Là où je vais j’étale ! Je ne peux pas me retenir. Mais y a de quoi, je vous assure. Figurez-vous que j’ai attrapé une drôle de maladie… Je voudrais bien me lever mais impossible de me libérer de mes chaînes, tout me freine et mon malheur est gland – euh : grand.

Hier encore j’étais claire – oui, j’étais claire hier… Mais voilà que ce matin je tremble en me voyant au miroir de si près, chauve… Et buis – pardon : et puis, voilà maintenant que j’ai le teint orangé ! Et mes cheveux ! La cata. S’ils étaient restés gris, ou blonds, encore… Mais non, ils chutent…

A cette heure, je devrais être en train de préparer le tilleul d’Henry. Qu’il aille se faire voir avec sa tisane. Il m’a reproché ce matin d’avoir fait du bruit hier en tapant par terre. Mais c’est que le sol était devenu tortueux, j’essayais de redresser…

Bref, je suis partie en forêt pour essayer de retrouver mes marques, il paraît que c’est à la mode, et depuis j’erre, hou, hou, sans répit, sylphe fanée… C’est une vie sans charme qui m’attend, je le sais. Je suis tentée d’aller me noyer direct, mais ça ne ferait même pas un marronnier de l’été dans la presse locale.

Ou alors faire son lit là, dans les mousses, et dormir…

Au début, j’ai été victime d’une altération de la parole ; je me suis mise à parler pointu-pointu, je disais : « vous en faites pas j’ai fait un petit mélaise – pardon : malaise » et pis c’est à celui de mes cauchemars qui m’assaille le premier, impossible de fermer le robinier – binet – à rêves… Ensuite, une attaque d’aphasie : tu écris « main droite », tu lis « pied gauche » ; tu lis « tout droit », tu sors « biais »… Là, j’avoue que le mouron m’a prise en plein.

A l'aune de tels troubles, pas question de finir mon boulot, ce matin j’étais même un peu pliée, comme ça, voyez. Gênée, vrillée, je ne vous dis que ça. J'ai passé la journée à lire un roman situationniste par anticipation de 1942 : Pearl Harbor & Tom, d'Olivier Guy.

Depuis, ça peint blanc dans mon mental, je déprime. J’en ai parlé au Dr Douglas mais il s’est contenté de hocher la tête en commençant une phrase énigmatique dans sa langue : « If… » et puis c’est tout. Je ne saurai jamais la suite, il m’a souri en silence.

N’empêche, être aussi à plat tanne. J’ai essayé de divers remèdes : quelques prunes eussent-elles fait de l’effet ? Un verre de chablis ? Que nenni. Du liquide en barre, peut-être...

Alors je me suis demandé à moi-même : « Bill (oui, dans mes dialogues privés avec moi-même je me surnomme Bill), faut-il que j’aille chez le gynéco, Bill ? – Oh, bah, me suis-je répondu à moi-même sans autre commentaire … ».

Dans mon activité artistique, c’est encore pis : le fusain me tombe des mains ; si je peins des landes, le tableau commence à être pourpre et les couleurs se brouillent… Dans le fond on distingue même un abri côtier, alors qu’au départ je ne peignais pas une marine !

Pour parler, ça empire : je ne peux que répéter stupidement : « C’est quoi y a ? ». Pas très fûté mais je n’y peux rien !

Ce qu’il me faudrait, c’est peut-être une bonne taille illico, que ça brûle ici, et là aussi, sans que mes cheveux à rebrousse aillent. Or, me coiffer je voudrais pouvoir. Vous voyez, ça continue ! Y a pas à dire, quand tu y as, c'est pour la vie.

Ce texte est dédié, avec ma respectueuse admiration et ma rageuse incapacité à l'égaler, à Olivier Salon, auteur et diseur d'un texte complètement fleuri et carrément délirant, "Dites-le avec des fleurs", Nouvelle Revue Moderne n° 25 (2009), déniché ici sur YT. A noter que certaines fleurs, bien planquées dans son laïus, échappent à la quasi totalité de l'auditoire, lequel semble malheureusement rater les citations les plus fines. Faut dire que le bouquet est garni, et qu'à moi qui l'écoute pour la 3e fois, c'est plus facile, seule et tranquille, que dans une salle à première écoute.