Selon Marcel Bénabou et Jacques Roubaud, un auteur oulipien, c’est
« un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir » (1). J’ajouterais : « ou le fait construire par un copain » !

C’est ainsi que le Duo de ces Pyramides, dont on se demande jusques à qu'où n’iront-ils pas, s’enorgueillit de vous livrer aujourd’hui non pas un, mais deux sonnets sur chaque blog, qui répondent à une double contrainte car, qu'on se le dise, les duettistes non encore momifiés n'ont peur de rien, mais de rien :

Contrainte de forme :

- un sonnet du modèle classique (deux quatrains + deux tercets, rimes séquencées abba / abba / ccd / ede ou abab / abab / cdc / dee (ou comme on veut), c'est la forme élaborée par le FabLab de la Pléiade vers 1550.
- un sonnet du modèle « shakespearien » (2), composé d’une suite de douze vers non séparés en strophes, à rimes croisées, suivis – après une ligne de séparation – de deux vers à rimes plates, qui constituent en quelque sorte la « chute », la morale, la conclusion du sonnet - je crois qu'on disait aussi "l'envoi", qui me fait toujours penser à "envol".

Contrainte dite « des bouts rimés » :

chacun.e a envoyé 7 mots à son/sa comparse, qui leur a trouvé 7 rimes et a retourné le tout à l’envoyeur.e.
C’est avec ce matériel imposé fourni qu’on devait composer nos sonnets. Facile.

PREMIER SONNET, dit « shakespearien »

La Taulière avait envoyé, après avoir planté le compas en haut à droite dans certaines pages du dico ouvert au hasard :
biberon – coquard – gothique – infirmité – écliptique – kummel – pesant

Mr K rétorqua :
éperon – toquard – apathique – comité – boutique – caramel - fertilisant


D'où :

Supplique à mon marchand de liqueurs pour qu’il me serve des alcools secs

Marchand ! Tu me connais : solide au biberon,
Capable d’écluser à ramasser coquard
Comme un cavalier las qui vide l’éperon
Et roule au caniveau sans se montrer toquard.
Onc ne bois de liqueurs, cause d’infirmité,
Ni l’absinthe qui rend morose et apathique.
Ma corgnole (3) et mon cœur siégeant en comité
Exigent que n’affiches plus en ta boutique
De machins colorés, parfum « fertilisant »
Tel ce « kluk » allemand que l’on nomme kummel,
Douceâtre, sirupeux et qui vaut son pesant
De cumin, de guimauve et de vieux caramel.

Du raide ! Du sérieux !... single malt bien gothique,
Un truc, quoi... qui m’ferait tangenter l’écliptique !

DEUXIEME SONNET, dit « pléiadien »


Mr K m'avait défié de sept mots ainsi trouvés (je le cite) : « (…) Planté devant les rayonnages de la bibliothèque, j’ai pioché successivement 7 livres au hasard, ouvert chacun n’importe où et au hasard, et j’ai prélevé le premier mot tombé sous l’œil en page de gauche ! » :
magasin – personne – été – fatal – négligé – savoir – publicité

J'y répondis comack et non sans tricher : considérant que "été" et "publicité" formaient déjà rime à eux deux, je me dispensai d'entasser des "té", mais ajoutai une série "sin-zin" pour faire embrasser les rimes. Quant à la source, je l'ai joué flemmasse en consultant un site internet qui procure des rimes au kilo, dont j'ai extrait :
hoazin - consonne - abrasin - voisin - attigé - claquoir - capital


D'où :

Vol y a-t-il ?

Longtemps j'ai patienté, lorgnant le magasin
d'exotiques oiseaux. Quand il n'y eut personne,
j'entrai. Celui auquel il manque une consonne
attendait, enchaîné : le bizarre hoazin !

Vite, sur l'aile une ou deux gouttes d'abrasin
(pour le rendre invisible, n'ai rien négligé),
couper la chaîne et puis, même mal attigé,
le soustraire au marchand, qui parlait au voisin...

Enfin, il est à moi ! Car depuis cet été,
je guettais la boutique et sa publicité :
hoatzin ou hoazin, peu me chaut de savoir.

J'ai l'oiseau ! Et sauvé d'un acheteur fatal
qui l'eût dressé, cruel, à grands coups de claquoir.
Cher hoazin ! T'enlever, ce m'était capital...

(4)

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(1) Dans « Qu’est-ce que l’Oulipo ? », par M. Bénabou et J. Roubaud, site officiel de l’OuLiPo

(2) La Taulière présente ses excuses : la forme 12 + 2, rimes croisées + plates, ce n’est pas – ou pas forcément - un sonnet shakespearien. Cette forme est certes usitée dans le Sonnet 30 (cf. billet n° 244 du 7 juin 2015, « By Heart »). mais rien ne dit que c’est la forme consacrée par Will. Ayant fait plusieurs incursions sur les sites zautorisés d’internet, je n’ai rien trouvé qui le confirme ou qui l’infirme. C’est peut-être une forme anglaise ? Bref on s’en fout, c’est joli et ça s’écrit avec plaisir, that’s all folks ;-) !

(3) La « corgnole » ou le corgnolon, c’est du dialecte dombiste / lyonnais et ça signifie gorge, gosier et tout ce qui se situe dans le coin : l’avaloire, le derrière-la-cravate, la gargoulette, la gargane, la dalle (en pente ou pas)...

(4) Hoazin présente un avantage non négligeable dans un sonnet de métrique classique : il peut faire diérèse (ho-ha-zin), comme dans le 4e vers du 1er quatrain,, ou synérèse (prononcé "oisin") comme dans le dernier vers du poème.