A supposer que le miroir ne renvoie pas mon image... - Texte de Mr K, des Diffractions :

A supposer que le miroir ne renvoie pas mon image,
j’éliminerais en premier lieu certaines hypothèses
de nature à alimenter de grosses inquiétudes - y compris et surtout les miennes -
sur mon état de conscience,
je m’assurerais que je ne me suis pas planté devant une photo – celle de quelqu’un d’autre ? - ou un tableau,
ce qui pourrait fournir un début d’explication,
et lorsque j’aurais fait cœur net,
je n’en resterais pas là, passif, à ne pas me trouver,
perdu en ce miroir,
je chercherais un peu partout,
au-dessus, derrière, par terre où j’ai bien pu me coller, et si toujours rien,
je poursuivrais les tests,
je passerais un coup de téléphone à l’association nationale des passe-muraille,
je me dirais, au milieu des éclats de verre,
qu’il est temps de retirer son gilet pare-balles
maintenant que la fusillade est terminée,
j’essaierais de me souvenir si je ne suis pas aveugle,
je vérifierais si j’ai les yeux fermés
ce qui pourrait expliquer pourquoi j’ai une tête d’intérieur de paupière,
… et si rien n’y fait
je me frotterais les yeux,
avant de frotter la surface réfléchissante,
et je me demanderais sans doute qui cela peut bien être,
ou quoi, selon ce que j’ai sous les yeux, bien sûr,
si j’ai encore des yeux,
vous voyez que je passerais, bousculé, ému,
par différentes réactions, plusieurs états,
incrédule et perdu à la fois,
et je finirais vraisemblablement par traverser et rejoindre
Alice derrière le miroir,
je comprendrais que j’ai simplement changé,
ou bien encore j’encaisserais en pleine face l’idée vertigineuse
et pleine de gravité qu’en réalité, là, ce que je vois, « qui » je vois,
est juste quelqu’un d’autre,
car je viens tout juste de prendre conscience, les yeux dans les yeux,
que je ne suis pas celui que je pensais être…
oui, en fait je suis juste quelqu’un d’autre…


A supposer que je me présente à l’élection présidentielle... Par La Taulière :

A supposer que je me présente à l’élection présidentielle, il faudrait certes me préparer à une tâche énorme quoique grandement facilitée par mes prédécesseurs puisqu’il n’y aurait, pour réussir (ou pour bien se marrer), qu’à simplement prendre leur exact contrepied : rétablir l’impôt sur la fortune, réintégrer les trois mille et quelques postes de contrôleurs fiscaux supprimés récemment, afin d'enrayer l’épidémie « d’optimisation fiscale » qui s’ensuivrait, faire rentrer les 100 milliards de la fraude actuellement dans la nature (chiffres du 12 septembre 2018) ; se donner l’objectif à court terme d’une juste répartition des revenus sans craindre l’évasion de capitaux car les « évadés » putatifs ne mettront pas leur vaine menace à exécution (ce n’est pas leur intérêt et ils le savent), ou alors pour une faible fraction, et puis garder un seul cap, l’environnement et le reste suivrait : juste répartition des richesses, agriculture honorable, envol de l’investissement industriel de pointe, reconversions professionnelles, décroissance sans autres limites que garantir la santé, le bien-être publics et la nécessaire autonomie du pays – décroissance qui ne remettrait pas en cause un haut niveau de production des biens nécessaires et suffisants avec exportation de nos savoir-faire mais frapperait d’abord la myriade de gadgets ne servant qu’à vider les comptes en banque, et puis et puis : sortie de l’Europe par la grande porte pour rejoindre, comme en faisait le vœu l'autre semaine le député Ruffin, un club des pays du Sud libérés de la doxa ultralibérale et déterminés à fonder enfin l’Europe des peuples, bref, si je sens bien la faiblesse du programme économique décliné ci-dessus je me dis que c’est pas pire que certains et donc je me préparerais à gérer le pays en révolutionnaire : exit la compétition, coopération partout, participation citoyenne étoffée et agissante, d’où nouvelle constituante et voilà qu’il va falloir me réélire pour les cinq années suivantes – non, sept parce que le principe du quinquennat, miné par des échéances électorales incessantes, n’entraîne qu’un court-termisme désolant sur fond d’aspiration au pouvoir – et que, pendant les sept années suivantes et ah oui à propos, exécutif et législatif seraient 100 % féminins - 100% femmes racisées, tiens, quoi comment qu'est-ce mais oui, on a besoin de faire comprendre ce qu'est l'exclusion voyez-vous, et durablement, pour pouvoir après repartir sur de bonnes bases avec les hommes, quand on pense qu'aucune femme n'a été ministre de plein exercice jusqu'en 1974 ou à ce que Christiane Taubira a dû supporter (elle et bien d'autres), revenons à nos moutons, pendant le mandat suivant il faudrait approfondir tout cela, consolider les nouveaux partenariats, cultiver enfin le jardin planétaire selon Gilles Clément alors on commencerait à redresser la tête, à regarder l’horizon, à ouvrir les narines et les poumons et moi je commencerais à baliser sec – à supposer que je me sois présentée à l’élection présidentielle et que j’aie été élue – de me prendre une bastos dans le buffet si ce n’était pas déjà fait ou bien je me serais déjà congédiée moi-même en 2023 pour avoir largement dépassé la limite d’âge.