Que la photographe de l'Elysée (la dame qui avait si bien réussi le portrait de "l'homme seul au soir de son destin national" - 14 mai, cour du Louvre), que cette dame, donc, soit entièrement attachée, dévouée et rémunérée pour la plus grande gloire de celui-ci, on n'en doutait plus.

Ce "photo-reportage" a de toute évidence été fabriqué à toute berzingue dès la sortie du livre de François Ruffin "Ce pays que tu ne connais pas" (lettre ouverte à Macron), éditions Les Arènes.

Ca sent le déminage express, le contre-feu hâtif. Macron a déjà raté le virage depuis la montée des Gilets Jaunes, il n'allait pas laisser paraître un bouquin explicitant en long et en large combien il est le produit très privilégié, d'un réseau de très grands bourgeois et de patrons du CAC40, sans réagir. Bon, on ne peut pas dire qu'il ait été bien conseillé sur ce coup-là non plus !

François Ruffin et son éditeur ont sorti le bouquin sans avertir personne, ce n'était pas par hasard. Ils ont même court-circuité les RG en faisant imprimer le bouquin en Italie... C'est donc tombé comme une petite bombe, qui va sans doute faire un bruit modéré parce que le pouvoir va utiliser toutes ses relations dans les médias pour étouffer ce bruit. Pas sûr qu'ils réussissent d'ailleurs... Mais visiblement, l'Elysée a cru bon d'allumer ce contre-feu. Je crains pour eux que le vent n'ait tourné brutalement et que les flammes ne viennent leur lécher le bout des chaussures...

Que Macron n'ait pas hésité à endosser le "costard du maraudeur social" (jean's et cuir, le tout soigneusement mis en scène, pas trop neuf, vraiment "sportswear" et surtout, le détail qui fait craquer : il n'est pas rasé. Ha, le top !!), c'est déjà assez crado, de la part d'un mec qui ose dire que les minima sociaux "coûtent un pognon de dingue", phrase que la droite s'est évertuée à défendre en parlant de son contexte... A ce propos, le "contexte" en question, il est parfaitement audible sur internet et on ne peut pas dire que ça vienne expliciter ni justifier la formule, de la part d'un mec qui a lâché 20 milliards d'euros pour le CICE sans qu'il y ait eu la moindre contrepartie en matière d'emploi... Et ce n'est qu'un petit exemple.

Cette misérable tentative du pouvoir pour nous faire croire que Macron est l'ami des SDF suscite donc l'écoeurement. Justement, Ruffin n'a pas de mal à démonter, dans son bouquin, cette passion du "contact" professée partout par le président, et qui n'est qu'une petite arnaque de plus. Au-delà du "contact" de quelques minutes qu'il a pu avoir pendant cette maraude, qu'aura-t-il compris de la vie des sans-abri ? Il y faudrait plus qu'une demi-heure immortalisée (? voire) par des photos complaisantes.

Qu'il ait éprouvé le besoin de se faire accompagner, pour cette petite sortie nocturne, par sa photographe ("sans micros ni caméras" dit le reportage, mais y avait pas besoin !! Il avait son propre service de presse), c'est là où la nausée nous prend.

Pour celles et ceux qui liront le livre de François Ruffin, tel qu'il est : rageur, émotif, sensible, parfois désordonné mais très percutant (comme l'homme, quoi), vous aurez aussi apprécié son côté formidablement documenté sur l'homme Macron. Et croyez-moi, ça ouvre les yeux au cas où on les aurait étourdiment refermés.

Ce que Ruffin démontre (assez facilement, en bon journaliste il utilise des sources fiables), c'est qu'Emmanuel Macron n'a aucune, mais aucune idée, de ce que vivent les Français les plus en bas de l'échelle et de la grande masse de celles et ceux qui sont sur les premiers échelons. Et encore, c'est peu dire. On se demande même s'il sait qu'ils existent. Bon, ça on le savait mais Ruffin l'argumente et le met en lumière, comme on dit, ça va mieux en le disant et encore mieux en l'écrivant.

Autant vous conseiller de vous le procurer, ce n'est pas un chef-d'oeuvre de la littérature mais ce sont 200 pages d'utilité publique.