Il y a un moment donné où il faut décider : une journée de plus dans une boîte à chaussures dont la température monte inexorablement (33 degrés ce soir, toutes fenêtres ouvertes côté "sans soleil", et avoir passé 13 heures bouclées là-dedans (pas allumer l'ordinateur, manger froid, pas faire couler l'eau chaude, pas ouvrir les stores ni les fenêtres, et le thé... Nooon !).

Ou sortir.

La Taulière est donc sortie bien plus tôt que la marquise, il était onze heures (le bouillon était prêt).

Jusqu'à 18 heures, elle a occupé son temps, entre deux incursions prudentes et aussi rapides que possible sur les trottoirs en flammes, au centre commercial climatisé (peu et mal mais tout de même), puis au cinéma.

Il a été chroniqué ici, l'une ou l'autre fois, de ces films qu'on va voir pour avoir moins chaud. J'ai souvenance d'un navet puissance mille, c'était à Lyon en 2013 je crois.

Cet après-midi, dans une salle fraîche, la Taulière s'étale sans vergogne, étant seule, et ôte ses chaussures, fait quelques mouvements pour que la circulation reprenne dans ses guibolles mises à mal par ce crapahutage de cinq heures au fil desquelles, de surcroît, son panier s'est alourdi.

On est bien.

Viennent s'échouer dans la salle successivement quatre personnes encore plus chenues que votre servante, des vrais vieux, quoi (bref, des gens qui ont dix ans de plus que moi, à vue de nez). La Taulière s'étonne, vu qu'elle a "choisi" (pour l'horaire et pour la salle) "Free fire", choix que le caissier du Méliès a commenté avec un sourire sardonique : "et hop, une place pour le film de flingues".

Mais ces personnes-là, qui sont venues comme moi, à titre de réfugié-e-s climatiques, n'auront cure, une heure et demie durant, de l'avalanche de pan, pzzzzzt, bzzzzzinnng, ahahahaaaaaaah je meurs, clic-clic (rechargement), BAM, ta-ta-ta-ta-ta-taaaaaa craaaaac, weeezzzzzzz et humphh, boum...

Le nombre de "fuck" à la minute excède tout ce que nous pouvions imaginer, d'ailleurs nous n'imaginions rien. Il y a quelques rires, parce que quelquefois c'est drôle. C'est souvent drôle. D'un humour entre Tarantino et Gondry, en un peu moins bien. Les personnages sont si outrés qu'on n'imagine pas une seconde qu'ils puissent être vraisemblables, les dialogues, décalés, sont réjouissants et les acteurs s'en donnent à coeur joie.

Deux mecs vont chercher une livraison d'armes pour l'IRA dans un de ces hangars déglingués où sont tournés un paquet de films aux Etats-Unis (obscurité, vieux monte-charges, conduites rouillées, vapeur au sol et téléphone à cadran sur bureau abandonné (et qui sonne pendant tout le film, je laisse à celleux qui verront Free fire la surprise du moment où, enfin, l'un des truands décroche). Ils retrouvent sur place une dizaine d'autres malfrats, intermédiaires, chauffeurs, hommes de main. Pour une quelconque raison, la livraison va tourner au bain de sang.

Le Monde.fr a publié une critique bien roulée de ce "gunfight sur fond de faux rock". La Taulière partage les avis exprimés dans cette critique, et a vu au passage un autre article intitulé "des guns, de la poussière et du sang", ce qui ne résume pas ce film curieux et quelque part jubilatoire, mais situe bien le cadre.

A propos, les journaleux qui utilisent de l'amerlock pour faire plus vrai ça me gonfle. Gunfight, on ne pourrait pas dire "fusillade" ? Ou tout terme d'argot qui rendrait l'idée, quoi. N'ont qu'à faire marcher le dico des syno ces feignants.

Bref, en fin de séance on se rend prudemment aux toilettes en regardant à droite et à gauche, il s'en faut de peu qu'on y aille collée au mur, marchant en pas chassés, la main en l'air le flingue au bout, en demandant à la dame qui nous suit de nous couvrir.

Dehors, ça flingue aussi à tout va : 40 petits degrés. Un vent du désert tire de courtes rafales d'air porté à l'incandescence. Dans le tram, l'épuisement est si général que nous sommes comme un seul être vivant (mais si peu), une grosse limace collective, hagarde et aussi ralentie qu'une séquence - excellente - de "Free fire" où une partie de la baston est filmée dans ce mode, mais sur un temps long, ce qui la rend à la fois poétique, comme une espèce de ballet en aquarium, et très drôle.

Enfin, moi j'ai ri.

Dehors, c'était aussi free fire, et ça dure et ça s'étire, comme dans le film. Mais il n'y a pas d'impacts de balles, juste des yeux cernés et la peau brûlante.