Jésus-Martial Matheron, en dépit d’un nom lourd de sous-entendus et d’un âge ridiculement bas (pas très loin de la limite pour être éligible) fut porté rapido presto à la présidence du pays un beau jour de mai (enfin, beau pour lui) après une campagne digne de Bonarparte. Dans sa traîne d'hermine, un immense mouvement de foule qu’il avait levé six mois plus tôt comme on lève des fonds pour une introduction en bourse, à l’aide d’un levier qu’il s’était forgé personnellement lui-même et tout seul : un mix portefeuille de relations, bouche-à-oreille (toutes sélectionnées sévèrement), légères pressions et promesses pharamineuses dont certaines seraient tenues (soigneux dosage).

Ce dispositif quasi militaire fut mis au point par JMM, jeune homme pressé, dès l’aube de sa mini-carrière : le bac à 15 ans, plus jeune diplômé de Sciences Po, plus jeune sortant de l'ENA, encarté chez les soc', un an comme stagiaire dans une banque mondialement reconnue, quelques cabinets ministériels, un secrétariat général auprès d'un président qui lui apprendrait, nolens volens, tout ce qu'il ne faut pas faire, puis un ministère de plein exercice : à vingt-cinq ans, si l’on n’est pas élu président, on a raté sa vie. Or, JMM entendait réussir. Il appartenait en effet à cette espèce de petits garçons qui ont déclaré à trois ans, en visant la cuvette avec leur zizi de 2 centimètres, que quand ils seront grands ils veulent être présidents et mettent déjà en ordre de marche, dans leur chambre, l’armée des peluches et les cités de briques plastique. Il faut dire que ses parents l'avaient soigné, question symbolique du prénom. Un sauveur de l'humanité et un poète latin, ça vous polit l'ambition.

Matheron et son équipe peaufinèrent et menèrent tambour battant, non seulement pendant la campagne présidentielle mais dès le soir de l’élection et jusqu’à la fin de l’été, une stratégie de com’ absolument remarquable, axée principalement sur son physique de jeune premier et un corps présumé de rêve deviné sous des costards à what mille zéros dont, prétendait-il, il suffisait de travailler pour se les payer (travailler où et pour combien, JMM n’était pas homme de détails), et sous tous les déguisements possibles à l'exception notable de Superman.

Que s’était-il donc passé ?

Eh bien : que le pays, anesthésié et rendu hystérique à la fois par la pauvreté de l’offre en matière de candidats, les scandales politico-financiers à répétition et par un double quinquennat placé sous le signe de la médiocrité et équitablement pourvu, chez les deux prédécesseurs de Matheron, en médiocrité, vulgarité bling-bling et déclarations pétaradantes suivies d’aucun effet mais calibrées pour séduire par voie de presse le peuple abruti à cerveaux disponibles : affaires de fesses, reculades honteuses sur des promesses électorales épouvantablement surgonflées, copinages... Bref, le pays aspirait à l’avènement d’un messie quelconque, pourvu qu’il chassât les vieux briscards droits dans leurs bottes, la sorcière fasciste et les gauchos qui ne savaient plus où ils pissaient. Pourvu qu’il explosât les partis traditionnels. Or, on ne pouvait pas lui retirer ça, l'explosion des partis, Matheron l'avait bien réussie.

Août 2… : le mouvement JMM (Je M’y Mets), qui serait rebaptisé, dès la fin des législatives, JVM (J'y Vais Maintenant) après qu’un communicant, qui conservait chez lui un vieux disque dur d’archives datant de Windows sous XP, s’était avisé qu’il y avait déjà eu un J2M dans l’histoire et que la référence était aussi judiciairement sulfureuse que moralement moisie, le mouvement JVM, donc, se fêla en plusieurs endroits simultanément, comme un œuf trop plein. C’était le début de la fin, arrivé affreusement vite, aussi vite que l'ascension, descendez on vous demande ! Ah oui, à propos du "V" de JVM : Victor était le prénom de son grand-père.

Que s’était-il donc passé ?

La campagne législative permit au staff de JMM, cornaqué depuis l’Elysée par un ou deux fidèles du PR, d’investir la pire équipe de godillots jamais vue sur les bancs de l’Assemblée : 525 rigolo.te.s dont la culture politique et juridique, pour une grosse partie, frisait le zéro absolu : certains pensaient qu’un décret était un truc voté par l’Assemblée (et écrit par qui ? « Chais pas, chu pas constitutionnaliste », avait répondu la députée novice, qui n'avait pas révisé) ; d’autres ignoraient qu’il fallait rester dans l’hémicycle pour voter et s’acharnaient sur leurs smartphones à la buvette en pleine session, cherchant l’appli LeftButton.onthedesk. D’autres encore exigeaient « leur mercredi » en cherchant fébrilement les textes régissant les horaires de travail dans la convention collective de l’Assemblée – « si elle existe », disaient-ils prudemment à leurs assistant.e.s navré.e.s.

Les commentaires et réponses des néo-député.e.s aux questions faisaient les délices de la presse. D’une naïveté frisant le sacre automatique de roi des cons, leurs déclarations étaient truffées de barbarismes, balbutiements et autres « voilà, quoi » et « bah voilà » insérés comme des puces maléfiques dans leurs cervelles insuffisantes formatées depuis le collège aux terrasses de fast-foods et peaufinés à la photocopieuse dans leurs jobs de téléconseillers en assurances. 250 mots de vocabulaires mais de l'énergie à revendre, ça pourrait marcher. Et pourquoi pas ? La France en avait soupé, de l'éloquence creuse.

Telle était l’équipe de choc voulue par Matheron, portée au suffrage universel par ses soins, son cheval de Troie un peu risible, bancal, plein de fuites mais efficace. Sur la méthode, JMM avait une fois de plus fait un sans-faute. Ce qu’il voulait, c’est une assemblée qui chantât les répons, exacts au mot près, qu’on leur ferait passer par texto 20 minutes avant le vote (avec rappel de rejoindre leur place dare-dare) à la messe que lui il dirait, par le truchement d’un président de groupe entièrement vendu. Ou acheté, selon d’où l’on regarde. Le premier ministre, traité comme un diacre de paroisse, hocherait la tête comme le chien sur la plage arrière d'une berline familiale. Ca roulait.

Or, ça ne se passa pas exactement comme ça. A y bien regarder, il y avait d'ailleurs eu des signes. Mais les signes, vous savez, on ne les appelle comme ça qu'après, quand on les a identifiés, trop tard.

Que pendant la campagne des législatives, au lieu des traditionnelles affiches portant la trombine du candidat député et de sa suppléante (nous écrivons à dessein « sa suppléante » puisque c’est dans ce sens que 90 % des binômes se présentent encore), on découvrît, de manière inquiétante, à la limite du subliminal, le visage angélique au demi-sourire légèrement satanique de JMM perché quasiment sur l’épaule des candidat.es JMM, juste derrière eux, comme une menace à peine voilée, l’homme de la rue ne s’en était point avisée. Lorsqu’on faisait remarquer que cette omniprésence pouvait rappeler certaines pages regrettables de l’histoire européenne récente, les gens rigolaient : bah, tout de même, n’exagérons pas.

L’Assemblée fut donc mise en place : majorité 525, opposition 52 (qui "voteraient contre" ou s'abstiendraient, cette dernière catégorie étant essentiellement celles des communistes, incapables de prendre une décision depuis que Pierre Laurent était secrétaire général), la droite laminée (mais pas grave, on en avait une de rechange, les canines à peine limées) avec 13 représentants, chiffre de mauvais aloi ; l’extrême-droite un peu fantomatique (2 députés) qui attendait avec confiance la prochaine, entre temps on allait repeindre la façade, on songeait à un bleu moins foncé récemment devenu vacant, on allait se débarrasser des gêneurs et on allait voir ce qu’on allait voir... Enfin, une gauche de 37 membres à peu près aussi sereine qu’un paquet de linge usagé centrifugé dans une essoreuse à 1200 tours, un cyclone permanent emmené par un caractériel abonné au culte de la personnalité. Une galère au milieu de laquelle les abonnés de Fakir se demandaient bien ce qu’était allé faire François Ruffin.

Or, Ruffin – et quelques autres avec lui – bossaient. Mais les gens honnêtes n’ont pas d’histoire, c’est bien connu, ce n’est donc pas d’elleux qu’on va parler pour le moment. Bien qu'on pourrait tout de même dater, à propos des événements qui vont suivre, la naissance d'un premier frisson sacré le long de l'échine chez plus d'un.e député.e JVM lors de l'intervention, légèrement bégayée mais par cela même terriblement émouvante parce que chez lui, on sent que le bégaiement est l'indice d'une sainte colère, du député Ruffin à l'Assemblée le 12 juillet.

Revenons à la mi-juin : les 525 JV (on avait encore abrégé l'acronyme qui ne cessait, comme la politique menée par son leader, de se déformer dans tous les sens, en même temps ceci et cela, bien que le cela l'emportât légèrement) se décomptaient comme suit : 450 ravis de la crèche (un air réjoui qu’on pourrait imager par le visage au sourire collé du ministre de l’intérieur), et 75 dubitativ.es.

A mi-juillet, même en tenant compte des week-ends prolongés en bord de mer, les députés JV étaient composés de 330 fidèles (provisoires), toujours 75 dubitativ.es (normal, ils étaient lents de la comprenette) et 120 personnes qui avaient réalisé que Matheron était un truqueur à la com géniale, mais au projet exclusivement ultra-libéral version dure. Or, ces 120 « éveillés », ils avaient eu certes leur moment de crédulité, ils reconnaissaient bien qu’ils s’étaient fait avoir, mais en s’épanchant les un.e.s envers les autres, ici ou là, ellils commençaient à se dire qu’ils ne pouvaient plus rester complices.

Et ils s’organisaient. Cette génération, adepte des réseaux dits sociaux qui, de temps en temps, comme en 2011 de l’autre côté de la Méditerranée, méritaient leur nom, commença de créer des comptes bidons avec des pseudos malins, et à se réunir virtuellement de temps à autre pour savoir quoi faire si l'on voulait quitter la machine-à-voter-comme-un-seul-homme imaginée par Matheron.

Il fut décidé que le plus efficace serait de noyauter à fond leur propre groupe à l’Assemblée, sans perdre de temps avec les lieutenants et les affidés-scotchés de JMM, pour ceux-là rien à faire, mais le but – et c’était là l’idée de génie de ces gens qu’on appela, pendant un temps assez court et à tort, des « frondeurs » - c'était que le dernier carré des JV soit archi-minoritaire au moment de l’ouverture de la prochaine session parlementaire. Quand tout aurait sauté, ces derniers pourraient toujours rejoindre la droite (ou l'extrême-droite) dont ils venaient.

Car tel était l'objectif des conjurés de l'internet : faire semblant jusqu'au moment où, assurés d'une majorité écrasante, ils commenceraient à voter dur et "contre". Alors elles se lèveraient dans l'hémicycle, alors leurs échines se redresseraient et ils vivraient un très grand moment...

En attendant ce super-grand soir, ils bossaient. En silence, dans la clandestinité, avec une abnégation remarquable, fournissant double boulot comme tout bon agent double : en vrai dans l’hémicycle comme dans leur vie publique officielle, ils étaient matheronistes à fond, sans états d’âme. Le portrait officiel de JMM formait les écrans d’accueil de leurs smartphones et tablettes. Dans leur deuxième vie de révoltés, entre deux passages au Parlement et dans leurs permanences, ils s’assuraient de certain.e.s de leurs assistant.e.s (à l'honneur de celleux-ci, il faut signaler une adhésion massive de ces personnels dévoués à la résistance souterraine). Ainsi s'organisait le mouvement : les député.es prenaient des décisions et s’y engageaient par des serments qui, pour être échangés via l’internet, ne les liaient pas moins, de manière sacrée, au projet commun.

Les plus courageux rencontraient, en des endroits éloignés de la capitale, les député.e.s de la France Insoumise. Les rendez-vous avaient lieu par exemple sur le parking d’une supérette d’Indre-et-Loire, dans un bal de campagne jurassien, aux vélorutions, dans d’obscurs kebabs de banlieue, chez un vigneron languedocien, à la sortie des amphis dans une fac de petite ville de Rhône-Alpes… Bref, partout, et surtout là où ne vont jamais les cadors de la gross politik ni les journalistes connus, c’est-à-dire à peu près partout en France excepté trois arrondissements parisiens. Et comme la majorité des député.e.s JV étaient de parfait.e.s inconnu.e.s des médias, on leur foutait la paix.

Tout ce petit monde s’agrégeait, échangeait et rendait compte à la communauté de leurs travaux sur les projets de modifications substantielles de la loi Travail, sur la loi de finances en vue de la première séance publique à venir. Là, ils furent pris de court par la session extraordinaire de juillet, car Matheron, de son côté, brûlait aussi les étapes. On aurait dit qu’il était au courant, la suite prouva que non. Disons qu'il n'avait pas pris au sérieux les quelques infos qu'on lui avait fait passer.

Les conjuré.e.s prenaient des contacts partout, y compris avec les officiers d'active de gauche (il en existe), les cercles d'influence, le monde de la recherche... Chaque annonce du gouvernement était aussitôt contrée ou retravaillée à leur sauce. Entre temps, ça votait sagement. Aucune importance, ce qu’ellils préparaient balayerait tout ça. Et ils se formaient, apprenaient...

Lorsque l’annonce de la baisse des aides au logement survint, fin juillet, les « indigné.e.s nouvelle génération » établirent aussitôt les bases d’un futur contrôle étatique musclé sur le montant des loyers, avec comme coup de semonce une première baisse générale au plan national de 15%, y compris sur le parc social « histoire, disaient-ellils, de revenir un tout petit peu à la réalité des prix ». La suppression des aides au logement pourrait intervenir – son impact délétère sur le niveau des loyers et la voracité des propriétaires n’était plus à prouver – mais elle devrait être précédée impérativement d’une nouvelle législation sur les baux comprenant l’encadrement sévère des loyers.

Un groupe restreint et particulièrement motivée entreprit d’infiltrer les syndicats (certain.e.s y exerçaient déjà des fonctions). Ce ne fut pas le plus facile, que d’essayer d’entraîner un mouvement unitaire et ils s’y cassèrent les dents. Nous tairons, pour ne pas désespérer notre lectorat, le nom des centrales qui refusèrent de coopérer. C’est pourquoi nous n’avons, à ce jour, aucun nom de syndicat à citer parmi les appuis des indigné.es-NG. C’est bien regrettable mais la vérité historique nous oblige. Les uns trouvaient que c’était pactiser avec le diable (ils étaient devenus si cons qu’ils ne savaient plus identifier le diable, sans parler de le géolocaliser, c’était pourtant pas dur). D’autres étaient d’une telle couardise qu’on s’étonnait de ne pas s’en être avisée plus tôt. Bref, passons sur cet épisode navrant.

La plus belle réussite des ING fut indéniablement de gagner un double pari : d’abord, une mobilisation sans précédent de tout ce qui, dans le pays, avait, disons, entre 16 et 25 ans : étudiant.e.s, apprenti.e.s, lycéen.ne.s, jeunes salarié.es précaires… Celleux qui ne votaient pas encore préparaient les prochaines, les autres se grouillaient de faire faire leur carte. On s’étonne encore aujourd’hui que les mairies n’aient pas fait remonter à la Préfecture une information sur ce nombre anormalement élevé d’inscriptions sur les listes. Ensuite et parallèlement, l’approfondissement des relations avec toutes les forces de gauche jusqu’à – et sans l’inclure dans la démarche - le parti encore appelé socialiste. Non, ellils ne feraient pas cette erreur.

Mais, de la France Insoumise dont le leader provisoire, dûment calmé, accepta de collaborer, aux ultra-gauche friands de conspiration en passant par les anars qui, pour une fois acceptaient de baisser la garde la plus paranoïaque du paysage politique français de tous les temps, sans oublier les Verts ou ce qu’il en restait, tou.tes répondirent présent.es.

Fin août, ayant profité de la trêve estivale pour mettre les bouchées doubles, les toujours député.e.s JV pouvaient maintenant mettre sur la table un palmarès incroyable :

- députés JV sans états d’âmes et à fond pour Matheron (ellils n’avaient été prévenu.e.s de rien, bien sûr, ce qui rendait leur adhésion, en somme, normale) : 82, qu'une conjurée avait rebaptisé « les braves soldats JVEK » (J’y Vais En Klaxonnant).

- « indignés nouvelle génération » émanant des seules forces ex-JV : 359 !! Le noyau de « frondeurs » qui, fin juillet, avait intenté une action en déni de démocratie contre les dirigeants de JV (quels qu'il puissent être), avait agrégé le mouvement au galop dès la première heure.

- Sympathisant.e.s qui avaient accepté de garder le secret, préféraient ne pas s’investir mais déclaraient solennellement qu’ellils voteraient, le moment venu, « comme il faut » : 46

- Dubitativ.e.s : ils n'étaient plus que 38 (remarquable effort de la moitié de l’effectif pour franchir le pas)

A l’aube de la session parlementaire, les indigné.es-NG savaient donc, de manière quasi certaine, qu’au moins 400 solides « votes contre » mettraient à bas tout projet gouvernemental au service de la politique ultra-libérale de Matheron. Même en imaginant que les dubitativ.es votent, pour la moitié, dans le sens plus ou moins subtilement piloté depuis l’Elysée, même en ne comptant que la moitié des sympathisant.es, si on y ajoutait la maigre opposition (moins les abstentionnistes du PCF historique), on était bons.

Pour l’anecdote, les deux députés FN étaient obligés de voter toujours contre, et ensemble, sinon on aurait pu compter facilement le traître ! Même si ces deux voix donnaient la gerbe, les ING étaient bien content.es de les ajouter à leur potentiel score, qui allait déchirer.

Les ING s’octroyèrent un week-end de repos total avant l'ouverture de la session d'automne, mais le niveau de touittes et de textos échangés, leur teneur jubilatoire, auraient dû titiller la conscience des flics aux tréfonds des officines RG si le ministère n’avait pas été exclusivement centré sur son lamentable, inutile et néfaste état d’urgence.

L’urgence, elle était aux portes du palais Bourbon et du Château, et personne n’en savait rien !

En moins de deux mois, les ING allaient précipiter, par leurs incessants votes de blocage, leurs milliers d’amendements, leurs prestations enflammées à la tribune, leur avalanche de QPC, la décision de Matheron, prise un soir de gros doute : dissolution de l'Assemblée Nationale. Ils allaient mener à marche (ha ha) forcée une campagne législative hyper offensive et populaire. Le taux de participation (88 %) plongerait Matheron et ses quelques fidèles dans une stupéfaction proche du coma. Entre temps, le premier ministre avait gagné le surnom de "49-3 / 2.0" (discrète allusion à son prédécesseur à Matignon), mais il était au bout de ses possibilités en la matière, vous savez : trop de 49.3 tue le 49.3.

Une motion de censure explosive plierait le premier ministre et son gouvernement en quatre (même comme ça, le Premier mesurait bien encore son demi-mètre). Les ING avaient mobilisé la rue qui défilait et manifestait à l'envi. Le ministre de l'Intérieur pleurait tous les soirs, seul dans son bureau. Les manifs étaient joyeuses, incontrôlables et bizarrement pacifiques, on n'y comprenait plus rien. Mais ce qui faisait drôle, c'était la rareté des drapeaux rouges et jaune - de tous drapeaux d'ailleurs - et des camions à merguez...

Matheron et sa clique dégagèrent au début de l’hiver. Ils coucheraient (politiquement) dehors, ça leur ferait les pieds.

En décembre 2017, une nouvelle campagne présidentielle se présenta aux Français sous un visage inédit : le Front National, qui n’avait pas eu le temps de se retourner depuis sa déculottée de 2017, présentait une Marine Le Pen replâtrée et plâtrée par son maquillage au point qu’elle n’osait plus sourire (ça ne faisait guère de différence). Elle serait droguée une heure avant les débats par son équipe rapprochée, qui n’avait plus d’autre choix que de la neutraliser, la réduisant à une icône blonde et muette - « et surtout, pas de gestes, hein ! Garde les mains sur la table ».

Les Républicains, en plein marasme, alignaient Wauquiez qui profilait sa belle gueule de vaincu sur les affiches. Le dévouement de ce type, tout de même. Les centristes avaient rejoint JMM à toute vitesse, Bayrou en tête, pour essayer encore un coup. Mais dans les sièges régionaux de campagne, les calculettes brûlaient les doigts.

La France Insoumise proposait une candidate et Mélenchon faisait le job à ses côtés, pas rancunier cette fois-ci (on l’avait copieusement engueulé avant, pour être sûrs, mais comme tribun on avait besoin de Méluche, d’ailleurs il se définissait lui-même comme ça, et ça tombait bien). Christiane Taubira était candidate. Martine Aubry était candidate. Nathalie Artaud était candidate. Les trente communistes avaient viré Laurent, Anissa Ghaïdi était candidate.

Les ING présentaient une candidate algéro-italo-française titulaire d'un bac pro vente et d'un master en sociologie, mariée à une Grecque fraîchement naturalisée.

Samia Ferraghi fut élue au premier tour en février 2018 avec un score de 62,1 %. Les commentateurs grimpaient aux rideaux des studios télé, on citait des chiffres inouïs de participation « jeune » et plus personne ne prenait la peine d'essuyer la poudre qui leur sortait des narines, il fallait tenir. A deux heures du matin il fut certain que la France avait voté à 92 %. Ferraghi n'avait pas eu besoin d'élaborer une stratégie compliquée : chaque démontage du projet Matheron recueillait l'aval de la majorité silencieuse. Insensible aux éreintages de la presse aux ordres, Ferraghi allait son chemin, sereine et lumineuse. Après son élection, son épouse refusa tout net de s'installer à l'Elysée et reprit son travail de pédiatre. On leur foutit la paix dans leur vie privée, ce qui prouve, s'il était besoin, que le harcèlement médiatique dont se plaignent les gens en vue provient essentiellement de leur narcissisme maladif et de leur besoin de s'exposer toujours plus en prétendant contrôler le phénomène.

Dans la foulée, les ING retrouvèrent leurs sièges de député.es. Pour la première fois depuis bien longtemps, les élections législatives avaient précédé la présidentielle, ce qui n'est que justice. Entre temps cette mouvance de jeunes ardent.es avait pris la mesure de ce boulot particulier : représentant.e du peuple, et ils étaient déterminées à s’y donner. A fond. Au passage, la Grande Rotonde du Palais Bourbon fut illico baptisée "Rotonde Stéphane Hessel".

Les porteurs de valises de la finance firent comme d’habitude, mais l’hémorragie prétendûment prévisible se révéla négligeable. Entre temps, ils avaient vu que, de l’autre côté des frontières, ça bougeait pas mal aussi, et reculaient devant d’inutiles placements qui leur reviendraient dans la gueule. La révolution mondiale, ça rend timide.

Le CAC 40 et ses patrons plaqué-or furent mis au pas presto. L’ISF rétablie, son assiette élargie, la taxation à 75 % in the pocket, rien n’arrêtait les ING. Le mouvement changea de nom pour un sigle hautement symbolique : 2018. Des partis "2018" naquirent en Europe et ailleurs. La tache d’huile devenait marée.

Les lobbies furent démontés l’un après l’autre. En Europe, la contagion 2018 fit des ravages dans les rangs des conservateurs aux élections de 2019 et la droite dure fut réduite à sa plus simple expression : un ou deux députés par pays. Et vlan !

La politique agricole commune vola en éclats, et la FNSEA à sa suite, comme d’autres gros « syndicats » agricoles européens. Les aides allaient massivement concerner une agriculture différente et, enfin, contrôlée sur le terrain et non pas par tracasseries administratives et remontées imbéciles de statistiques. Les circuits courts très subventionnés, le "faux-bio" traqué, démontage des fermes industrielles, libération des poules de batterie, les cochons remis au pré, les céréales semées joyeusement en place et sans labour... Une véritable fiesta verte allumait des feux de la St-Jean partout et à tout moment.

2018 allait maintenant s'attaquer aux gros morceaux : la politique de santé (la rendre aux citoyens, et la moins coûteuse possible, la plus publique possible), l'éducation, la culture, l'égalité des droits pour tou.te.s, la justice (Taubira retrouvait son ministère)... On ne manquait pas de chantiers : la fermeture de tous les grands projets inutiles, le réinvestissement des fonds publics dans des secteurs longtemps réduits a quia, la réinjection de fonds vers les associations d'utilité publique et assimilées, l'éducation populaire, la solidarité...

Et l'international.

CETA, TAFTA et autres gros traités scélérats ne s’en relèveraient pas. Les Etats-Unis étaient regardés de tous côtés. Mais en 2020, le démocrate mou qui avait succédé à Trump après la destitution de celui-ci (survenue elle aussi en 2018, décidément une bonne année), serait dégagé au profit d’une socialiste : tsunami de votes démocrates et gauche réunies, le pays était en pleine sidération et à la recherche d’un nouveau drapeau, l’ancien étant jugé vulgaire, agressif, vecteur de valeurs dévoyées. Le mouvement « No-flags » prenait de l’ampleur.

Le vent soufflait dru, et de partout. Israël était dans ses petits souliers, la Palestine relevait la tête, Erdogan préparait ses valises. Poutine savait que plusieurs contrats sur lui, très juteux et donc très attractifs, étaient en cours d’offres dans les milieux financiers russes, mais, surarmé, il tenait. Pour combien de temps ? Il était lâché par les tyrans locaux, Kadyrov & C°. L’Ukraine reprenait son souffle.

Martin Schulz rempilait en Allemagne, les Anglais faisaient comme d’habitude. En Espagne, en Italie, partout, 2018 raflait la mise aux élections locales et nationales. La Grèce respirait, Tsipras avait dû enfin écouter sa gauche. Soutenu par le mouvement global européen, il allait déclencher un mécanisme sans précédent, travail initié et transmis aux pays partenaires par Yanis Varoufakis via DiEM25. Emprunts toxiques envolés, les pays allaient pouvoir reprendre la main sur une redistribution des ressources, oh, pas parfaite, mais on allait faire ce qu’on pourrait.

La Chine, l’Iran, l’Egypte et quelques autres se concertaient, perplexes. Où se situeraient les prochains équilibres géopolitiques, les prochains enjeux financiers majeurs ? La vieille et conservatrice Europe s’était vue bousculer dans les grandes largeurs, les USA vacillaient, la Russie post-soviétique voyait ses jours comptés.

En Amérique latine, ça chauffait.

Il était temps maintenant de tendre vraiment la main au monde des migrants, réfugiés et autres dits « économiques », d’ouvrir les portes et de proposer une vie digne à ces gens qui allaient, dans les dix années à venir, peu à peu et pour une partie d’entre elleux, rentrer au pays et changer à leur tour la donne tandis que les autres continueraient de métisser une Europe qui en avait bien besoin. L’Afrique gonflait ses voiles, l'Asie s'ébrouait…

Pour faire un très beau rêve, il faut dormir longtemps…

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(*) Rompoltk : sur le modèle du "rompol" de Vargas, je forme le "rompoltk", comme "politik".

Note de l'auteure : sauf étourderie, il n'y a pas de fautes d'accord de genre des verbes dans ce texte. C'est juste une tentative pour nous habituer au féminin prépondérant. D'autre part, écrire/lire constamment avec les pluriels genré.e.s c'est fatigant et lassant, tout comme les "celleux" et autres "ellils" que pourtant j'essaie de semer, mais en me rendant compte que ça alourdit passablement.

Ce texte est une protoversion qui subira bien des toilettages.

Le récit, condensé, ne mentionne pas les sursauts, à-coups, coups durs et autres coups de pute que 2018, ex ING, subit, les traîtres de l’intérieur (il y en a toujours), les tentatives de noyautage, les menaces d’élimination politique et physique, et ne détaille pas les péripéties de la dissolution… Si l’on décompressait le fichier, il en résulterait un ennuyeux roman. Préférons donc pour une fois la vitesse, mot d’ordre qui devrait nous agiter, à partir de septembre, si l’on voulait, par hasard, s’inspirer de cette bien tentante uchronie.