Sur le programme des balades du lundi de notre club des subclaquants, la secrétaire (qui secrétarie très peu, ignore la notion de relecture de ce qu'elle "rentre dans son ordi" et, d'une manière générale, ignore même les fondamentaux de ce métier incertain : le secrétariat, profession tout aussi dépassée que l'allumage du poste dans notre billet d'hier), la secrétaire, donc, avait fait figurer pour hier une marche au barrage "de l'Echarpe". Très bien.

Les promenades aux barrages sont fort prisées par ici, tant il est de petits et moyens cours d'eau retenus, en général aux fins de réserves d'eau, ou pour d'autres causes discutables, voir plus bas.

La Taulière rêvassait dans le bus qui, avec d'interminables virages, nous transportait d'un point à un autre assez éloigné du premier (20 minutes), pour ensuite quitter ce premier bus, traverser la rue et reprendre une autre ligne en sens inverse, laquelle nous ramenait en arrière de la moitié, sans qu'aucun.e de nous ne puisse comprendre les intentions de l'animatrice, laquelle ne semble jamais se rappeler que, pour arriver au point de rendez-vous du départ, la plupart d'entre nous effectue déjà un assez long trajet en tram, bref, hier c'était une spéciale STAS (le transporteur local), bref, bref il semble que ce demi-retour en arrière était nécessaire pour aller chopper le chemin convoité, enfin la Taulière rêvassait à ce nom "barrage de l'Echarpe" et cela lui donnait des visions de montagne, de sous-bois, d'écharpes de brume, de ruisseaux glougloutants, de fraîcheur verte et de parfums d'alpage...

Avec ça que le panneau du bus indiquait "barrage de l'Echapre". Bien. Notre vaillante secrétaire s'aura encore gourée, ce que confirme une dame du coin qui regarde avec une curiosité bienveillante notre troupinette de vioques en goguette, bâtons en avant, sacs au dos, qui s'est précipitée dans le bus à une heure pourtant réputée paisible et l'a rempli de ses jacasseries high-level (la plupart d'entre nous ont l'audition bien diminuée).

Après une grosse heure de transports en commun, nous voici donc en train de marcher (queue-leu-leu, affinités diverses, traîniaud.e.s habituel.le.s, considérations météorologiques, nouvelles locales).

Tout en gravissant la rue en forte pente qui permet d'accéder à une petite route elle aussi montante, laquelle débouche sur un sentier qui descend sur dix mètres et grimpe ensuite continuellement sur deux kilomètres (c'est ce que les gens du coin appellent une balade où "ça monte pas", la première fois la Taulière s'y était laissée prendre mais maintenant elle comprend finement l'art local de la litote), la Taulière observe un paysage assez commun dans le coin : défilé encaissé, chemin de lisière surplombant des usines de la vallée dont l'une produit un bruit mécanique assez envahissant et une forte odeur de sciure. - Ca doit être une scierie, lance la Taulière pour dire quelque chose.

- Comment ?
- UNE SCIERIE.
- Ah, je ne sais pas.
- Non mais ça sent le bois.
- Comment ?

Laisse tomber. Un vieux pote arrive à ma hauteur : - y a une belle scierie là en bas, dis-donc.
- Comment ?

Bon, nous avons enfin embrayé sur le sentier du barrage de l'Echarpe, chapre, bref, mes visions bucoliques s'avèrent pour une part exactes. Il y a bien une route qui, sur le flanc d'en face du vallon, laisse filtrer des baroufs de camion mais suffisamment sporadiques pour n'être pas gênants. La Taulière demande la route de quoi, ou plutôt, d'où ?

- Ah oui, tiens, qu'est-ce qu'y a donc après Firminy ?, demande Solange, à qui les nouvelles de Galilée ne semblent pas être parvenues et qui doute que, sur une planète plate, il puisse y avoir quelque chose après Firminy, une civilisation... - St-Just-Malmont, Dunières, récite quelqu'un dans notre dos. Nous sommes à la frontière de la Haute-Loire, les gars ! Pour le reste, tout y est de ce que l'Office du tourisme pourrait promettre : chemin serpentant, belles échappées, au fur et à mesure que nous grimpons, sur les montagnes d'en face, pâtures et forêts. Et le ruisseau, d'abord discret puis franchement exubérant, qui laisse tomber des rideaux de flotte d'un vieux mur moussu jusque dans une petite cuvette sableuse, un délicieux coin à tremper les pieds.

Mais nous ne nous arrêtons pas, car la religion du groupe emmené par notre sympathique mono se résume en quelques mots : marcher 3 heures, faire au moins 10 000 pas, garder le rythme, on marche pour la santé, faut pas rigoler, avanti. La flânerie et les interrogations sur la flore ne sont pas de mise. Ca tombe bien, nous ignorons le nom de ces belles fleurs roses portées, une à la fois, la tête en bas, au bout gracieusement courbé de hautes tiges où s'alternent des feuilles cordiformes bien qu'un peu lancéolées sinon légèrement acuminées, voyez... - Ca serait pas du lilas d'Espagne ? demande Solange hardiment. - Je ne peux pas te dire, je ne sais pas ce qu'est le lilas d'Espagne. Ca fait des fleurs comme ça ? - Ben non, plutôt des fleurs serrées mauves, comme des buissons... - Ce que tu me décris, c'est une sorte de valériane, non ? - Ah pas du tout, etc. (ben si, Solange, ton lilas d'Espagne c'est de la valériane rouge, Centranthus ruber. Et ça ressemble autant à ce qu'on a vu au bord du ruisseau que moi à Fanny Ardant).

Bon, voilà le barrage. Il barre quoi au juste ? Ben l'eau, pardi. C'est la réserve potable de Firminy, dit le vieux pote qui va me raconter plus tard une autre et navrante histoire de barrage.

Eh bien dis-donc, au vu du niveau de la flotte, les Appelous (*) doivent pas beaucoup boire frais. Un ouvrage bien gros et bien haut pour le filet d'eau qui n'arrive même pas à un mètre au-dessus du pied du barrage, une lagune sale...

L'insatiable curiosité de la Taulière l'a poussée, sur place, à demander le nom de la rivière. Car après tout, ici les barrages portent des noms qui ne renseignent pas sur le cours d'eau : le Pas-du-Riot, le Gouffre d'Enfer, Planfoy...

- G'est gnnnl Val-Jgnnnry, répond un bon vieux qui a eu bien du mal à venir jusqu'ici, même qu'il a failli abandonner en route.
- Comment dites-vous ? Valfleury ?
- Noon... G'est gnLgnnne Val-Jgnnnéérgnny !

Laisse tomber.

Mais alors, mon bon Georges, à supposer que j'aie compris ta réponse (j'ai pas voulu insister, faire répéter trois fois c'est pas poli), où serait donc passée l'Echapre, rivière de 10 kilomètres dont le filet restant va se jeter dans l'Ondaine qui elle-même rejoint la Loire un peu plus bas et qu'Internet mentionne comme étant barrée sur la commune de St-Just-Malmont, où nous nous trouvons présentement, pour servir de réservoir à la ville de Firminy ?

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Eh bien, direz-vous, quel est donc le rapport entre cette balade certes pittoresque, et le titre de ton billet ? J'avions oublié en route, vous savez ce que c'est... - Quand j'étais petite, minaude Solange, ma mère disait toujours que j'étais un vrai saccaro (orthographe non garantie). Je déchirais mes tabliers, j'étais toujours en train de courir, un vrai garçon manqué. - Saccaro, dis-tu ? Eh bien dans la région de mes parents (la Dombes, province à cheval sur l'Ain et le Rhône - les départements, pas les fleuves), on dit "chabraque" : "c't'une vraie chabraque, cette fille". - Eh bien chez moi, chantonne l'accent méridional de notre animatrice, c'est une bimbourle. Ca sonne assez joliment, en deux syllabes percutées et un "r" qui roule comme un torrent sur les cailloux.

Saccaro de la Loire, Chabraque de l'Ain et Bimbourle du Gard cheminaient en devisant...

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L'histoire de barrage de mon pote Michel :

La Semène (je n'ai pas fait de faute, c'est le nom d'une rivière du coin) coulait tranquillement du côté de St-Genest-l'Herpt (ne vous contorsionnez pas les incisives, prononcez simplement sainj'nèlaire).

C'est la triste histoire d'un barrage érigé en 1957, qui craqua en 2003, causant une mini-catastrophe écologique, la montée au créneau d'associations comme "Loire vivante", et une guerre des communes et des associations.

Pendant les dix années où le barrage, ouvert en sa base, avait laissé la Semène se reconstituer, on avait vu cette rivière reprendre vie. Las, provisoirement. Le barrage, qualifié de "plus bête de France" par Reporterre, fut reconstruit en 2014, selon les vues étroites de maires préoccupés d'intérêts discutables mais certainement pas publics.

Quant aux poissons, déjà fort secoués par la rupture de 2003 et étouffés par les limons, ils ont manifesté, l'été 2016, un inconfort certain, s'étant retrouvés ventre en l'air suite aux baisses de niveau d'eau et à cette retenue qui ne retient rien, même pas les leçons de nature.

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(*) Appelous, Appelouses : gentilé des habitants de Firminy