... n'a jamais été dans le top-ten de la Taulière (ni même dans son top-1257), mais il a traversé (à son insu et pas dans le rôle-titre) deux fois sa route, du temps où elle vivait elle-même en Auvergne.

La première fois, c'est vers 1993. Une copine de ma période lyonnaise me téléphone : « Je suis pas loin de chez toi, je peux passer te voir ? » - Mais comment donc, c'est un vrai plaisir que revoir Yasmine, une nana très agréable, rieuse, un beau visage à la Marianne Sägebrecht (à l'époque de sa splendeur, dans Bagdad Café).

Yasmine arrive. Mère de famille exemplaire comme on dit, mariée à Selim, neurologue séduisant comme le diable, qu'on s'arrache dans les soirées. Deux enfants adorables, une villa 1900 avec piscine, quoi donc qu'elle fait en Auvergne, ma copine Yasmine, lui demandé-je en subodorant une drôle d'histoire. Ce sera une histoire drôle.

- Eh ben, en fait, j'en ai pris marre d'eux tous (mari, enfants), c'est vrai, à leur service toute l'année, plus de vie personnelle... Je me suis barrée quelques jours pour me ressourcer.

Un silence.

- Non, en fait, je suis partie pour essayer de trouver Jean-Louis Murat, le chanteur, tu sais. Tu vas rire, je suis tombée fondue amoureuse de ce mec, je voulais le voir chez lui, je me suis renseignée, il a une maison à... et j'y suis allée.

Je ne ris pas, parce que vous savez, l'amour quand il vous tombe sur le coin du corgnolon, parfois c'est pas mal de l'écouter et de suivre le cordon Bickford allumé jusqu'à la charge de dynamite et de sauter avec, dans un soleil d'étoiles. Moi, je trouvais que Yasmine avait eu raison d'écouter son p'tit coeur de midinette, même si elle représentait à mes yeux le summum de ce à quoi on peut arriver vers quarante ans quand on a tout réussi...

« Alors j'ai pris ma bagnole, j'ai fait le plein et zou. Mais tu penses... Arrivée devant chez lui, à... c'était fermé, y avait un type qui tondait la pelouse devant la baraque. Murat il compose chez lui, il a un studio dans sa propriété, mais il est super entouré, y a pas moyen de l'approcher, il est très jaloux de son intimité alors, la big barrière. J'ai essayé de soutirer quelques informations au type, mais je me suis fait jeter, il m'a dit qu'il était absent, mais je ne l'ai pas cru, il voulait me décourager... Ouaah, j'étais au trente-sixième dessous !

Alors je me suis dit, puisque j'étais dans le coin, autant profiter de cette belle région, et puis passer te dire bonjour, et j'ai pris la route en écoutant des CD de Jean-Louis Murat à fond la caisse...

J'ai dormi hier soir à... et je suis montée ce matin dans les Puys. Le long de la 89 j'ai vu indiquée une auberge qui me semblait sympa, j'ai pris cette route à gauche...

- C'est le lac de Guéry ! Très beau coin... (j'y étais allée en exploration l'hiver précédent, un dimanche à quatre heures de l'après-midi, autant dire une heure-suicide en montagne. J'avais terminé entre deux murs de glace de deux mètres de haut, pas moyen de faire demi-tour sur cette route étroite, j'ai bien failli y rester, la voiture zig-zaguant entre les congères, bim, paf... J'en suis rentrée terrifiée après avoir réussi, parce qu'il y a un bon dieu pour les imbéciles, une manoeuvre à 0,01 % de chances de succès, décidée à mieux faire connaissance de cette région par ailleurs absolument superbe, mais un jour de printemps c'est-à-dire fin juin).

- Oui, c'est ça, l'Auberge du Lac de Guéry (1) ! Alors j'arrive sur leur parking, je me gare un peu loin, tout au bord du lac, dans l'idée de prendre quelques photos, la lumière était superbe, un peu de brume... Je fais plusieurs clichés, très occupée par mes prises de vue quand tout à coup j'entends un "plouf", je me retourne : c'était ma bagnole qui prenait un bain !!! J'avais oublié de serrer le frein à main, elle est descendue toute seule et s'est enfoncée dans l'eau, heureusement c'était pas très profond...

Je cours à l'auberge, j'appelle au secours. Le patron sort de la cuisine, regarde et me dit : je suis en train de poêler des foies, je ne peux pas m'interrompre. Dès que j'ai fini je m'occupe de vous. J'entends grésiller dans la cuisine, ça sentait bon ! Au bout d'un moment il revient, hilare, passe deux coups de fils, trouve un copain qui a un 4 x 4 avec treuil, et voilà, ils m'ont sortie du lac, tiens, viens voir la voiture... ».

Devant la maison, la Ford Fiesta de ma copine, que je connaissais pour être rouge, offre un aspect bicolore : rouge jusqu'à moitié des portières pour la partie supérieure, et en bas : verdâtre et cabossée.

« Selim va être furax !!

- Penses-tu, il s'en fout, c'est pas la sienne. Enfin voilà, j'ai payé une tournée à l'auberge et là, les types me demandent ce que diable j'étais venue faire ici, au mois de mars, hors saison, drôle de tourisme... Alors je leur ai tout raconté, ma recherche de Murat, la visite des puys, la découverte du lac, les photos... Et là ils se sont mis à rigoler, à rigoler ! Pour rencontrer Jean-Louis, c'est pas dur, qu'ils me disent : ici c'est sa cantine, tu peux le trouver tous les soirs... Mais pas cette semaine, il est à Paris... ».

LAC DE GUERY HIVER.jpg La deuxième fois que j'ai "croisé" le chanteur auvergnat, c'était à Clermont, sur la place de Jaude, un après-midi de goûter dans une de ces pâtisseries historiques des villes de province, de celles où l'on vient s'approvisionner au sortir de la messe ou du cinéma, avec un salon de thé "dans son jus" : mobilier des années soixante-dix, murs revêtus de faux satin vert pâle, boiseries sombres... Et de fabuleux gâteaux énormes, un chocolat à se damner... Ne cherchez pas, ça n'existe plus. A la place : Croustipâtes, Brioche Foirée et autres Subsandwiches, Pizza Nino et Startruck cafés, bref.

Avec mes filles, nous occupions une table de quatre. La plus jeune, dans toute sa grâce adolescente, offrait son profil au reste de la salle, à peu près déserte à l'exception d'un couple assez morose. Le type, mal rasé, cheveux noirs en broussaille, des yeux de menthe glaciale, semblait ne pouvoir s'arracher à la contemplation de la petite.

Tout d'abord je n'y pris pas garde, mais sa soeur finit par me glisser plus ou moins discrètement : « t'as vu le gars, là au fond, qui reluque de notre côté ? Il a flashé sur ... Tu l'as pas reconnu ? C'est Jean-Louis Murat !! ». Ah mais oui, c'était vrai. Cependant, ayant peut-être perçu une bribe de notre conversation et de nos rires, une légère rougeur lui monta au visage, il farfouilla vaguement dans sa chevelure hirsute et finit par tourner son regard de lac d'hiver vers celle qui l'accompagnait (merci pour elle !).

Moment de dédier à Yasmine, où qu'elle se trouve, cet instant où l'homme qui lui échappa vit à son tour s'évanouir, dans l'atmosphère sucrée d'un salon de thé, une possible amourette (peut-être composait-il déjà "Qui est cette fille").

Comme je le disais en commençant, je n'ai jamais apprécié Murat comme chanteur, à l'exception d'un ou deux titres, dont cette bluette : https://www.youtube.com/watch?v=cMTzsflmwIk

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(1) L'Auberge du Lac de Guéry,
route D 983, 63240 LE MONT-DORE