Dans cet épisode-ci, Jeannot va rencontrer d'autres humains. Chose étonnante, c'est Mr Hérisson qui va les lui faire découvrir ! Après le coup des chasseurs, on pourrait penser que le vieux réparateur n'aurait d'autre souci que de préserver Jeannot de toute exposition à l'humaine présence. On se souvient que, dans un épisode antérieur, Jeannot avait déjà risqué sa vie dans un jardin empoisonné...

Mais la pédagogie de Mr Hérisson ne consiste pas à éviter les expériences à Jeannot : il préfère qu'elles aient lieu et reste à distance, prêt à intervenir si ça tournait mal. Bien sûr, Jeannot ne le sait pas ; il est un jeune lapin avide d'aventures, dépourvu de prudence et de réflexion. Et puis, il croit que c'est de sa seule initiative qu'arrivent les aventures en question :-)

Pour cette fois, Mr Hérisson va provoquer la rencontre de bons humains (que Jeannot, qui n'est pas champion d'orthographe des langues articulées, écrit "bonzumins"). Il se trouve, voyez le hasard, que les bons humains sont... des enfants (oui, parce qu'après ça se gâte, comme nous le savons tous. Mais on ne veut pas décourager Jeannot).



Délaissant la montagne de travail qui l'attend (réparations en tous genres) Mr Hérisson vient chercher Jeannot un après-midi : « Hé ho ! Jeannot ! Tu veux te promener ? ». Autant demander à un affamé s'il veut manger ! Jeannot coiffe sa petite casquette bleue et manque arracher la porte tellement il sort vite.

- Où on va ? Sur le sentier de la forêt du Gros Serpent ?
- Ah non ! Tu n'as pas envie d'être mangé une nouvelle fois ?
- Brrr, non !! Pas dans le pré du Loup, tout de même ?
- Mais non ! Ne sois pas impatient, et marchons...

Les deux amis dévalent le sentier qui descend du village des petites bêtes (un ensemble de terriers, de nids, de tas de branches et de trous divers). Jeannot le connaît bien, ce sentier, c'est celui qui mène à la rivière. Il se finit par un "T". En prenant à droite, on rejoint la forêt. Sur la gauche, on va longer le jardin empoisonné (qui ne l'est plus, l'humaine propriétaire des lieux ayant compris que les bestioles au jardin ne sont pas ses ennemis). Mais après, qu'y a-t-il... ?

Lorsque Jeannot voit se profiler au bout du sentier des maisons humaines, il s'arrête net : « Et s'il y a des chasseurs ? », demande-t-il, inquiet.

- Il n'y en aura pas, affirme Mr Hérisson qui connaît les humains sur le bout des pattes et sait même compter dans leur temps et dans leur espace. Les chasseurs ne chassent jamais au village. Ils vont dans les prés ou dans la forêt. Aujourd'hui, au contraire, tu vas rencontrer des humains gentils. Tu vois cette maison ? La première sur la droite, celle avec une cour et trois grands arbres ? Eh bien, on l'appelle l'école. Ici, les petits humains apprennent des choses avec une personne qu'ils appelle "maître" ou "maîtresse".

Les voici à l'entrée de la cour d'école.

Jeannot franchit l'entrée à la manière "lapin", c'est-à-dire qu'il avance par tout petits bonds, en se mettant toujours à couvert derrière un bout de mur, un tronc d'arbre... Mr Hérisson, lui, se contente de suivre le pied du mur en trottinant menu sous les feuilles mortes. Chacun d'eux porte des couleurs qui les dissimulent : couleur terre, couleur feuilles, gris clair, marron foncé... Ainsi, invisibles aux regards humains, ils approchent du bâtiment. De l'intérieur leur parviennent des voix, pour la plupart aiguës, et une autre plus grave.

Jeannot n'y tient plus. Et, avant que Mr Hérisson ait le temps de lui conseiller la prudence, hop !! Jeannot a sauté sur le rebord de la fenêtre et, comme hypnotisé, il regarde à l'intérieur.

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Dans la classe, la petite Luce s'ennuie un peu. Elle a fini le travail demandé par le maître et rêvasse en regardant le ciel par la fenêtre. Elle pense que le temps de la récré n'est pas loin et qu'elle ira ramasser des feuilles jaunes et rouges avec ses copines, car elles en font la collection.

Tout à coup :

- Maître ! Maître !
- Quoi donc, Luce ? Ne crie pas, je ne suis pas sourd !
- Maître... J'ai vu un petit lapin sur la fenêtre !! Il était marron avec...
- Mais bien sûr, Luce, un lapin. C'est bien connu, j'ai inscrit plusieurs lapins à l'école et ils ne vont pas tarder...
- Non, mais c'est vrai, j'ai VU un lapin !
- Ha ha ! Et où est-il donc, ce lapin mystérieux ?, fait le maître en se penchant au-dessus de Luce.

Bien sûr, la cour est déserte. Le maître retourne à son tableau en expliquant à Luce qu'il s'agit sans doute du chat de la boulangerie qui parfois vient faire un tour dans la cour. Mais Luce proteste : elle le connaît, ce chat. Ce n'était pas lui et il avait de longues oreilles... Comme un lapin.

Comme tous les adultes, le maître n'accorde pas grande importance aux prétendues visions des enfants. C'est bien connu, ceux-ci ont tendance à confondre le monde réel et l'univers de leurs rêves...
Jeannot Lapin.jpg

... Pendant ce temps, sur le chemin du retour, Mr Hérisson et un Jeannot pensif retournent au village des petites bêtes.

- Tu as été imprudent, dit Mr Hérisson. Quand on s'approche trop des humains, on ne sait jamais ce qui peut arriver.
- Mais c'est TOI qui m'as dit qu'on allait les rencontrer, proteste Jeannot.
- Oui, mais il y a des règles. On ne bondit pas comme ça à moins d'un mètre d'un humain.
- Ah bon ? Comment on fait, alors ?
- Eh bien, on reste éloigné tant qu'on n'est pas sûr des intentions des humains. Il faut garder la distance qui t'est nécessaire pour t'enfuir très vite en cas d'urgence. Si l'humain te regarde, il ne faut plus bouger et attendre un petit instant. Quand tu es sûr qu'on t'a vu, et que l'humain ne va pas chercher une arme...
- C'est quoi une arme ?
- Ben, un fusil comme les chasseurs, tu sais, le truc qui envoie des projectiles brûlants qui nous tuent ; ou bien un gros bâton, un outil de jardin... Entre leurs mains, tout peut être une arme.
- Et s'ils en ont pas, d'armes ?
- Dans ce cas, tu peux t'approcher un tout petit peu. Si l'humain te parle - enfin, s'il fait des bruits doux, avec sa gorge, ou s'il te tend une feuille de salade, ou une carotte, ou n'importe quoi qui peut nous faire plaisir, tu fais encore un petit bond mais toujours à distance, hein.
- On peut pas la manger, la carotte ? (Jeannot a toujours faim).
- Ca dépend... Si l'humain la pose par terre et s'il s'en va ou recule, tu peux t'approcher et y goûter. Mais attention ! Il faut bien regarder d'abord tout autour de toi, au cas où ce serait un piège et qu'un autre humain pendant ce temps s'approche par derrière pour te capturer ou te tuer.

Jeannot ne répond rien. Il reste pensif un moment. Puis :

- L'humain qui m'a regardé dans l'école avait l'air gentil. Il avait un joli très long poil couleur de soleil et des trucs roses et bleus sur lui (oui, les lapins connaissent les couleurs. Du moins toutes celles qui sont dans la nature).
- Ce ne sont pas des poils mais des cheveux. Les humains en ont beaucoup sur la tête, sauf les plus vieux. Et les trucs roses et bleus, ce sont ses vêtements, car les humains, comme tu as vu sur les chasseurs, mettent des habits fabriqués en plantes, on dit "tissu", pour se couvrir là où ils n'ont pas de poils. Quant à l'humain que tu as vu, ce n'est pas "un" mais "une" jeune humaine, on dit "une petite fille".

Jeannot est silencieux. Ils cheminent.

- Nous voilà chez toi. Donne bien le bonjour à ta maman, je vais vite travailler un peu car j'ai pris du retard.
- D'acc, fait Jeannot, l'air toujours évasif. Sa pensée de lapin est pleine de cheveux blonds, de vêtements roses et bleus, et de deux yeux étonnés, brillants et couleur de gland mûr. Il a quelque chose de très doux en lui, si ça pouvait se dessiner dans l'air ce serait comme une brume de coeurs roses et dorés flottant comme des bulles autour de lui... Il se répète « Petite fille, petite fille... »

Mr Hérisson rentre chez lui, un peu préoccupé. « Allons bon, voilà-t-il pas que j'ai causé une catastrophe sans le vouloir. On dirait bien que notre Jeannot est tombé amoureux d'une humaine... ».

Il soupire en attaquant son travail du jour et finit par se dire que, quoi qu'il arrive, eh bien : ça devait arriver. Ainsi va la philosophie des hérissons, ce qui les empêche de se faire de la bile à tout propos.


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(1) Ce titre a été inspiré à La Taulière par une série absolument délirante visionnée récemment sur Arte : Coincoin et les z'inhumains, malheureusement disponible maintenant seulement en VOD (mais bon, à 3 balles l'épisode vous pouvez tenter le coup). Aux manettes, le redoutable Bruno Dumont dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'il ne va pas à la plage par les chemins rebattus...

Bien entendu, l'histoire de Jeannot Lapin n'a rien à voir avec l'univers de Dumont. Il s'agit d'une série d'histoires, en fait, que je raconte depuis des lustres à mes petits-enfants. N'ayant que peu d'imagination, j'étais assez satisfaite d'avoir inventé une histoire avec suffisamment de gore et d'effrayant pour les faire flipper et une happy end bien entendu, très happy.

(2) Ma plus jeune petite-fille, Luz (bientôt 6 ans), après avoir réclamé sans cesse pendant plusieurs années cette histoire (Jeannot Lapin et le Gros Serpent), refusant d'en entendre une autre, au point que j'étais lassée par mon propre récit, j'ai dû inventer un autre épisode afin de varier un peu les plaisirs. Las ! A peine bouclé l'épisode 2 de la saison 1 ("Jeannot Lapin et le Loup"), il a fallu passer la surmultipliée. Dans "Jeannot Lapin et le jardin empoisonné", les humains ont fait leur apparition... Insatiable, Luz, qui a compris maintenant qu'il pouvait y avoir un nombre non fini d'aventures de Jeannot, m'attend au tournant, semaine après semaine...

C'est alors que je me suis avisée d'instiller dans mes histoires de Jeannot un peu d'écologie (jardins sans pesticides), puis, dans le terrible épisode "Jeannot Lapin et les Humains" (rencontre des chasseurs), un vigoureux plaidoyer anti-chasse...

C'est comme ça que, sans trop savoir comment, je me retrouve à devoir pondre des épisodes avec la même régularité et la même angoisse qu'un scénariste hollywoodien lié par contrat à une major bardée d'avocats, et qu'est née la saison 2...

Jeannot Lapin a une maman, "Madame Lapin", il n'y a pas de papa dans cette histoire. Ce n'est pas un choix conscient de ma part, c'est ainsi que ça m'est arrivé dans la tête, that's all... Il y a une voisine, qu'on appelle "La voisine" ou "Madame Duchou".

Mr Hérisson a un statut à part : vieux célibataire un peu grognon dans les premiers épisodes, il vit à l'écart du village, vers la sortie, au bord du sentier qui mène au bois du Gros Serpent. Sa fonction est double : il est réparateur, c'est-à-dire qu'il peut raccommoder à peu près tout à l'aide d'aiguilles de pin, d'herbes tressées, de branches, de terre. Il est aussi celui qui a sauvé Jeannot de sa première aventure, car il a trucidé le Gros Serpent à l'aide ses piquants, rien moins.

Mr Hérisson est donc le mentor de Jeannot (son référent adulte, diraient les éduc's aujourd'hui), en l'absence de père. Jeannot lui fait une confiance totale et Mr Hérisson lui apprend le monde.

Pour Luz, du moment que Jeannot chemine avec Mr Hérisson ou que celui-ci n'est pas trop loin, son héros ne risque rien. Car Jeannot est son héros absolu : elle le dessine, sans omettre la petite casquette bleue, qui joue un rôle essentiel dans les deux premiers épisodes, bien qu'on ne puisse la rattacher à rien dans le mode de vie animal. Mais c'est ainsi, Jeannot porte une casquette bleue. Dans les dessins de Luz, elle ressemble un peu à une poêle à frire ou à une galette flanquée d'une pomme de pin.

Dans l'épisode d'aujourd'hui et le suivant, Jeannot tombe amoureux d'une petite fille. Ce rebondissement a fait glousser Luz d'aise et de confusion, ses joues ont rosi lorsque j'ai prononcé le mot "amoureux" !! Rien que pour ça, je suis contrainte à imaginer une suite et une fin dignes de ce coup de foudre et, pour tout vous dire, je ne sais pas trop où je vais...

Et ne vous imaginez pas que je vais vous raconter la suite. J'ai déjà bien du mal à m'y retrouver dans mes différentes versions !

En revanche si vous avez une idée sur ce que peut donner une histoire d'amour entre une petite fille et un lapin... Dans l'épisode suivant, Luce a apprivoisé Jeannot un peu sur le mode du "Petit Prince". Le lapin est devenu la mascotte de l'école et engraisse à force de manger ce que les enfants lui apportent tous les jours.

Mais vous sentez bien qu'on ne peut pas en rester là, les gens heureux n'ayant pas d'histoires, c'est bien connu.