... Tout ce qu'on pourrait reprocher à la rigueur à ce passe-temps, c'est sa prévisible et fatale chronophagie, qui nous fait abandonner sans remords toutes tâches exaltantes telles que passer l'aspirateur, décrotter les chaussures de marche, préparer des légumes qui se fanent dans le bas du frigo ou pire : faire la vaisselle.

On est vite consolée par le charme de cet inéluctable avalement : la Taulière, ayant attrapé son Petit Robert 2010 pour y chercher une fois de plus ces deux verbes farceurs : coltiner et colleter, régulièrement confondus par les gens qui parlent ou écrivent dans les médias, dut réviser.

Elle constata - ou se souvint aussitôt, car elle est à l'âge où il faut repasser par ses traces pour se dire "ah mais oui, je le savais" - que ces presque doublets réfèrent tout deux au collet, mais diffèrent par le verbe qui les fonda, grosso modo, à la même époque.

1835 pour l'un (coltiner = prendre au collet, ou coltin, une charge et la transporter ainsi ; le coltin consiste en une "coiffure prolongée d'une pièce de cuir protégeant cou et épaules") ; 1850 pour l'autre (période de notre histoire notoirement belliqueuse) : colleter = saisir au collet. Se colleter avec, empoigner dans l'intention de se battre, donc.

La finesse du distinguo explique la confusion actuelle, et la légitime. Car, "prendre" - même s'il s'agissait de prendre au sens de : se charger de - et "saisir", sont de nos jours, sont suffisamment proches pour que coltiner et colleter s'approchent au point de se confondre. Il semble que "coltiner" doive seul subsister, si l'on en croit la fréquence majoritaire de son occurrence. Et pourquoi pas ? La finale en "iner", avec son côté mignon, justifie peut-être ce nouvel usage.

Lorsque la langue s'amenuise sur ce mode anodin, il nous semble qu'il n'y a pas péril en la demeure.

Entre temps, la Taulière est embarquée ! Pas moyen de s'extraire. Encore a-t-elle démarré à la lettre "C", ce qui vous évitera quelques pages de lecture. Mais la voici penchée sur le canalicule, qui n'est pas une petite rivière mais le fin conduit qui charrie notre bile hépatique, vers... quoi ? n'importe, il conduit.

Vous en êtes là : vous avez trouvé le.s mot.s cherché.s ; si vous ne refermez pas fissa le dico, vous êtes partie pour une heure de divagation, cependant non dépourvue de poésie. Les mots se mettent à vous sauter au visage en une riante litanie : contrescarpe, dinanderie, estalingure, ou le redoutable enthymème (déjà, énoncer un syllogisme c'est pas si facile, alors si en plus il faut "sous-entendre" l'un des termes... Vous me direz que Descartes y parvint bien, le bougre, et en latin "cogito ergo sum" - un carcan de l'imaginaire s'il en fût. De tout mon coeur je plains les cartésiens).

Bref, courons sus et sautons par-dessus F, G et H. N'apercevons que pour la beauté de ses fleurs la ravissante ipomée, ignorons presque le classique malabar dont l'étymologie (Inde ?) n'est même pas établie, le pauvre ! Passons la mordorure et le nigaud, eût-il les yeux pers (tiens, déjà le P) - pers mais non vairons, hé là, pas si vite ! - pour caracoler au plus près du récolet, et tomber immanquablement à la porte du stathouder et... Stooop !

Pourquoi le Robert n'établirait-il pas ses prochaines éditions en les expurgeant de ces mots dont la probabilité d'utilisation doit avoisiner les 0,00002 pour mille (l'occurrence d'aujourd'hui prenant en charge pour vous, ne me remerciez pas, la statistique mensuelle d'apparition du stathouder et même de son suivant, le très moche stathoudérat) ? Ils (les Robert) publieraient alors un genre de "Dico des oubliés" ou "Collection des mots rares et désuets" où l'on pourrait entasser, comme dans un grenier mais hors poussière, des personnalités vocabulaires telles que ripuaire.

Ripuaire : riverain du Rhin... Un mot tout exprès créé pour une rive particulière ! La Taulière, qui ne fait pas les choses à moitié, se propulse illico sur Google Maps pour dénicher, du côté de Strasbourg, un quelconque quai du Rhin, dans l'idée d'informer ses habitants qu'ils sont tout bonnement des ripuaires, terme jalousement réservé aux seuls Rhénans côté français. Car vous ne trouverez pas le moindre ripuaire sur les bords du Rhône, de la Seine ou de la Garonne, pas plus que de "Ripüer" germanisé pour nos voisins d'en face.

Ceux-ci se contentent de s'appeler Anlieger (= situé contre, à côté), ce qui a tout de même plus de gueule et sonne bien plus joli : "Mein Haus und mein Hof liegen einige hundert Meter vom Rhein weg", cite Reverso dans la phrase-exemple entièrement dévolue au souci de l'environnement que prononce un riverain du Rhin allemand dont la maison est construite à quelques cent mètres du fleuve (notez le "mein Haus und mein Hof", jolie tournure signifiant littéralement "ma maison et ma cour", qui m'évoquent, je ne sais pourquoi, une tournure auvergnate d'un certain village, ou canton, où les hommes désignaient jusqu'à peu leur épouse ou plutôt, la maîtresse de maison, par "la femme qui est chez nous").

Imaginez la détresse de l'ado allemand invité Outre-Rhin, et qui croirait courtois, pour démarrer les opérations de fraternité post-45 (toujours en construction, le croiriez-vous), de déclarer à ses hôtes qu'il est lui-même ripuaire...

En attendant, pour les Strasbourgeois et putatifs ripuaires, pas de pot : il n'y a pas le moindre quai habité sur le Rhin. Incroyable mais vrai. Ouais ouais, je vous entends bien : et la Petite France et compagnie... Eh ben, c'est sur l'Ill, figurez-vous ! Pas de quai sur le Rhin, donc. A peine une triste et déserte "rue de la digue du Rhin" dont on se demande bien pourquoi elle bénéficie de ce statut de rue, vu qu'il n'y habite pas le moindre Alsacien, bordée qu'elle est par des gazomètres et des terrains vagues promis à l'exploitation industrielle et qu'elle se termine par une barrière donnant sur un chantier. Jamais ville n'a maltraité les abords de son fleuve avec une telle furia économique (à l'autre bout, le port du Rhin, pas davantage poétique).

On lit pourtant, sur ce bord de l'eau, une végétation de ripisylve (je vous l'ai déjà infligé, celui-là), à ranger dans le même dictionnaire spécifique.

Imaginons donc l'entrée cérémonielle, dans ce Dico des Oubliés, du stathouder (gouverneur de province dans les Pays-Bas espagnols, genre 17e siècle), du starets (ermite ou pélerin, du russe), de l'orichalque, du pfennig (tiens, prends ça de la part des ripuaires !). On y admettrait aussi la poliorcétique, encore que l'art d'assiéger semble encore en vogue au Proche-Orient. On y fourrerait pêle-mêle la risberme dont la définition n'est pas très éclairante ("talus de protection recouvert de fascines"), heuristique, gnomonique et analemmatique, apparentées seulement par la difficulté à mémoriser leurs définitions.

Je n'y étendrais pourtant pas, même délicatement, le ripplemark, "petite ride du sable formée par le clapotement des eaux à la surface des plages". Non, celui-là je le laisserais rider rêveusement le sable dans le dico usuel, pour la chance qu'une lycéenne curieuse puisse tomber dessus en cherchant quelque terme utilitaire pour un devoir. Aussitôt l'image d'une lycéenne plongée dans le dico s'efface au profit de la vision de sa main et de son regard rivés à son smartphone. Mais j'y logerais volontiers l' uxorilocale (qualifie une résidence appartenant à l'épouse et qui serait adoptée par l'époux), car l'on conviendra de la ringardise d'un tel concept.

Si vous me demandez mon avis, j'y collerais bien, et dans un coin, encore, la start-up que Macron prétend inventer alors que la première occurrence selon Robert est de 1992, ha ha je ris, Macron en 1992 (il eût alors été encore temps de l'arrêter et de l'éduquer, hélas), mais start-up dont plus personne n'ignore qu'elle est une "entreprise de haute technologie à fort potentiel de croissance, soutenue par le capital-risque ou les stock-options", lesquelles sont des "options sur achat d'actions avec prix préférentiel pour les cadres dirigeants". Le franglish moderne n'est-il pas profondément ennuyeux ? Sans compter que mobiliser du capital-risque sur une entreprise au fort potentiel de croissance... où est le risque ?

Je n'y broderais pas le surfil, bien utile pour éviter l'effilochage des bords d'une couture, d'autant plus que, toujours plongée dans son Robert (et non l'inverse), la Taulière ne fait guère de découvertes à la page des "sur" hormis les surestaries dont nous reparlerons. Non, je ne vous épargne rien, surtout qu'il n'y a pas de raison que je sois seule à souffrir, vu qu'en ce moment sur France Culture un type calé nous parle du schème narratologique de Platon, deux mots à verser direct au Dico des Oubliés, au DdO qu'on pourrait-même acronymer DOdO (Dico Ordinaire des Oubliés, ou mots sommeillant).

Je n'y mettrais pas davantage la varlope, que je laisserais au contraire dans l'usuel au titre de la conservation des métiers car "un menuisier chantait, accompagné par les sifflements de sa varlope. (Zola)", exemple pertinent trouvé par le Robert.

J'hésiterais pour l'étambot, débusqué à la même page que l'estalingure avec l'étonnement de dégotter, dans un dico plutôt dévolu aux terriens, autant de termes de marine au demeurant vraiment sympathiques. Mais, s'agissant de marine, il faudrait garder, toujours réclamées et dues, les estaries ou staries, encore appelées délais de planche car elles sont payées par l'affréteur à l'armateur pour les jours de chargement/déchargement pendant lesquels le navire de ce dernier est immobilisé.

Et gare aux "surestaries", si l'immobilisation s'éternise, du fait d'une grève des dockers par exemple, lesquels refuseraient d'emprunter la "planche" ou passerelle menant du quai au navire pour coltiner des sacs de café, de sucre, etc. Aussitôt, l'image du docker de sombrer dans les glauques eaux naphtées du port, le déchargement de containers fermés s'effectuant aujourd'hui par pont roulant, portiques et autres grues à flèche à quadruple mouflage, sans qu'il y ait moyen de renifler le moindre parfum de café, épices, rhum qui ont permis au port de Bordeaux de couvrir avec délicatesse et bonne humeur son activité négrière.

Bref, d'anachorète en bastingage, de fluorine en maritorne (celui-là : poubelle direct, puisqu'il n'y a pas l'équivalent de "femme sans grâce, vulgaire" pour les mecs), il nous faudrait statuer aussi sur la philopatrie, le tilapia rouge et la viguerie...

Mais quid du vulgum pecus, qui défile sans désemparer, courageusement affublé de gilets jaunes ?

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A celles et ceux qui s'étonneraient qu'après avoir annoncé quasiment la fermeture de l'Appentis, la Taulière s'épanche en janvier avec près d'un billet par jour, justifiant ainsi l'avisé commentaire de Bébert-la-Pilule, je répondrais que ben oui, c'est comme ça, je ne sais moi-même pourquoi, mais que ça peut se tarir d'un moment à l'autre et que c'est ce qui fait le charme de l'Appentis, de ne pas être tenue par des parutions régulières ou un quelconque délai, la procrastination fonctionnant très bien dans les deux sens : écrire alors qu'on a mille autres choses à faire, ou faire des trucs et des machins alors qu'on a mille pages à écrire.