Question 1 - Ça vous fait pas peur d’embarquer dans un projet avec un complice aussi dangereux ?

Mr K :

Ah bon, il y a une barque, maintenant ? je me demande si je ne vais pas réfléchir un peu, finalement.

La Taulière (elle rit) :

Vu tous les gens dangereux que j’ai fréquentés, si j’avais eu peur d’embarquer dans un projet avec eux, je n’aurais pas fait grand-chose ! Je n’ai pas fait grand-chose, d’ailleurs… Vous savez, en affaires, lorsqu’on s’associe avec quelqu’un qu’on évalue, disons, sur un curseur de 1 à 10 en termes de dangerosité, vers 9,9999… Eh bien on prend quelques assurances. – Non, je ne dirai pas lesquelles, sinon ce ne seraient plus des assurances, n’est-ce pas ? (rires).
Après, s’embarquer… en août 66 je me suis trouvée en Corse dans une crique, sur une vedette de la gendarmerie, quand on s’est fait canarder depuis la montagne en face (*), alors faut relativiser. Quand vous avez entendu le « dzouiiiinnnng » des balles sur une coque de bateau ou quand vous avez vu en face l’orifice du canon d’une arme chargée… Comme on dit, « cette anecdote me semble significative, mais je ne sais pas exactement de quoi. » (Perec, Penser/Classer, Hachette, Paris 1985).
Et puis, Mr K, vous n'êtes pas tout à fait un inconnu. Je vous lis depuis quelques années, je suis votre blog régulièrement, j’ai pu prendre la dimension du bonhomme… J’y vais donc en confiance. Enfin, si je peux me permettre, à travers cette interview, de vous faire passer un message : pour monter à bord, Mr K, sachez que je porterai soit des bretelles soit une ceinture, soit une bouée canard… mais pas les trois.

(*) Cette anecdote-ci est rigoureusement authentique.

Question 2 - Vous avez parfois recours à la contrainte oulipienne. Diriez-vous qu’elle est assimilable à une méthode de contention utilisée dans les asiles d’aliénés du 19e siècle, ou à une technique de pointe en liposuccion ?

Mr K :

Ne connaissant qu’assez peu la liposuccion, qui ne figure pas dans mes centres d’intérêt les plus immédiats et, à titre personnel corporel pas du tout, je pencherai plutôt pour une méthode en cours dans les asiles d’aliénés, en une version modernisée, c’est-à-dire sournoise et furtive, quasi-kafkaïenne ou désertartaresque, si ce n’est quatrevingtquatrienne, dans le sens où l’on n’est pas forcément conscient de l’asile, qui est vraiment dedans ou dehors, au point que le dedans pourrait être dehors, il suffit de trouver la porte, mais y en-t-il une, est-ce vraiment une porte et n’a-t-elle pas été montée à l’envers, simple exemple de l’absurdité relative qui nous empoigne régulièrement.

Ce qui me fait dire volontiers que la contrainte oulipienne n’est peut-être qu’une belle métaphore, une allégorie ludique dans cette affaire absurde et paradoxale où la liberté naît de la contrainte, se construit, et peut-être parfois se mérite… Si l’on ajoute à un niveau superficiel et spontané que contrainte, ça rime avec complainte, en tant que rat oulipien dans mon labyrinthe, je ne vais donc certainement pas me plaindre.

La Taulière :

Tout ensemble ! Je renvoie le lectorat à la Conférence « Pour en finir avec le jugement de Dieu », d’Antonin Artaud, dont je recommande l’écoute, en particulier les minutes 26 à 30 « lorsqu’on me presse et qu’on me pressure jusqu’au départ en moi de la nourriture (…) on m’a pressé jusqu’à la suffocation en moi de l’idée de corps » etc. On est fondé à se demander si l’OuLiPo n’y était pas tout de même pour quelque chose, si l’on écoute bien le cri du conférencier à la minute 28.

Bien que, lipogrammatiquement parlant, on puisse adhérer à la posture artaudienne.

On remarquera au passage que, dans la présente réponse, j’ai adopté une double contrainte : d’abord des lipogrammes en x et z (1), puis un magnifique homomorphisme (2) d’une autre page de moi, que personne n’a lue, comme ça je suis tranquille.

A suivre...

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(1) Lipogramme : un texte dans lequel l’auteur s’impose de ne jamais employer une lettre, parfois plusieurs. Se trouvent ainsi proscrits les mots qui contiennent cette lettre ou ces lettres. Ex : Le roman de Georges Perec La Disparition est entièrement écrit sans la lettre e.

(2) Homomorphisme Principe général : produire un texte qui a la même structure qu’un texte-souche. Les divers types d’homomorphismes dépendant du choix de la structure : homosyntaxismes, homovocalismes, etc.

Définitions données sur le site officiel de l'OuLiPo