Il était un paisible village en Dauphiné, dans la région dite des "Terres froides" où il sait aussi faire chaud l'été. Mais ce n'est pas de saisons qu'on va parler.

Voici un petit bureau de poste sis dans la rue principale, une route qui traverse le village de part en part, au long de laquelle s'égrènent quelques commerces, de chouettes maisons dauphinoises, de très jolies halles couvertes où se tient le mardi un gai marché, et derrière lesquelles on peut apercevoir la porte de la bibliothèque. Bref, un village de France, mais bien "maintenu" dans son bel âge, resté vivace malgré les coups conjugués de l'autoroute voisine, des grandes surfaces, de la peste maïssicole. Non point un "village-dortoir" pour gens de la ville, mais un village où l'on habite, vit, travaille et où l'on se soigne fort bien dans un pimpant cabinet médical voisin d'une pharmacie dynamique.

Le bureau de poste est fréquenté, mais ces dernières années, les habitants ont été un peu agacés de le trouver souvent fermé avec un panneau qui dit "fermé pour cause de maladie". D'ici à penser que la préposée tirait sa flemme, y avait pas loin. Que nenni ! La malheureuse était régulièrement déplacée - comme un pion, oui, vous lisez bien - par la direction départementale de la Poste qui comblait ainsi les absences des bureaux voisins.

Les villageois nantis de bagnole, las de se casser le nez sur la porte, se rendaient aux bourgades voisines. Si l'on y pense, ça fait cher du timbre-poste rien qu'en essence, mais bon. Quant aux personnes "à pied", elle exerçaient leurs mollets à tenter de faire coïncider leur besoin d'un chéquier ou d'une recommandée avec les horaires d'ouverture imprévisibles de ce bureau de poste farceur.

Postière volante, bureau à horaires variables, désertion (relative) de la clientèle, il n'en fallait pas plus à La Poste qui, dans sa grande honnêteté, déclara : ce bureau est sous-fréquenté, fermons-le. On connaît tous l'histoire...

Un collectif se monta voici 3 ans, groupe de quelques personnes excédées par tant de mauvaise foi. Elles et ils n'ont rien négligé, ont lutté pied à pied, battu du tambour partout : porte à porte, presse, lettres fulminantes aux élu.e.s, manif. Oui : manif dans le village, un vrai succès ! Jamais vu de mémoire d'ancien !

Et ça paya : La Poste accepta un compromis pour cette chose due : un bureau de poste qui fonctionne, mais avec un horaire réduit et une ouverture du samedi matin, essentielle pour les gens qui bossent, concession qui lui fut arrachée de haute lutte par ce collectif gonflé à bloc, efficace, soudé.

Trois ans de lutte (et c'est pas fini) pour conserver son bureau de poste ! On ne peut que tirer bas son chapeau.

Et le maire, qu'est-ce qu'y dit, le maire, au fait ? Eh bien, cet aimable septuagénaire bientôt octo, il marche avec le progrès. Comme quoi on peut être un maire âgé parmi les 983 vieux maires de France (sur 36000 communes) et avoir l'esprit moderne. Le maire, il est d'accord avec la fermeture. Il veut bien une agence postale dans sa mairie, du moment que ça ne lui coûte rien et qu'on peut lourder la préposée quand on veut. Il veut bien entendre le discours de La Poste et contribuer à désertifier sa commune. Vous avez dit "incohérent" ?

Bref, pour le collectif, rien d'acquis. Ulcérés de voir ce seul maire (ceux des communes voisines se sont montrés plutôt favorables au maintien) adopter une ligne si contraire aux intérêts de ses administrés, et, disons-le, incompréhensible, les membres du collectif sont restés vigilants, au taquet, prêts... Et lundi soir, eh bien ils se sont rendus au conseil municipal. Ben quoi ? Citoyens ou pas ? Tête de l'édile voyant l'ultragauche s'installer sur les bancs du public !!! Alors là, le maire, il a été grand. « Je vois, dit-il en substance et finement, que le collectif pour le maintien de la poste est là, nous allons donc vous donner les réponses que sans doute vous attendez, et ensuite nous vous prierons de partir car nous allons voter pour tenir la suite du conseil à huis clos. ».

Le huis clos voté par 8 voix sur 12, ainsi fut fait et notre collectif, qui se retrouva dehors sans avoir eu le temps de dire "ouf", d'interloquer en choeur : mais qu'est-ce, mais quoi, a-t-il le droit, pourquoi, etc.

Chers membres du collectif pour le maintien de la poste en votre village, oui, le maire a le droit de faire voter la mise en huis clos d'une séance du conseil municipal. Mais il doit, d'une part ne pas en faire une systématique et, d'autre part, motiver cette décision. Les maires qui ont recours à cet expédient invoquent, en général, le risque de "trouble à l'ordre public". Alors là, c'est imparable. Imaginez le gars que la nature a nanti de gros sourcils : de quoi de quoi ? Je vois ici un individu qui fronce abusivement ses poils des yeux ? HUIS CLOS ! Quelqu'un dans le public fait mine de chasser une mouche importune ? Un autre s'agite, en proie à une démangeaison ? TROUBLE A L'ORDRE PUBLIC, HUIS CLOS !!!

Trop facile ! Les tribunaux n'ont pas toujours donné raison à ces mises en huis clos abusives, il paraît que c'est l'outil favori des maires autocratiques. Ah, cette Taulière, quelle mauvaise langue. Pas de pot les mecs je me suis documentée.

Bref, cher collectif pour le maintien de la poste de votre commune, vous vous êtes faits avoir, et vous n'y pouviez rien. Les conseillers municipaux qui ont voté le huis clos s'autodésignent comme lèche-culs d'un maire qui veut faire sa loi chez lui, au détriment de dangereux gauchistes qui exigent le maintien d'un service public au village. Il vous reste la possibilité de dénoncer cet état de faits dans la presse, mais attention aux termes employés : une assignation pour diffamation pourrait vous tomber sur le coin du corgnolon.

La Taulière, qui fut élue voici tout de même pas un siècle, peut attester que, dans son arrondissement lyonnais, en six ans pas un conseil ne se tint à huis clos. Même pas le jour où le conseil se tint à très haut risque. Je vous raconte ?

Une des adjointes au maire, fort mal inspirée, avait fait, un samedi matin qu'elle était de service de mariage, une crise de laïcisme aigu et s'en était prise avec virulence à une jeune mariée musulmane. Péremptoirement, l'adjointe lui enjoignit de mettre sa tête à nu. Or, la jeune personne ne violait nullement la loi car son visage était tout à fait dégagé et identifiable, son voile ne couvrant que sa tête. Ces situations avaient été largement débattues en bureau des élus, et nous étions convenu.e.s qu'il fallait rester mesuré.e.s, faire marcher le bon sens, la diplomatie et ne pas provoquer inutilement d'incidents. Attitude ouverte, ni complaisance ni prosélytisme laïcard. La loi, toute la loi, rien que la loi et sans zèle imbécile.

Aujourd'hui, Valls et Finkielkraut réunis nous auraient appelés islamo-gauchistes.

Bref, notre collègue avait joint la maladresse à l'agressivité, et réuni tous les ingrédients pour une belle bronca, d'autant plus violente qu'elle-même était issue d'une famille musulmane. C'était surtout une personne agitée, coutumière des éclats, et nous avions tou.te.s, à un moment ou à un autre, subi ses foudres, ses attaques de foldingue, ses insultes et son impolitesse notoires. Se marier avec au pupitre une telle officière d'état-civil, c'était donc pas une partie de plaisir.

A part ça, en matière de laïcité, je voudrais dire qu'on avait le nez propre. L'un d'entre nous avait déjà arrêté deux mariages imposés, et réussi à les faire annuler en s'exposant, somme toute, assez courageusement. Nous parrainions régulièrement des personnes en demande d'asile, et je n'ai jamais, en six ans, surpris un élu dans une posture moralement répréhensible. Non, il n'y avait pas à nous donner de leçons de république.

Les jeunes mariés non plus, ne firent pas de scandale, mais dans le public, vous savez comment ça se passe, quelqu'un voulut monter l'incident en épingle et, sur fond de règlement de comptes, faire exclure l'adjointe, qui n'avait pas bonne presse dans l'arrondissement. Un beau chahut s'ensuivit dans la semaine : la presse était aux aguets, les plus radicaux des gens du quartier, sur les dents, patrouillaient devant la mairie. La tension était palpable comme dans les dernières pages d'un Lucky Luke.

La révolte était emmenée par une pasionaria que personnellement je porte dans mon coeur car c'était un personnage absolument incroyable, théâtral, une dame tunisienne d'un âge respectable mais d'une forme olympique, qui n'hésitait pas à faire un signe d'égorgement en direction du maire lorsqu'elle était contrariée, quitte à aller trinquer avec lui à la fin de la séance, et me serrait contre son coeur en m'appelant "chérie" au motif que j'avais donné un jour pour une cause qu'elle soutenait haut sur la place publique, avec un organe et un vocabulaire rendant inutiles les moyens de sonorisation habituellement requis. Brave Madame L. ! A l'âge où l'on s'occupe de ses petits-enfants, elle arpentait l'arrondissement, pétitions à la main, impeccable dans ses tailleurs merkéliens, son indéfrisable peroxydé bien en place, sa voix de stentor et ses propos imagés portant loin...

Au conseil suivant, devant la mairie, une immense banderole se déploya, portant un texte sobre : "X (nom de l'élue), DEHORS !!". Derrière la banderole, une foule - à mon grand regret majoritairement masculine - et, à sa tête, Madame L. qui, pour l'occasion, avait revêtu ses habits traditionnels. Oublié le tailleur turquoise, elle arborait une djellaba richement brodée, et sur sa tête un foulard, certes signé d'un couturier, mais bien agencé pour contenir ses bouclettes blondes. Madame L. me fit, lorsque je montai l'escalier, un gros clin d'oeil. Elle se marrait, elle était à son affaire, derrière elle les gars piaffaient...

Les membres du conseil passèrent sous la banderole et se rendirent dans la salle du conseil après s'être assurés que notre collègue était avertie de la situation, et lui avoir expliqué qu'il valait mieux n'être pas présente au conseil, voire sortir par le parking à l'opposé du bâtiment sans se faire remarquer. Le maire, fort ennuyé de l'affaire, ayant sur les bras cette encombrante adjointe, laquelle tempêtait de plus belle qu'elle seule était dans le droit, bref, on allait au clash, le maire était dès lors totalement fondé à faire voter un huis clos, d'autant que la salle se remplissait, côté public.

Ce n'est pas la voie qu'il choisit. Descendant rapido à son bureau juste avant l'ouverture de séance, il y boucla purement et simplement à clé l'adjointe tempétueuse, qui voulait absolument monter affronter la sédition et se montrer, droite dans ses bottes. Puis il remonta et le conseil put s'ouvrir. Je me suis abondamment ennuyée pendant les conseils d'arrondissement, mais à celui-ci, j'avoue avoir passé la totalité de la séance en proie à un fou-rire rentré car le spectacle était dans le public : tous les hommes présents (sièges absolument combles) avaient sorti de leurs poches des foulards et les portaient maintenant sur la tête. Comme ces messieurs ne savaient pas trop comment ça se porte, ils l'avaient simplement noué sous le menton.

De mon strapontin en bas de la table du conseil, j'avais en ligne de mire à deux mètres de moi une cinquantaine de gaillards, parfois moustachus et, pour certains, barbus, enfoulardés de couleurs vives car ils n'avaient pas cherché de hijab : ils avaient pris ce qu'ils avaient trouvé ! Et imperturbables. Dignité et silence, Madame L. pouvait parfois avoir l'air d'un clown mais là, elle nous donna une belle leçon de tenue des troupes. Je reconnaissais des lascars notoirement connus de nos services, du genre qui tenaient les murs dans le coin, et puis des épiciers rondouillards, le serveur du kebab du coin, quelques jeunes footeux de l'équipe locale, les visages hilares, des hommes mûrs au regard digne, bref, une assemblée certes masculine, certes témoignant de son indignation, mais en visu, c'était genre "Les vamps" en fichus fleuris.

Au premier rang, Madame L. ne dissimulait même plus. Elle riait aux larmes, se frappait les cuisses, mettait la tête dans son cabas pour se gondoler à l'aise et s'essuyait les yeux en me jetant des regards entendus, pendant que le maire, qui tenait son sérieux je ne sais comment, causait de PLU et de requalification de voies... Du tréfonds du bâtiment nous parvenaient des coups sourds que nous croyions dus à quelques travaux, malgré l'horaire inusité. C'était l'adjointe irascible qui se faisait les poings.

Comme quoi, hein, le huis clos n'est pas la solution à tout.