Ha ! fe dit-elle, fi des cieux
La porte n’était pas fermée
C’est une fleur qui fleuriffait
D’elle-même fous mon corfet
Le ftyle est laid, d’accord, mais le papier eft beau
Vite un coin, je vous prie, fous la vitrine obfcure
Où dorment fans vieillir, frais de leur finécure
Cryptogames pouffés on ne fait à quelle ombre
Sauf erreur ou contradiction qu'ici l'aimable lectorat pourrait apporter par tous moyens à sa disposition, ces vers d'archi-mirliton, que la Taulière a recopiés en prenant malicieusement l'espèce de "f" à longue jambe pour ce qu'il paraît et non pour ce qu'il représente (un "s"), seraient de l'honorable Joséphin Soulary, poète du XIXe siècle dont au sujet duquel une très jolie rue de Lyon, peut-être une des plus intrigantes, porte à la fois son nom et sa résidence vers 18.., à peu près à mi-montée.
Malheureusement j'ai paumé ma source. "Papillons noirs ?" "Sonnets humouristiques" ? Impossible de rattacher à l'une des oeuvres soularinesques cet extrait formé, je m'empresse de le préciser, de vers dispersés et piochés ici ou là, et qui resteront donc, dans leur orpheline beauté, à sédimenter dans les rayons de l'Appentis. Toute perfonne difpofant d'une information à ce fujet fera la bienvenue.
Pour ce qui est de la rue, c'est celle où la Taulière posa, pour la première fois de sa jeune vie, sa valise d'étudiante + un égouttoir à vaisselle et un balai, car elle avait déjà l'âme ménagère, à dix-neuf ans tous frais, en arrivant droit de sa campagne à Lugdunum, ville dont la taille l'épouvantait un peu, et dans laquelle elle arpentait les rues en cherchant les arrêts de bus, la monnaie bien serrée dans la main toute prête.
C'étaient 25 centimes, voyez, pour voyager. Une petite miche (format baguette, 250 grammes) de pain : 28. Admirez la permanence des choses ! Aujourd'hui, ici à Sainté, nous payons le ticket de transport (acheté par 10) 1 euro, itou la baguette un peu luxueuse, car la basique est à 0,85. Je vous parle de bon pain, compañeros, pas de PALM (1).
C'était au numéro 6, déjà évoqué dans ces pages, et la logeuse, Madame Lombardi, comme son nom l'indique, du moins le nom de son mari, était d'origine italienne. Elle fournit donc à sa locataire, pour le même prix que le logis (modestie des lieux, modicité du prix, lit-cage en métal peint, poêle en état de marche, quelques placards à pied bancal, un rideau de cretonne fatiguée pour séparer l'alcôve de la chambre), elle fournit une cafetière italienne qu'il fallait retourner d'un preste mouvement lorsque l'eau bouillait.
Jamais café ne me parut plus succulent que le premier passé dans cet ustensile d'aluminium ! Etre locataire de son premier appartement, pour une jeune personne, c'est quasi se mettre les pouces dans le gilet de propriétaire. Se vautrer dans l'espace que, moyennant finances, vous pouvez occuper à votre guise sans que personne ne vienne vous demander quoi ni qu'est-ce. Ivresse ! Euphorie ! Je cirais le lino comme si c'était une marqueterie précieuse, et la pierre à eau était récurée. C'était avant que la Taulière s'avisât d'appliquer Rimbaud à la lettre et se mette à se foutre du ménage et du reste.
Le deuxième matin après mon emménagement, j'entrepris d'explorer les numéros suivants de la rue Soulary, laquelle prend à droite au début de la rue de Belfort, tout de suite après le "Déluge du vin", caviste, et la boulangerie qui faisait l'angle. Celle-ci, je m'en souviens bien et même, c'est elle qui me permet de citer le prix du pain. En 1968, au moment où la grève générale paralysait la Gaulle, cette boulangère refusa de me donner la miche à 28 centimes car je n'en avais que 27. Voilà comment se disposent les jalons de la mémoire. La trésorerie générale était fermée bien entendu, et les bourses étudiantes y faisaient des petits en attendant que la France se remette en marche. Entre temps, les étudiantes qui manquaient de réseau (et, à Lyon, quand tu n'es pas Lyonnais, c'est endémique) faisaient la manche ou les caniveaux. Ma coloc' et moi, nous n'avions trouvé que 27 sous. C'était pas si mal pour un début.
Du 1 au 15, à peu près, la rue Joséphin Soulary est plate. Ensuite, elle plonge par 500 marches et quelques tournants, en direction du Rhône qui coule 100 mètres plus bas. Ces escaliers et ces virons sont encadrés par les très hauts murs qui, à Lyon, isolent du pecus les fortunes des marchands de chaussinettes et autres soieries dans leurs propriétés aussi cossues qu'un cervelas truffé de chez Sibilia.
Dans l'un des virages, sur un replat, est sise la maison du poète. Un buste encastré au numéro 31 signale l'habitation de cet employé de préfecture qui faisait des sonnets sans quitter ses manches de lustrine vers 18.. et les éditait sur de petits cahiers à cinq sous, lesquels en 1967 étaient encore consultables. La Taulière avait pu s'en assurer en se précipitant à la bibliothèque municipale située, à l'époque, en bord de Saône, quartier St-Jean, et contenue par les murs de l'ancien archevêché (c'était après 1905). Autant dire que l'ambiance était quasi-religieuse dans ces hautes salles silencieuses où des dames dévouées vous procuraient les ouvrages moyennant une fiche que vous trouviez dans de longs tiroirs.
Qu'une fille de pas vingt ans n'ait rien de plus urgent, une fois installée chez elle, que de courir sus à l'oeuvre d'un poète de cinq sous totalement (et justement) oublié, voilà qui ne laisse pas de m'étonner, mais c'est à la lumière d'aujourd'hui. En 1967, juste avant l'explosion, ha ha, les jeunes filles, lorsqu'elles déboulaient de leur cambrousse dans la grande ville, trouvaient leurs loisirs et leurs plaisirs dans les bibliothèques.
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(1) Un de mes beaux-frères et pas des moindres, baptise PALM tout pain indigne de ce nom : baguettes pliables, pâtons indus mal cuits, flûtes à l'intérieur blafard et à la croûte indigente... PALM est l'acronyme de Pain A La Merde. Avec sa tartine de PALM on peut boire un canon de VALM, ou la tremper, la tartine, dans du CALM. Pratique, non ?
Je n'avais jamais entendu parler de cet homme. Je suis allée voir sur wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/José... et sur wikisouce : https://fr.wikisource.org/wiki/Aute... mais je n'ai pas trouvé l'origine de "Ah... se dit-elle..."
Par contre, on remarque que le nom de Soulary serait la francisation de Solari, patronyme génois. Le poète et la logeuse d'alors de la Taulière pourraient donc avoir des origines transalpines (ou cis-alpines, si on se place du point de vue des Romains, comme le faisait mon prof de latin, dont la Taulière a d'ailleurs déjà entendu parler.)
Je suis presque sûre que la baguette à 28 centimes était du PALM... Et je me demande bien ce que la Taulière et sa cothurne ont pu manger ce jour-là.
Merci du passage, chère Académicienne (hi hi !),
Oui, Soulary était d'origine italienne, comme beaucoup de Croix-Roussiens historiques, qu'il n'y a plus guère aujourd'hui, la population ouvrière ayant vieilli, puis disparu, remplacée par une couverture bobo à peu près totale sur Croix-Rousse plateau et pentes. Peut-être était-il petit-fils du textile, ou arrière-descendant de la banque génoise, fort bien représentée à Lyon où pas moins d'une trentaine de maisons de Gênes tenaient comptoir d'argent vers 1470.
Le menu des co-turnes du 6 rue JS, en mai-juin 68 : pâtes à l'eau et à l'huile, beignets de farine à l'eau frits, patates (grâce à un secours familial parvenu jusqu'à nous sous la forme d'un sac de 10 kgs de cet aimable tubercule, puis pêches (volées sur un étal). Bien sûr, si nous avions voulu manger à notre faim, il nous suffisait de rentrer chez nos parents. Mais c'eût été manquer l'extraordinaire effervescence de la rue, un peu cognante à Lyon où la droite dure, historique elle aussi à Lugdunum, jouait de la trique aux environs des fiefs gaucho ! Et le climat de désordre salutaire qui jetait sur la place publique pro et anti-mai 68, avec des discussions vociférantes et interminables, et la possibilité de flâner en plein milieu des boulevards, la pénurie d'essence ayant fait rentrer les bagnoles à l'écurie. Et tutti...
Fin du paragraphe nostalgo !
Ah, ce Soulary sur lequel nous avons échangé, non pour sa production mais pour la rue qui porte son nom. ... A vous lire, je vais bientôt m'y sentir comme chez moi dans cette rue. Connaître ses façades et ses figures, ses coinstots et ses escaliers casse-gueule.
Empathie totale avec cette jeune personne venue avec son balai et son égouttoir, et qui a sûrement déjà lu à cette époque le Petit Chose ! Nulle malice ou ironie de ma part dans cette référence, il y a une permanence -à toutes époques- de cette joie prodigieuse que procure la première clé en poche !
Mais oui c'est vrai !! On va me prendre pour une obsédée de Joséphin (mais aujourd'hui je me suis intéressée à Georges)... Et bien sûr, la rue Soulary c'est celle de... Bon sang, comment s'appellent-ils, les libraires spécialisés dans le rare et ancien ? La mémoire de la Taulière commence à ressembler à un tamis de maçon.
Et ce Petit Chose, j'avais oublié l'épisode en question, c'est aussi très ancien dans ma mémoire... La première clé en poche, oui, c'est quelque chose !