Ca commence mal : la Taulière rate son train.
C'est là que le concept de la journée de vacances à quatorze kilomètres de chez vous prend tout son sens.
Le 11 h 50 est parti sans moi ? Casse la tienne, je prendrai le 12 h 04.

Budget vacances : 3,20 euros le billet aller/retour.
Temps de trajet : 9 minutes.

Difficultés particulières : ne pas s'endormir dès le départ et rater sa gare, qui se trouve la première sur la ligne Sainté/Lyon.

Prologue - le voyage

La Taulière, familière des longs trajets en train (jusqu'à 48 minutes les jours fastes), entre en songerie comme d'habitude dès le premier tour de roue. Quelle imprudence ! Et si elle allait oublier de descendre ? Alors elle rassemble ses impedimenta, se lève du strapontin et se place devant la porte. Elle guette l'arrêt du train, le verdissement de la pastille qui permet de déverrouiller et saute légèrement sur le quai descend pesamment du train sans encombre, celui-ci étant situé de plain-pied avec le quai normalisé : déjà l'imprévu, l'inconnu, le gouffre des possibles... « Saint-Chamond, Saint-Chamond, deux minutes d'arrêt. » Son coeur bat.

A 12 h 13 pile, la Taulière est attendue par sa copine Claire. Première émotion : on a failli se rater !! Claire est allée me chercher à l'avant du train, je suis descendue à l'arrière. S'ensuit un moment de pagaïe indescriptible dans la foule des 9 personnes descendues en même temps que la Taulière. Voie A ou voie B ? Claire et son invitée ne cessent de se manquer d'un poilou, l'une sortant côté cour pendant que l'autre s'inquiète côté rail. Devant la gare, la Modus de Claire est bien là, mais pas elle. Enfin si, on a vu l'éclair de sa silhouette (pantalon moutarde et pull gris perle) s'engouffrer dans la gare. Elle va bien finir par ressortir, se dit placidement la Taulière qui en a vu d'autres.

Croulant sous ses nombreux bagages (un sac en bandoulière de 288 grammes et un cabas de toile lesté d'une vaste écharpe de coton, d'une bouteille de Juliénas et d'une ou deux douceurs, soit au total 1005 grammes), la Taulière rejoint stoïquement la cour de la gare où réapparaît la Clairette aux abois : « … Ah te voilà ! Je me disais c'est pas possible ils me l'ont enlevée... - Et moi ! Quelle peur en ne te voyant pas, etc. »

On en rit mais je vous assure qu'on n'en a pas mené large pendant sept secondes. Imaginer ces vacances ratées ! Le retour solitaire dans le petit appartement, les bagages défaits, la piètre consolation du tire-bouchon dans un flacon de beaujolpif solitaire... Et, à quinze bornes de là, Claire pleurant devant son repas pour quatre (normal, nous sommes deux) et sa table déserte... Mais non. Ressaisissons-nous, tout va bien, on s'a trouvées.

Nous roulons ensuite pendant 6 minutes 34 secondes, le vent dans les cheveux, en direction de la villégiature clairienne dont nous tairons le nom afin que les paparazzi ne s'avisent pas de nous y attendre la prochaine fois et de faire son siège entre temps, guettant le moment où elle va se brosser les dents ou arroser son jardin. C'est un endroit perché, d'où la vue sur la vallée du Gier n'est entravée par quoi que ce soit. Le temps est idéal : frais mais pas glacial, un petit 20 degrés parfait pour le vin (nous sommes le 10 août), avec quelques embellies de soleil. Nous déjeunerons sur la terrasse.

A 12 heures 20 minutes et des brouettes, la Taulière et son hôtesse ont déjà presque bouclé le tour du monde de l'actualité. Il leur reste à se raconter leurs propres péripéties pendant les trois mois précédents (au moins), il va falloir organiser les temps de parole.

La Taulière entre en enchantement

Chez Claire, c'est la profusion de verdure qui vous saisit en bas de l'escalier extérieur. Impossible de nommer toutes les habitantes des rocailles et des pentes, tout ce qui va se nicher contre les rondins de bois de la montée, la Taulière étant très mauvaise en fleurologie. Tout au plus repère-t-elle plusieurs touffes rougeoyantes de cassolette vermeille, les gerbes dorées du sui generis, les élégantes volutes du ghirlandajo buissonnant et quelques feuillages argentés du ratus norvegicus pluricolor qui, comme son nom ne l'indique pas, est généralement monochrome.

La terrasse est bordée d'un magnifique et immense jardin de trois plants de tomates cerises, d'un parterre de roquette et de quelques autres comestibles et aromatiques, le tout soutenu et majoré par une aérienne et audacieuse structure de bambous d'au moins trois mètres carrés.

On blague, on blague, mais la vérité, c'est que l'enchantement est bien là, que cette terrasse est luxuriante et paisible à la fois, bordée qu'elle est d'un pré à vaches (pour le moment sans vache), la clôture d'icelui servant de cimaise à l'accrochage de divers éléments de décoration parmi lesquels on dénombre : un certain nombre de louches émaillées et peintes, de forme cylindrique, dont je ne sais pas le nom (n'ai pu le retrouver sur internet, cette boutique du monde s'obstinant à me présenter des porte-louches dont je n'ai rien à faire), des miroirs, de petits sujets (et n'allez pas imaginer des nains de jardin) et un sous-verre (sans image dedans)... Tout cela est joliment arrangé au-dessus d'un parterre bordé de pierres où prolifère une nouvelle jonchée de ces mêmes plantes au sujet desquelles j'ai plaisanté tout à l'heure parce que, vrai, j'ai oublié leur nom...

La maison de Claire, comme Kirikou, n'est pas grande, mais elle peut beaucoup : elle accueille, dégage la joie de vivre et la sérénité. La terrasse, où nous allons passer le plus gros de la journée, incite à la paresse (ça tombe bien).

Faire suivre son courrier en vacances

Une petite chose qui entretient l’amitié, c’est la correspondance, la vraie : lettres, cartes postales, ces trucs où l’on écrit matériellement, sur du papier réel, des mots qui nous tiennent à cœur et toucheront le cœur de celle qui les reçoit.

C’est dire la joie de la Taulière en découvrant chez son amie Claire qu’un courrier l’y avait suivie et même précédée (sans doute un facteur surdoué qui savait qu’elle serait, ce jour-là, en vacances à Saint-Chamond).

C’était une carte de mon amie Claire elle-même. Incroyable !!... Qu’elle avait écrite de Honfleur quelques semaines plus tôt. La poste étant ce qu’elle est, Claire avait eu bien raison de préférer acheminer elle-même le petit carton et l'apporter dans la Loire, au plus près de mon domicile c’est-à-dire chez elle, afin que je pusse en prendre connaissance un mois plus tard. Le délai de courrier vacancier, dont je suis moi-même adepte lorsque je pars, et qui me fait poster les cartes postales dix jours après mon propre retour, l'enveloppe portant, l'air de rien, le cachet de ma ville et non de ma villégiature (le summum étant atteint lorsque je dépose l'enveloppe timbrée directement dans la boîte à lettre des destinataires), avait peut-être un peu retardé cette sympathique cartounette. Du moins Claire était-elle sûre que la carte ne se perdrait pas en traversant la France de Nord-Ouest en Sud-Est.

Cette carte ne représentait pas du tout Honfleur, mais Pirou, où Claire n’était pas, ni moi d’ailleurs, mais où nous étions toutes les deux l’année précédente, au festival Pirouésie.

Une des (nombreuses) petites choses qui entretiennent l’amitié par le sourire.

Manducation et bibition sont les deux mamelles de la parlotte frénétique

Dire que tout était délicieux me tirerait d'affaire. Mais quoi ! Ca ne raconterait rien des saveurs délicates d'une salade riz-lentilles-saumon fumé-roquette (du jardin) parfaitement mêlée et à l'assaisonnement exact. Ni du mariage réussi d'une omelette aux herbes et d'une poêlée de boulettes kefta, courgettes, tomates, champignons et autres merveilles. Ca ne restituerait pas l'assiette composée de minuscules figues fraîches du Garon (ne cherchez pas), de confiture de ces dernières, d'une louchée de glace à la vanille bourbon de chez Saveurs de nos Fermes (aux oeufs frais sans fipronil) et de deux mini-cannelés. Je vous avais prévenu.e.s.

Ah oui, j'allais oublier : dans la salade, il y avait plusieurs de ceci :

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Je ne voudrais pas faire l'impasse sur cet ingrédient particulièrement goûteux, mais il ne m'appartient pas de spoiler son histoire, que va vous conter Claire en direct (enfin, elle ne va pas tarder).

Le vin, banal au débouché - forcément, avec un voyage pareil, il avait souffert - se révèle petit à petit. Vous avez remarqué comment les vins s'ennoblissent au fur et à mesure que les verres se remplissent ? Le café, parfait, Claire, j'avais oublié de te le dire...

Eh bien voilà la moitié des vacances de passées, se dit la Taulière les mains croisées sur l'estomac, en proie à une singulière béatitude qui nécessiterait un treuil pour la soulever de sa chaise.

A ce stade de la journée, la voisine mitoyenne (qui heureusement est une copine) a déjà pris deux cachets pour dormir, le rythme des bavardages et gloussements ne tarissant pas de l'autre côté du claustra qui sépare les deux appartements. Il est temps d'aller faire un tour pour lui faire, à elle aussi, des vacances.

Un petit tour du village, un coup par en haut, un coup par en bas. On ricane impitoyablement des grosses baraques à piscines dont l'architecture et l'esthétique (tranquille) font penser qu'elles ont été achetées chez Trump Resorts. On s'interroge sur une maison toujours fermée, on se prend deux ou trois vents de mélange deux-temps pétaradés par les inévitables ados boutonneux en pétrolette qui foncent à leurs affaires d'ados boutonneux, et on se fait copieusement aboyer par toutes sortes de clébards dressés au service de la propriété privée et qui ne sont pas regardants sur la notion de voie publique.

Ayant fait leurs deux kilomètres, les commères jugent le temps venu de se préoccuper du thé et des petits gâteaux. Dont acte, retour à la terrasse. La Taulière essaie de se remémorer le nom de la belle grimpante à corolle écarlate, là, en haut des marches... Peine perdue. Mais elle se souvient de la passiflore le long du mur. La passiflore (passiflora incarnata) est une fleur réellement intrigante, on ne sait pas comment c'est fait : c'est aérien, c'est bleu passé... Ca porte un top dénudé à franges et une jupe à plusieurs lés. Dans son coeur tourne la petite roue dorée du temps et sa variété officinale est bonne pour votre sérénité. Sa simple contemplation aussi.

Et voilà ! Il est l'heure du train de retour, des adieux déchirants, de tout ce qu'on devait se dire et qu'on a oublié...

Sur le quai, en attendant le 19h47, on trouve qu'il fait bien frais et venteux. Alors on sort la grande écharpe à pois, et on la dispose sur nous deux, ce qui nous couvre le haut des omoplates et un tiers du bras chacune. C'est moins douillet que si une seule se l'était appropriée, mais plus que pour l'autre qui ne l'aurait pas. Ca s'appelle le partage et ça tient chaud.

Chère Claire, j'ai sans doute fait l'impasse sur les trois quarts de ce qui a fait la saveur de cette journée et la générosité de ton accueil, mais j'ai bien en tête ta promesse : vite, l'histoire des olives d'Euripide - et complète, hein, avec le bonus !

Et rendez-vous pour les prochaines vacances d'automne à Saint-Etienne ;-)

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Addendum : des effets des vacances sur l'organisme

D'une manière en apparence inexplicable, aussi bien Claire que moi, toute la journée d'hier, nous sommes crues vendredi. Eh bien, je ne saurais trop recommander cette méthode d'étirement du temps, sans doute une conséquence de "l'esprit des vacances". Nous avons donc bénéficié d'un très long vendrejeudi passé ensemble, plus un vendredi vendredi aujourd'hui pour la raconter. On serait dimanche demain que je ne serais pas autrement étonnée, ne serait-ce que pour jouir du fait, au réveil, de constater que non, on n'est que samedi.