Pour savoir dekoitessedon qu'il s'agit, on peut aller lire la page du 12 novembre des Diffractions, où c'est très bien expliqué. Bon, jusque là je m'en sors pas mal.
Je résume :
Espiguette, metteuse en page de belles photos, nous en a offert une : voir ici, qu'elle a bien choisie, bien choisie, vouiiii... avec, pour mission, la décrire/analyser/commenter. Fastoche. Merci, Espiguette !
N.B. - quoi qu'on ait déconné, la solution est évidemment dans une de nos trois pages.
Mais pour savoir ce qu'il en est advenu, allez vite regarder la page d'aujourd'hui de Mr K, en ligne depuis 6 heures 30 pétantes. Sinon, voyez ci-dessous mon hypothèse.
On est donc censés faire ça en mode délire, à la façon des Décraqués (également "Tombés dans le pano" de France Culture, Bertrand Jérôme et Françoise Treussard), une équipe qui n'avait peur de rien de 1984 à 2004 jusqu'à ce que Laure Adler leur ferme l'épicerie. On pouvait y apprendre par exemple que "Le serment des Horaces" de David racontait la pose de rideaux dans un appartement neuf par une équipe de décorateurs ou le montage d'un meuble Ikéa, etc. Des choses comme ça.
Cette contrainte-là du "décraquage", c'est nous qu'on se l'est appliquée en plus de celle obligeamment fournie par Espiguette. On aime avoir mal.
Alors vouallaa... :
Mmmh... Aheum. Pfff... Allons. Ah. Oui. Donc... Ca y est, je me rappelle maintenant.
Tout le monde a plus ou moins vu - au moins en photo - les trombines des quatre présidents américains sculptées dans le granit du Mont Rushmore aux Etats-Unis d'Amérique.
Eh bien, nous aussi, on a notre propre visage sculpté dans la pierre. C'est à Mers, près du Touquet, et je vous dirai pas où exactly, ce serait trop facile. Vous ne le saviez pas je parie. Moi non plus mais je me suis renseignée.
Ce visage de pierre que vous voyez sur l'image qu'Espiguette a dénichée là-bas est facilement reconnaissable. Non ? Allons, un effort... Non, ce n'est pas E.T. comme certains pourraient le prétendre. Ni Homer Simpson après un régime drastique. Bon, je vais vous aider.
Vers 1956, un Mersois, qui avait servi de modèle pour le personnage de Chick dans "L'Ecume des jours", du regretté Bison Ravi, a entrepris de sculpter dans une dalle de pierre enfouie dans le sable (de sa Rue du Quai, où il résidait habituellement, à Mers), le visage de son idole, Jean-Paul Sartre (le Jean-Sol Partre de "l'Ecume..."). Fondu de Sartre jusqu'à l'imbécillité, notre Mersois se baladait toujours avec "l'Etre et le Néant" dans la poche gauche et les "Situations I à X" dans la poche droite, ce qui lui donnait une démarche un peu bancale et de grosses fesses bossues, car c'était dans les poches arrières de son patalon.
Le gars, qui n'était pas de la dernière habileté à la gouge et au burin, a pas mal tiré la langue pour réaliser son oeuvre. Il a cependant magnifiquement choppé l'expression du regard (un peu biaisé, ha ha), ne trouvez-vous pas ? Et il a tenu à dessiner sur le visage de Sartre les lunettes tordues du philosophe après que celui-ci s'est fait casser la gueule par de petites frappes d'extrême-droite un jour qu'il vendait la Cause du Peuple devant chez R'nault. Le sculpteur bénévole conservait d'ailleurs dans son petit musée personnel (hélas recouvert depuis par une grande marée de 1964) les fameuses lunettes en écaille à la monture fendue et au verre gauche étoilé, fidèlement reproduites sur la sculpture, ainsi que deux ou trois mégots collectés au Flore lors d'un voyage scolaire en 1948.
Vous ne remarquez rien au niveau du front ? Si, n'est-ce pas... Ce n'est pas du tout le front de Sartre. D'ailleurs, regardez ici une photo du grand homme. C'est bien lui, hein. Mais jusqu'avant le front.
Michu d'Mers, ainsi s'appelait le sculpteur d'occasion, avait une deuxième passion : Camus. Albert Camus. Comme pour Sartre, il en collectionnait les livres et les photos et s'amusait souvent à rouler une grosse pierre de la plage de Mers au sommet de la falaise, il se prenait pour Sisyphe. Au bar du coin, comme il avait tendance à beugler un peu après deux canons, on l'avait surnommé "L'Homme révolté" ou "La Nausée".
Camus étant beau gosse, il n'est pas exclu que Michu ait eu une petite émotion amoureuse, à moins qu'il n'ait préféré les petits moches (ainsi se décrivait Sartre lui-même). Dans la poche de devant de sa vareuse, Michu transportait les oeuvres complètes de Camus, pour équilibrer avec Sartre par derrière.
Jamais Michu d'Mers n'a pu départager son coeur entre Sartre et Camus. Ayant conçu le projet de les sculpter ensemble, bras dessus bras dessous, en train de déambuler sur le Boul'Mich' complètement pétés au whisky (il en buvait lui aussi pas mal pour communier avec ses idoles), il fut brisé par l'annonce de la brouille entre les deux philosophes. Michu d'Mers, démoralisé, pensa renoncer à son grand oeuvre.
Or, il avait commencé à tracer Sartre sur la pierre, et venait d'achever les lunettes. Ca donnait un truc qui ressemblait un peu aux bonshommes que dessine ma petite fille de 4 ans sur des feuilles volantes qu'elle pique dans mes documents à classer. Mais Michu, en bon Picard, n'était pas du genre à baisser pavillon. Il réfléchit, le front plissé, longtemps...
Soudain, il eut l'illumination : un grand front étroit, un visage tout en longueur. La bouche pincée sur une Gauloise. C'était Camus !! Son cher Albert !... Frappant, non ?
Oui, mais voilà : il voulait garder aussi le célèbre regard sartrien qui vous demande l'heure à bâbord en vous indiquant l'horloge à tribord.
Eh bien, casse la tienne : Michu allait réaliser le syncrétisme majeur. Celui que personne n'a osé : ni les bouddhistes de Hare Krishna ni les coptes égyptiens, ni l'Alsace-Lorraine, ni les socialistes frondeurs avec Méluche. Il sculpterait ses deux idoles dans le même visage.
C'est ce qu'il fit, et il appela cette sculpture : Sartrus ensablé.
Personne n'a jamais rien su de cette tentative couronnée de succès - selon son auteur - et que les touristes et autres habitants de Mers piétinent allègrement sans se douter des implications philosophiques de cette figure de pierre. C'est à Espiguette que l'on doit de l'avoir immortalisée une deuxième fois, cette oeuvre naïve de dévotion.
Regardez encore : indubitable, n'est-ce pas ?
Quant au mégot coincé dans la bouche de Sartrus, il a malheureusement disparu, parce que Michu avait mis un vrai mégot, un de ceux de son cher JPS. Avec l'érosion, de nos jours, on n'est plus sûr de rien.
Bonjour. Je viens de chez Espiguette. Je suis soufflée par cette présentation car en y bien regardant, (j'ai dû ressortir mes lunettes que Michu ne m'a pas volées) avec mes binocles, tout s'est éclairé d'un jour nouveau. Mais bien sûr "la chute" est vraie, il s'agit bien de Satrus, ces grands hommes qui ont marqué l'histoire de la philosophie et de la littérature.
Michu n'est pas "l'étranger" de la philosophie. Il paraît qu'il a tout lu de Démocrite à la revue mensuelle "Philosophie".
Je pense que Michu est "Le premier homme" sur terre à avoir tout lu. Ce qui en fait un type hautement intelligent. Mais une fois, car je l'ai quand même rencontré une fois quand je suis venue visiter son village perdu, il m'a dit qu'il avait parfois "La nausée" de lire autant et que c'était parfois déprimant de se rendre compte que "l'enfer c'est les autres". Il se disait souvent "l'homme révolté".
En l'écoutant, "la mort dans l'âme", nous sommes arrivés devant le troquet de son village et là, on a pris une bonne cuite. Il était tellement pété que "la chute" de sa chaise a été plutôt lourde et depuis lors, il marche de manière plus bancale qu'avant. Il m'a dit vouloir acheter tous les bouquins édités par la Pléiade et les mettre dans une des poches avant de son froque pour rééquilibrer le tout.
La vie, c'est quand même bien. J'espère qu'il va devenir célèbre le Michu, grâce à vous.
Je lui dirai de venir vous lire. Il sera touché! Et sa femme Simone sera fière d'être mariée au descendant de Giacometti.
;-)
Bonjour Dédé lectrice d'Espiguette ! Et grand merci pour le passage ici, votre post appréciateur et en plus bourré de détails très intéressants sur la vie de Michu d'Mers. Vous apportez là un éclairage nouveau pour ce grand sculpteur, comme par exemple le fait qu'il ait épousé une Simone : il a dû la sélectionner pour le prénom, n'est-ce pas :)
Enfin, voilà qu'un "Sursis" est accordé à son oeuvre grâce à nos efforts conjugués, et qu'il n'aura pas eu "Les mains sales" pour rien.
Au fait, le Michu est-il encore de ce monde ? Ne doit pas être tout jeune... Aurait-il laissé une descendance qui aurait maintenant "L'âge de raison" ? Encore bien des questions, et "La peste" soit des critiques qui n'apprécieraient pas son art brut ;-)
Mais peut-être n'est-ce là qu'un "Malentendu", car plus que jamais "L'Existentialisme est un humanisme" et ce n'est pas Michu qui me contredira.
J'ai lu vite fait ce matin et là je viens de reprendre posément le temps de la relecture.
Oh que c'est du bon !
La petite histoire rejoint la grande et tout ça, ça fait une super histoire, et surtout pas d'histoires ! Des anecdotes bienvenues, un tas de détails dont j'aime la progression dans le récit et le registre. Les passerelles inventées et imaginaires tricotent des rencontres et explications improbables dignes de garçons-coiffeurs.
Donc vraies, bien sûr.
Et, seule prévision de ma part, je n'avais certes pas d'idée de ce que j'allais lire aujourd'hui mais je me doutais déjà que ce serait fort différent. C'est d'autant plus précieux.
Quant au Michu, il mérite sa statue !
Merci ! La statue du Michu, je suis en train de repérer un site dans les collines environnantes pour la lui faire, mais alors : mahousse, du genre qu'on verra depuis Lyon quasiment, en regardant vers le Sud-Ouest. Pas au burin, mais à la dynamite. Parce qu'il le vaut bien ! ;-)
Pareil que K, découvert ce matin, pas trop vite fait, mais méritant largement une deuxième lecture ... Et pis sur ce coup là, faisant la troisième face de la pyramide, jeum' faisais pas ben grosse ...
J'ai pensé à Pessoa en référence à la couverture d'un bouquin qu'un jeune homme lettré m'a offert alors que j'étais moi même pas si vieille, mais moins jeune. Je partais à Lisbonne. Impossible aujourd'hui de retrouver ce bouquin: une visite de Lisboa par M. Personne lui-même (merci Ghislaine pour la trado, je ne savais pas). L'image de la couverture du livre (petit format rectangulaire étroit et très haut, style actes sud) représentant l'homme est restée dans ma mémoire jusqu'à aujourd'hui. Les textes aussi. Bref ! J'ai hésité aussi avec les Sartrus. Tous des intellos hein? (cf votre post précédent).
Bon, c'est pas tout ça ... Keski d'vient eul' père Michu d'Mers ? Si j'avais su, je me serai mise sur sa piste et l'aurai envoyé à la médiathèque rapport à Pessoa ... J'parie qu'il a jamais quitté sa falaise, ça lui aurait fait voir du pays. Tu t'embarques à Dieppe sur un bâtiment quel qu'il soit pourvu que la destination soit la bonne ...
Allez, c'est pas tout ça: c'est de la bonne bourre, du plus-mots, du bonheur que de vous lire la Taulière, pourvoyeuse de judicieuses et précieuses références et toujours avec cette gouaille savoureuse que j'aime dans votre écriture, et je tente cette conclusion: comme un cri de la rue qui connait son monde!
Après une visite chez Espiguette, puis chez K, je m'instruis grandement ici! ;-)
Ce portrait, très littéraire, d'une "binité" injustement méconnue, est des plus jouissifs.
Merci dame Taulière, et bravo.
@ Colo : merci du passage, et ravie si j'ai amusé les lectrices/teurs !
Binité du Michu et a-sculpture Dantan sont les deux mamelles du Duo de ces Pyramides :))
@ Espiguette : pas besoin de vous faire toute petite (je traduis : "pas ben grosse") parce que, sans Espiguette : pas de visage de pierre ! Sans la photo : pas de découvertes artistiques par les enquêteurs décraquants des Duos !
Et donc, sur ce coup-là, comme je le supposais bien au départ, c'est pas un duo mais un "truo" (c'est plus marrant que trio, et ça fait clin d'oeil à Boris Vian avec les "trumeaux" Joël, Noël et Citroen de l'Arrache-coeur) !
Alors once more : merci Espiguette ! Quant à Pessoa, à ma grande honte je n'ai rien lu de lui, mais je vais remédier...
Duo de roc ! Choc et toc ! Bravo, je file chez l'Espiguette.
Ah c'est bien trouvé ! Sûr qu'avec Mr K, on a voulu frapper, toc, un grand coup, choc et, forcément, dans le roc fourni par Espiguette :))
Grand merci pour la visite, Tania. Occasion pour moi d'aller découvrir Textes & Prétextes, que je recommande chaudement à la lecture !