« Qui égrène son chapelet distraitement peut semer le doute et récolter la tempête sous un crâne ».

Bien. Avant l'ite missa est de ce premier chapitre, un petit éclairage sur le matériel nécessaire.

A chaque religion ses ustensiles. Pour les catholiques : le missel, livre qui permet de suivre à la fois la messe du jour et, au fil de l'année liturgique, la promenade dans les épisodes des évangiles, comme raconté plus haut. Et puis le chapelet qu’on égrène lorsqu’on veut compter les prières.

Une série de « Je vous salue Marie » et un Notre Père toutes les dix perles (ou quelque chose comme ça), la petite queue qui pendille et se termine par un crucifix sert pour d’autres oraisons.

Pour les curieux-ses, voir ici l’invraisemblable collection proposée en ligne aux pratiquant-e-s avec, s’il leur en prend l’envie, un chapelet fashion (rayon spécial). Tous les prix : on trouve du chapelet grand luxe à la centaine d'euros et des chouettes trucs en promo pour 0,90 euros. Pourtant, ne nous enseignent-ils pas que Jésus avait chassé les marchands du Temple ? Ah oui mais c'est sur internet mémé, c'est pas pareil.

Mémoire de chapelets : de ces semblants de bijoux en verroterie qu’on offre aux enfants pour l'une de leurs communions (voir plus loin), j’en retrouve trois.

Le premier est élégant, raffiné, parfait pour une jeune fille. Ses tout petits grains blancs nacrés sont montés sur une chaînette plaquée or, tout comme la croix. Il devait dater de ma communion solennelle (voir plus loin aussi). Après avoir tiré quelque fierté de sa beauté, l’ai sans doute paumé ou revendu quand les temps furent devenus mauvais. Pourtant il a bien fallu qu'une personne de mon entourage prenne un jour le temps et la peine de choisir ce bel objet de culte pour moi, et je me sens rétrospectivement ingrate et presque cafardeuse...

Le deuxième me plaisait par ses grains rouge vif taillés en « navette », dont je faisais jouer les reflets de rubis sur une page de cahier, le soir sous l’ampoule de la cuisine. Ce devait être celui de notre mère. Ne sais ce qu’il est devenu.

Le troisième me fut donné par mon père sur ma demande, car j’étais fascinée par ses perles noires. Il m’offrit en même temps une des plus belles échardes à planter dans le confortable coussin de ma foi enfantine. Comme je lui demandais si ça ne le gênait pas de s’en séparer : « bah, tu sais, c’est un truc qu’on te donne quand t’es gosse et après tu t’en sers plus et puis on te le met dans les mains quand tu casses ta pipe et on t’enterre avec ».

Sidérée par tant de cynisme, j’emportai le cadeau empoisonné qu’on me réclama, en effet, quelques années plus tard comme il l’avait prévu, lorsqu’il nous quitta. A la bonne sœur qui me le demandait pour l’enrouler entre les doigts froids de notre père, j’essayai d’opposer le caractère sacré du cadeau paternel. Fichtre, « allons mademoiselle, soyez raisonnable et donnez-moi ce chapelet ».

Dieu, décidément, n’en finissait plus de ne pas exister.

Comme quoi les chapelets servent aussi à égrener les souvenirs. Alors maintenant, l’affaire des communions, à l’usage de celleux qui ne sont pas de la religion en question : la communion fait partie des sacrements dispensés par l’Eglise.

Ce mot désigne d’une part le fait de gober une hostie le dimanche au cours de la messe : petit disque insipide en pain azyme tout sec, l'hostie colle au palais et on ne doit pas la mâcher parce qu’alors, si nos dents la brisent, on fait mal au petit Jésus.

Petit détail plaisant : il faut être à jeun pour communier. Si on a mangé et qu’on y va tout de même, crac : on est peut-être en état de péché mortel. Ca rigole pas, et pour savoir si mortel ou véniel le péché, bonjour la science (**). En tout cas, à la messe, on a parfois la guibolle qui flageole, le regard dans le vague et des crampes d'estomac.

On appelle aussi « communion » le moment où les enfants sont particulièrement consacrés et dotés de capacités diverses : à sept ans, la communion privée ou première communion l’autorise à se rendre désormais à la table pour recevoir l’hostie dominicale (à jeun. Sans mâcher !).

La communion solennelle est une profession de foi publique réservée aux enfants de douze ans (sous condition : il faut avoir été assidu-e au catéchisme). A l’époque de la Taulière, cette cérémonie permettait aux garçons de paraître en costard, gominés à fond et portant à la manche un brassard blanc agrémenté d'un noeud-noeud et d'un pan de tissu orné de fils de soie, franges et autres broderies, tandis que les filles remontaient l’allée centrale de l’église dans un tourbillon d’organdi, de plissés, ruchés et rubans, suivies du frou-frou de leurs longs voiles de tulle fixés avec des couronnes de fleurs ou des bonnets brodés. Dans leurs mains gantées de dentelles, le missel et une aumônière assortie à la robe. De vraies petites mariées, surtout lorsque le curé, épris de mise en scène, faisait marcher les communiants en couple, un gars une fille. Comme dans la secte Moon pour les mariages en série.

En 1960, l’Eglise s’avisa de supprimer l’affichage social scandaleux de communiantes riches faisant assaut d’élégance et d’ostentation tandis que les pauvres défilaient tristement dans des robes jaunies et rapetassées qui avaient déjà « fait » leurs trois sœurs aînées. Les communiant-e-s paraîtraient désormais, comme autant de petits moines étiques ou replets (la Taulière incarnait la version "rondouillarde"), dans d’identiques vêtures simplissimes, les « aubes » de tergal blanc à deux plis couchés devant et qu’on ceignait d’un cordon tressé. Pour les filles, voile court d'infirmière attaché sur la nuque, très seyant. Pour les gars, capuche rabattue dans le dos.

Pas de bol.

Ce jour-là, la Taulière fit une profession de foi morose. Pensionnaire, elle n’était pas dans l’église de son village mais dans une paroisse quasi inconnue, et privée d'organdi, en plus. Le repas qui s’ensuivit promettait d’être sinistre parce que ce n’était pas son papa, resté au pays, qui l’avait préparé mais une ménagère économe qui recevait une simple délégation familiale : maman et frangine, comme pour ces fêtes nationales de petits pays sans importance où l'on n'envoie qu'un ministre et un secrétaire d'état, lesquelles étaient pourtant bien les bonnes personnes à la bonne place ce jour-là, à mes yeux, et les plus importantes.

La frangine en question, qu’ailleurs on appellera La Jardinière, avait cinq ans d’avance dans la découverte de l’imposture catho. Elle ne se priva pas de le faire savoir à sa petite sœur et lui offrit, sur le chemin du retour, de s’arrêter au bistrot pour arroser ça, tandis que les adultes partaient devant sans se douter de notre forfaiture.

Malgré ces prémices prometteuses, ce n'est pourtant pas en ce jour dit solennel de ma douzième année que me vint la certitude d'avoir perdu Dieu en route, mais bien quatre ans plus tard, comme raconté précédemment. Il n'y a pire sourde...

Au bar du coin, la Taulière, qui s’entrupait (*) dans les plis de son aube de location, en remonta bravement les ourlets, s’assit et commanda, comme sa grande sœur, un martini qu’elle ne put finir mais qui lui permit de trouver les heures suivantes très agréables. Elle riait sans savoir pourquoi, et bizarrement personne ne s’en offusqua. Peut-être étaient-ils tous un peu pompette.

La Jardinière avait entrepris là un lent et long travail de formation de sa cadette, et dans bien des domaines.

Mesdames et Messieurs, la visite est maintenant terminée. Notre église va fermer dans quelques minutes, mais vous pourrez explorer les salles suivantes avec le même ticket.

A suivre !

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(*) En jurassien du haut, s’entruper ou s’entrouper c’est se prendre les pieds dans quelque chose.

(**) Pour confronter ses souvenirs à un peu d’exactitude historique, la Taulière s’est baladée sur tout ce que la Toile compte de sites religieux. Elle s’est informée sur les différents rites, a comparé ses sources et les a recoupées. Au passage, elle s’est payé une pinte de bon sang ici :

Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, je vous laisse examiner vos consciences à la lumière de cette trouvaille.