pays, est servi par des comédiens au travail im-pec-cable.

Climat déjanté pour ce huis-clos de 9 jurés, où le texte de Stéphane Guérin semble partir dans tous les sens, mais avec un fil conducteur sur "le doute raisonnable" qui percute à chaque réplique et nous laisse haletant-e-s jusqu'à la fin.

Un spectacle qui nous a infusé, vendredi soir au Théâtre du Parc d'Andrézieux-Bouthéon, une chose extrêmement rare et précieuse, la transmutation des âmes et des corps : chaque personnage vient habiter l'actrice/acteur avec une telle sobriété jubilatoire (voyez, ça m'en fait pondre des oxymores), qu'à un moment donné vous n'êtes plus au théâtre mais devant une salle close dont on aurait abattu un mur à votre bénéfice et où, invisible d'eux mais attentifs à leur moindre souffle, vous verriez s'agiter, ergoter, s'esclaffer, s'engueuler, s'étreindre ou soudain s'effondrer dans le récit de leur propre vie, non plus des comédiens mais les vrais jurés d'un vrai procès. Une performance de vraisemblance magistrale au plan de l'émotion. Et là, insidieusement, vous voici devenu-e vous-même juré, présumé assassin, victime... Dire que c'est intense ne serait rien dire.

Démonstration théâtrale sans fausse note, bercée de poésie, de danse, de petites acrobaties, et surtout, surtout, cette émotion vraie, non frelatée, eh bien écoutez, il y a beaucoup de mises en scènes de grands noms sur des textes de grands auteurs, qui n'ont pas atteint ce point de vérité et, encore une fois, de justesse.

J'arrête là parce que la presse est dithyrambique et qu'on peut lire un peu partout de belles et bonnes choses archi-méritées sur cette création ici et ailleurs, mais si vous voyez une date par chez vous, courez-y, bon sang ! Les amies qui m'y ont entraînée la voyaient pour la deuxième fois : même choc, même jubilation, une rareté.

Pour une petite idée... Au fil des interviews publiées sur cette page, vous apprendrez l'origine (bouleversante) de ces mots : "petit théâtre de pain".

Deux belles cerises sur ce roboratif gâteau : un petit journal, "9 à la une", distribué à l'entrée de la salle et qui contextualise la pièce par des extraits d'articles, d'interviews de gens dont on connaît les noms dans le domaine de la justice, comme Pierre Truche, ou le sociologue Laurent Mucchielli, et d'un témoignage remarquable de juré. Quatre pages indispensables à lire après le spectacle, au calme, chez vous.

Quant aux billets qu'on retire au guichet, ils sont placés dans une pochette qui montre en photo une de ces célèbres pyramides humaines basques, où l'effort noué de dizaines de personnes, la chaîne ininterrompue des bras et des épaules, illustre si bien le dicton "l'union fait la force" (à méditer d'urgence par Mélenchon, Hamon, ce qu'il reste des cocos etc.).

Ce symbole de solidarité, qui revendique le territoire de naissance de la compagnie mais sans le moindre soupçon de chauvinisme, fait écho sans l'ombre d'un doute au dernier mot du metteur en scène à la fin de la pièce, qu'il déclare avoir été placée sous le signe de la

fraternité.