... Bientôt 5 aux frimas de janvier : Luz est une personne absolument épatante !

Parmi les bonheurs d'être grand-mère, il en est un dont on ne se lasse pas : c'est la découverte, chaque fois, de personnalités différentes et de leur éclosion chez nos petits-enfants. Vous me direz : nous sommes tous différent.e.s, c'est banal. Oui mais non. Dans les familles, on aime bien, en général, jouer au jeu des ressemblances, isoler ici ou là tel trait de caractère et le rapporter à l'un.e des ascendant.e.s.

Eh bien, je dois dire que la personnalité de Luz semble pour l'instant échapper à cette basse tentative de récup ("c'est tout moi à son âge !"). Voilà une petite fille qui gouverne sa vie avec une sereine autorité - celle qui lui faisait répondre déjà, vers 3 ans, sur un ton amical et conciliant : "Booh, noon..." à toute suggestion de notre part (douche, sieste...) si celle-ci ne cadrait pas avec ses projets immédiats.

Dans notre famille où les femmes sont en majorité des féministes sans concessions, Luz a imposé avec une force tranquille la couleur rose et l'horreur du pantalon. Inutile pendant longtemps, plutôt difficile encore, de lui faire passer un vêtement qui ne soit pas d'une nuance de rose, de préférence juponnant, en tout cas féminissime. Certain déguisement de princesse arrivé à Noël l'autre année, elle le porte facilement toute la journée (mais n'oublie pas de mettre dessous, s'il fait frais, de confortables collants de laine. "Rose foncé", précise-t-elle). Ca ne l'empêchera pas de se ruer sur son frangin pour essayer de lui mettre une peignée dans des bagarres au sol qui ressemblent à s'y méprendre à une compet' de judo (Jules, 9 ans, fut ceinture jaune dans son jeune temps).

Bien sûr, Luz aurait tant adoré les "pantoufles de verre" à talons, en plastoc transparent, qui vont avec la robe princière. Mais là, il y a eu veto, pour la sécurité des chevilles. Luz supporte vaillamment la frustration, mais lorsque les catalogues de jouets arrivent, elle rêve sur la page des escarpins pailletés... Preuve de sa maturité, nous nous trouvions avant-hier devant mon écran, en train de regarder justement les costards de princesses, puisqu'il est question d'actualiser la lettre à ce vieux chenapan de père noël : "fais voir les chaussons..." demande Luz, qui a intégré l'idée que la chaussure royale doit être d'abord confortable (je soupçonne sa mère de lui avoir vendu un fake, comme quoi les princesses vont en pantoufles). Puis elle arrête son choix sur une robe, mais y renonce en détaillant l'enfant mannequin qui la porte, et dont les mains potelées dépassent des manchettes à dentelle : "Non, pas celle-ci, elle a des gros doigts". Luz apprécie donc le costume dans sa globalité. Craindrait-elle secrètement que les manches de la robe ne lui potellent les doigts ?

Ainsi va la vie de cette benjamine d'une équipe de trois, blonde aux yeux noirs et au regard facilement perçant, grande et bien charpentée, et qui suit son petit bonhomme de chemin, s'affirmant au sein d'une famille où certes elle occupe le rang ultime, mais n'est pas pour autant placée sur un piédestal. Ses sages parents lui donnent toute sa place, rien que sa place. Aussi grandit-elle dans ce tendre noyau sans se priver d'aucune découverte : intrépide au milieu des espaces naturels ou aires de jeux, absorbée dans toute lecture, capable de passer une journée sans réclamer le moindre "temps écran" (dont son frère et elle tiennent une comptabilité pointilleuse), et surtout en pleine débauche de créativité, comme il est de rigueur à cet âge où rien ne vient discipliner les fulgurances artistiques : dessins de bonshommes échevelés, traçage de lettres majuscules (sa marotte du moment, marotte drôlement auto-formatrice, soit dit en passant)...

Luz débarque chez sa Mamie avec une valoche de petits sujets (play machins ou polly trucs), des objets précieux qui sont dans la famille depuis l'enfance de l'aînée. On doit alors jouer "une partie" avec elle, ce qui consiste à lui donner une réplique crédible (il faut faire "les voix") dans des scénarios bien arrêtés, au sein d'un décor pléthorique, rose et pailleté, of course. Maison dépliée, lits à baldaquin, coiffeuses drapées avec miroir pivotant (1 centimètre carré, une face lisse, une face pré-brisée), animaux sans distinction de jungle ou de ferme, la "partie" s'étale sur la moitié du lit, de minuscules bonnes femmes se changent à longueur de journée, la paire de chaussures tiendrait dans un petit pois...

La partie terminée, Luz réclame des feuilles et prend ses feutres. S'ensuit une absorption complète dans divers travaux que je n'ai pas vus, occupée que j'étais à coudre pour Elisa (la poupée) une robe de tous les jours. Je vous le dis, la couture de machins de poupée, c'est what mille fois plus dur qu'un vêtement de "grand". Bon sang, ces petites emmanchures qui baîllent, le casse-tête de la tête, justement, qui ne passe pas par l'encolure, etc.

La journée prend fin, les parents viennent chercher Luz, on se serre dans les bras, dernier câlin, bisous, bisous...

... Et puis rangement ! Dans la tourmente, je retrouve une brosse à cheveux (rose), une petite assiette de dînette et un paquet de feuilles. Recouvertes de mots :

LR, LUI, UR UIEU
IUO (pensez à lire de droite à gauche : OUI ?)
ULF, AOLUB (boulot ?), IMEO, LZEG
OZUL (les Z sont toujours tracés dans l'autre sens, la transversale de gauche à droite)
IOO, ILO, EURU, OLRU

et puis, en très gros : LIEU.

Ranger soigneusement ces manuscrits précieux. Se souvenir que, tandis qu'elle écrivait "LIEU", ses parents s'affairaient à trouver un logis dans le secteur, puisqu'il est question que la familia plante prochainement ses pénates en Armeville (1)...

================================================
(1) Armeville : nom donné, brièvement, à Saint-Etienne vers 1792, dans le cadre de la politique de "déchristianisation" de la Convention.