Camille Abaclar est le pseudonyme collectif d'une bande d'allumé.e.s qui ont composé, à partir du célèbre et lugubre sonnet de Gérard de Nerval "El Desdichado (Le Déshérité)" : Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé / Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie (...), une palanquée de pastiches tous plus inventifs et tordants les uns que les autres.

Il y en a pour tous les goûts : ils ont joué avec Molière, Lamartine, Perec, Hugo, Mallarmé, Michaux, Prévert... On y trouve des annonces matrimoniales ("Je suis prince et veuf. On me dit beau et ténébreux..."), un tricotage avec "L'Auvergnat" de Brassens : "Elle est à toi, cette chanson / ô toi le veuf qui sans façon / d'un air ténébreux m'a souri / lorsque ma tour fut abolie"...

Ces plumes de talent (Alain Zalmanski, Nicolas Graner, Pascal Kaeser, Patrick Flandrin...) ont pondu des pastiches en latin de cuisine : "Ego tenebrentis, solus, inconsolem..." ; en anglais, en cajun, en argot : "Mézig il est pas jouass', sans bergère et pompé / Le Tôlier du mitan au lupanar clandé / Ma tapineuse est naz', c'est kif-kif mon tromblon / Tout ça n'est pas bonnard et me fout le bourdon...". On trouve dans le recueil un cluedo, une lettre de Mme de Sévigné, un questionnaire de type Cerfa informatisé, un ambigramme, une notice de type Lagarde & Michard... On peut y lire des versions en langage de programmation, en langues inventées, parmi lesquelles je ne résiste pas à citer quelques vers du très beau "Ol Dosduchida" de Gilles Esposito-Farèse :

"Dins li neut de tamboie, tau qeu m'is cansalò
Ronds-mau lo Piesuluppo ot li mor d'Utiluo
Li floer qeu pliusiut tint ì man caoer dòsalò
Ot li troullo aè lo pimpro ì li raso s'illuo..."

(Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé / Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie / La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé / Et la treille où le pampre à la rose s'allie...) - composé par permutation circulaire des voyelles : AEIOU = IOUAE.

Car ces pasticheurs de génie sont aussi des oulipiens avertis : homovocalismes, lipogrammes, littérature sémo-définitionnelle poétique, M+7, etc. et autres contraintes telles que : une voyelle n'est jamais isolée mais toujours encadrée par 2 autres ; deux occurrences de la même lettre doivent être séparées par au moins trois autres lettres ; accumulation d'hémistiches en "sion", etc.

A signaler enfin un avatar particulièrement gratiné sous la plume d'Elisabeth Chamontin, une page nervalo-rabelaisienne à se rouler par terre et à laquelle Chamontin accroche, sans hésiter, le voyage de Dante aux enfers, le tout d'une facture impeccablement d'époque :

"Et ce dysant pleuroit comme une vache tout en se promenant sous sa treille, mais quelque foys qu'il en avisa une belle grappe :
Seigneur Dieu, faut-il que je me contriste encore ? Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage. Et se versa
quelques traits de bon vin rosé : ha ! dict il beuvant plus qu'une esponge. Cestuy rentre dedans les venes, la pissotière n'en aura rien !
Mouillons, hay, il faict beau seicher !"

Les titres des avatars sont à eux seuls une partie de gondolade : L'Aède anxieux ; Le Malchanceux ; Bel Carbonado ; Il donna dix cadeaux (version Père Noël) ; Si on t'humilie, viens pas nous gonfler ; El Ciclotimico, etc.

En réalité, il y a bien plus que les 101 avatars publiés dans l'ouvrage cité. Il y en a chez Zazie Mode d'Emploi, ressource précieuse pour les joueurs de mots, qu'on ne présente plus. Et l'on ne trouve pas moins de 518 avatars de Nerval dans le site de Nicolas Graner , où la Taulière a eu le plaisir de livrer un "Geografico" (basé sur des noms de communes) et un "Desdichalune" composé pour moitié du Desdichado nervalien et pour moitié du Clair de Lune de Victor Hugo.

On va finir par en avoir mille... La Taulière en conserve elle-même dans ses archives : une version mêlée avec la chanson "Inspecteur Gadget" : "El Gadgetico", qui se chante assez bien, et un "Colegialo" en forme de rapport d'incident dans un collège signé de Gérard Labrunie, Conseiller Principal d'Education (1).

Et pourtant, elle n'hésitera pas à en ajouter un de plus (voir prochain billet), qui pastichera... Tûtt ! (voir billet précédent).

Est-ce à dire que vous êtes cordialement invité.e.s à jouer, comme il l'a déjà été proposé dans ces pages voici quelques années (il me souvient d'une version particulièrement fine de Lucie-la-podo...) ? Oui bien sûr !

El Desdichado - poème original de Nerval, est facile à trouver sur internet. Il figure aussi sur le site de Nicolas Graner, où vous pourrez aller voir ce qui a déjà été fait et découvrir une autre facette des activités de Nicolas, le mot-clé c'est "CANNE JAUNE".

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(1) Dans le civil Gérard Labrunie, nom de plume : Gérard de Nerval