« Dis-donc, Marie-Françoise... Tu dois connaître, toi, les yakou ? »

Nous sommes, par ce lundi ensoleillé (traditionnelle balade avec ma bande de vieux), sur le sentier dit "des tunnels" qui comporte en effet deux passages sous d'anciens tunnels SNCF, ce qui procure toujours aux vioque-potes un agréable frisson tandis qu'on chemine les uns sur les autres dans la noirceur, comme disent les beaux-cousins, et en particulier lorsque, vers la moitié du parcours, on ne distingue plus le demi-cercle de lumière de l'entrée, restée loin derrière nous, et pas encore celui de la sortie, et que chacun.e brandit sa torche électrique en poussant de petits cris lorsqu'une goutte glacée descend de la voûte ou qu'un souffle aussi polaire que l'haleine du mineur fantôme traverse la froide obscurité...

Ainsi interpellée par Denise, qui flirte avec les 92 balais, je me retourne, vu que je marchais devant elle, et réponds que non : outre le fait que je ne m'appelle pas Marie-Françoise, je ne sais rien des yakou. A peine si dans mon esprit légèrement brumeux se profile un rapprochement de hasard avec les yaka-faucons ou les habitants de Iakoutie...

- Ah excuse-moi, je savais que ça commençait par Marie... J'ai pensé à toi parce que, à notre atelier calligraphie, on a fait des yakou, c'est des proverbes japonais...

Expliquer à Denise - que je n'ai jamais appelée Janine ou Eugénie, alors que, comme nombre de mes malheureuses congénères affublées d'un de ces prénoms français si connotés génération XXe, avec leur préfixe Marie- j'ai droit en général au défilé de Noëlle, de Thérèse, France, Claire et autres Bernadette, sans que jamais ne figure dans la mémoire collective celui, pourtant usuel, qui figure à mon état-civil - expliquer, donc, que les haïku et non yakou, ne sont pas des proverbes mais l'expression d'une forme poétique très codifiée qui chante en 5, 7, 5 syllabes... Mais Denise n'en a cure : « Rhôôh mais nous on s'en fiche, moi de toute façon j'ai pas fait des heille-ku japonais, j'ai fait des caractères chinois ». Casse la tienne, chère Denise, après tout, qu'est-ce qui ressemble davantage aux thrènes lamentés par les aèdes grecs aux funérailles d'Hector (sans sa femme), que le "Qitik" de Nuuk Posse, rappeur groenlandais ?

Bon, à part ça Sainté est toujours à la même place et La Taulière effectuait lundi matin son dernier voyage NON NON !!! Attendez, pas de panique... Son dernier voyage par le TER Lyon/Sainté, au motif que sa principale raison de se rendre à Lugdunum était d'y aller visiter ses enfants, lesquels sont en train de s'installer tellement par ici que, doré de l'avant, je n'aurai plus deux heures de trajets de porte à porte mais 20 minutes, grâce aux mirobolants transports en commun stéphanois.

En avons-nous assez parlé, de cette ligne ! Combien de voyages pittoresques n'avons-nous pas effectués entre les gares de Perrache et de Châteaucreux ? Que de paysages riants ou enneigés n'avons-nous traversé, combien de vaches perdues sur les voies entre Saint-Chamond et Saint-Etienne, de chevaux (un seul cheval, en fait) errant sur le rail à Givors... Que de gens sympathiques ou odieux, que de voyageurs pressés, mal éduqués (pas mal, si vous voulez savoir) ou au contraire courtois (euh...), combien de contrôleurs consciencieux jusqu'à l'excès, ou au contraire rigolards et refusant de traquer le tricheur (oui oui, un certain nombre, vous ne le croiriez pas), combien de saisons, de jours ensoleillés et de soirées hivernales, de grèves et d'empêchements de circuler par grosses chutes de neige (uniquement le 20 novembre 2013 et rien depuis...) dans ce teuf-teuf moderne ?

Eh bien pour ce voyage de retour il ne se passa rien. Le train partit à l'heure, le paysage était banal, le contrôleur aux abonnés absents, les passagers discrets, les conversations téléphoniques ne révèlèrent rien d'intrigant, la Taulière s'assoupit (comme à l'accoutumée) aux alentours de Rive-de-Gier et ouvrit un oeil comateux dans la côte de Saint-Chamond... Et voilà. Elle sortit du train (arrivé à l'heure), traversa une dernière fois le parvis de la gare, longea l'arbre multicolore...

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contourna les chevaux bleus d'Assan Smati,

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sauta dans le tram et rentra chez elle sans encombre.
Incroyable, non ?

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La gare de Saint-Etienne Châteaucreux et les Chevaux bleus : Clichés Dominique V.