Drôle de famille, les Umain… Remarque, on pourrait dire ça de n’importe laquelle, mais tout de même, les Umain, je dirais qu’ils étaient un peu cumulards.

Prends le père : un bourru de première, aimable comme un sanglier. Paraît qu’il gardait quelques séquelles de la guerre, laquelle j’en sais rien mais enfin, il s’était fait la réputation de s’y être montré féroce comme un tigre et il en était revenu avec une araignée dans le plafond. Ça ne l’avait pas empêché de monter sa boîte où il bossait jour et nuit comme un âne.

Fort comme un bœuf, le père Umain. En affaires, je ne te dis que ça : un requin ! Et glissant comme une anguille dès qu’il s’agissait de négocier, toujours prêt à pigeonner le client, mais personne n’osait le contrer quand il vous regardait comme ça par en-dessous...

Sa philosophie tenait en une phrase : « l’homme est un loup pour l’homme », qu’il aboyait dans un ricanement de hyène asthmatique. Avec des principes comme ça, t’es sûr de ne pas tomber dans la philanthropie, quoi.

Et sa bonne femme ! Pas trop gracieuse, la grosse vache, avec son cul de jument sous ses tailleurs mal coupés. Elle marchait en canard, un regard de murène à te coller les flubes. Le genre de souris, tu la croises le soir au coin d’une rue sombre, tu détales comme un lapin ! Avec ça, grenouille de bénitier comme pas possible. Une authentique punaise de sacristie, toujours fourrée chez le curé.

Bref, le couple du siècle.

Quand ils déboulaient à l’épicerie comme deux éléphants dans un magasin de porcelaine, fallait se garer, surtout s’ils embarquaient la marmaille. Car ils s’étaient reproduits, ces deux improbables !

Leurs gosses : à l’identique ! L’aîné, j’étais à l’école avec lui : une espèce d'orang-outang, le regard bovin, un front de taureau mais cervelle de moineau. Il n’a pas appris grand-chose mais ça ne faisait rien, puisqu’il a repris l’affaire de son vieux avec les mêmes principes. A la cantine, il faisait la loi et bouffait comme un cochon ! T’essayais de lui piquer son assiette, t’étais bon pour l’abattoir… Un sale type, quoi.

Le cadet c’était un drôle d’oiseau mais alors très différent de son frangin : court sur pattes, vilain comme un singe, myope comme une taupe, mais d’une malice !... Dès qu’on le contrariait, il se mettait à gueuler comme un veau, et quand la maîtresse s’approchait il lui en racontait à tant et plus, la foutue vipère. Et la maîtresse, c’te vieille chouette, elle prenait toujours son parti. On lui devait quelques punitions, au cadet des Umain. Mais va savoir pourquoi, personne n’a jamais réclamé… Faut dire que son frangin lui servait de gorille et qu’il n’était jamais très loin. Alors on évitait de s’y frotter.

L’aîné des Umain, une fois installé au comptoir de la boutique familiale, il s’est montré encore plus rat que son père. La maison ne fait pas de crédit ! Fallait le voir, juché sur le transpalette dans la cour de l’usine, on aurait dit un crapaud sur une boîte d’allumettes… Bête comme une oie en apparence, muet comme une carpe, mais je l’ai toujours soupçonné de cacher son jeu parce que la boîte, quand il a pris les commandes, elle a racheté deux concurrents dans l’année. Ne s’est pas marié. Faut dire qu’il n’inspirait pas vraiment l’amour, avec sa gueule de raie.

Le cadet, lui, il ne s’est jamais intéressé aux affaires familiales. Tout jeune il a commencé à traîner en ville, tu vois, à se faire des relations, il trafiquait on ne sait pas trop quoi, toujours flanqué de deux bourrins qu’étaient pas du quartier et qui le suivaient comme des moutons. Feignant comme une couleuvre mais toujours sapé façon prince, à faire la roue au comptoir du PMU, à comparer les performances des pur-sangs de l’année… Y avait toujours deux trois poules avec lui, dont une sauterelle montée en graine avec des jambes interminables qui était le plus souvent à son bras... Tu m'aurais dit qu’il faisait son ordinaire au pain de fesses, ça ne m'aurait pas plus surpris que ça. Il a toujours eu le profil du maquereau.

Eh bien, les tourtereaux, ça ne les a pas empêchés de convoler, figure-toi. Histoire de mettre un peu de respectabilité sur tout ça. Entre temps, il s’était acheté l’Escargot d’Or, le restau un peu haut de gamme en ville, et le Zoo bar, en haut de l’avenue de la Gare.

Sa poule, une fois la bague au doigt, elle s’est acheté une conduite. Lui, pas chien, il a recruté d’autres pouliches. Faut bien vivre… Elle était jalouse comme une tigresse, elle aurait bien voulu qu’il arrête, mais en même temps, elle portait bien le vison qu’il lui avait offert. Elle se pavanait là-dedans, t’aurais vu, en se dandinant comme une otarie savante, c’était comique !

Enfin, il en a tant et si bien fait, le cadet, des affaires louches, qu’un jour un corbeau a jacté. Lettres anonymes, articles dans le journal, visites insistantes des poulets dans ses deux établissements, ça commençait à faire tache chez les Umain.

Le père, il était devenu gâteux. Sa baleine, elle ne lui racontait rien, de toute façon il n’aurait rien entravé. Les fils passaient régulièrement à la maison, ils affranchissaient la mère qui se répandait en signes de croix mais préférait leur laisser la gestion des problèmes, ça la rendait chèvre, gémissait-elle.

Les frères Umain, très différents mais soudés, tu vois. Tu t’attaquais à l’un, t’avais les deux sur le râble. Aussi, on leur foutait plutôt la paix. Alors cette histoire de corbeau, ça paraissait vraiment insensé comme défi.

Il s’avéra que c’était la souris du cadet qui avait foutu la zone. Ils l’ont démasquée en reconnaissant, dans le journal, son écriture en pattes de mouches. Quelle dinde, quelle bécasse ! Elle s’est fait corriger, je te dis que ça. Sa jolie petite gueule : un vrai cul de singe qu’elle a trimballé pendant des mois.

Le lendemain, elle a dénoncé son beau-frère sur #balancetonporc ! Ah elle avait de la ressource, la minette ! Comme quoi il l’avait attouchée pendant que son mari avait le dos tourné.

Résultat, les deux bourrins ils se sont battus comme des clebs ! C’était la première fois depuis leur naissance, et ça s’est pas bien terminé : l’aîné, quand il a vu la tache rouge qui s’élargissait sur sa limace, il a compris qu’il allait décarrocher. Il a regardé son frère avec un air de chien battu et il lui a dit « pardon ! », l’abruti. L’autre malfaisant, le surin à la main, hébété, il s’est laissé cueillir comme un perdreau de l'année. De toute façon, n’y avait plus rien à dire, c’était plié.

Le cadet n’a pas fait long feu en taule, on ne sait pas trop ce qui s’est passé mais enfin, l'autre matin on l’a retrouvé pendu dans les douches comme un quartier de boeuf à son crochet.

Voilà... C'est l’extinction des Umain, vu qu’ils n’ont pas laissé de descendance...

La veuve noire, même pas elle est allée une fois le voir en centrale, son mec. Le lendemain du procès, elle a ramassé tout ce qui pouvait se monnayer et a sauté dans le premier train. A ce que je sais, elle court encore.