Ce qu'il y a de bien, avec les gros donateurs, c'est que ça fait des calculs faciles et des chiffres ronds :

- Pinault, 100 ;
- L'Oréal et consorts, 200 ;
- Total, 100... Pas mal, pour un groupe qui a déjà offert, le 24 décembre dernier, un chouette cadeau de Noël de 500 millions au TC de Paris (amende pour corruption en Iran), condamnation pour laquelle le pétrolier n'a pas souhaiter faire appel, ce qui signifie, en clair, qu'ils avaient le fondement tellement breneux qu'il valait mieux ne pas risque d'étaler totalement, si je puis dire, leur culotte sale au grand jour.

Bon, où en étais-je : ah oui, 400.

+ 200 de LVMH, merci Saint-Patron.

Ca nous faisait donc 600 plaques de levées en moins de 24 heures pour réparer un édifice religieux. Enfoncé, Ruffin et l'extorsion d'un misérable chèque de plus ou moins 30 000 balles pour deux chômeurs... LVMH 200 millions, là on cause de choses sérieuses.

Moi, je trouve ça merveilleux, tant de blé répandu sur un bâtiment que l'Eglise de France n'a pas daigné entretenir (ils ont d'autres frais, en particulier judiciaires depuis quelque temps), et que l'Etat français n'a pas non plus jugé utile de mettre hors de danger incendie... Un truc farci de bois de chêne, lequel brûle particulièrement bien ! Il paraîtrait, d'après un expert qui a bossé dans les combles de Notre-Dame et qui comparait ce matin sur France Culture avec les édifices helvétiques, qu'en Suisse la câblerie et tout le toutim c'est tellement bien rangé que tu pourrais manger dessus, des combles plus nets qu'un meuble Ikea en expo). On imagine bien, là-haut sous les toits de N.D. de Paris, les coinstots bizarres où s'enchevêtraient des rallonges, des branchements de fortune, des vieilles caisses de machins et de trucs. Bref, le prêt-à-brûler, quoi. Une étincelle de scie sauteuse et hop.

Or : « Les personnes publiques sont habilitées : (...) à financer des travaux de réparation sur les édifices dont les associations cultuelles sont propriétaires (loi du 25 décembre 1942 modifiant l’article 9 de la loi de 1905). ». C'est pas moi qui l'invente, ça figure sur le site de Groupama, c'est vous dire si c'est du sérieux.

D'ailleurs, c'est tellement sérieux, Groupama, qu'eux ils donnent un chèque en bois. Voui voui : un chèque de 300 chênes. Groupama possède des forêts, au cas où comme moi vous l'auriez ignoré. Les forêts françaises sont loties ! (bien mal, si vous voulez mon avis).

Quant à la loi de 1905, elle est enfoncée par une loi de Vichy toujours en vigueur. On n'en finit pas de découvrir combien la start-up France est un pays post-moderne...

Et malgré toutes ces garanties béton (j'ai le mot pour rire) de c'est moi qui m'en occupe, mais qui, en l'occurrence, n'ont pas joué, les very grosses fortunes françouèses s'achètent des tonnes d'indulgences en paradis à coup de centaines de millions d'euros pour financer les travaux, vous allez voir qu'on va décrocher on est sur le point d'atteindre le milliard ce 17 avril à midi, dixit l'insubmersible Stéphane Bern sous peu. Si avec ça la réfection de Notre-Dame se fait pas en platine et feuille d'or, c'est qu'ils sont radins.

C'est réconfortant, de trouver une telle masse de fric en cette époque où il est si difficile de dégotter trois sous pour payer les gens correctement, pour "déprécariser", si j'ose ce néologisme, un paquet d'employé.e.s de ces grands groupes et de leurs sous-sous-traitants, ou pour accueillir quelques centaines de milliers de réfugiés et autres maltraités de la Françafrique, pour traiter équitablement les personnes handicapées, pour rénover les bâtiments publics dans lesquels des hordes de fonctionnaires mal payés bossent dans des condition indignes ou encore pour subventionner correctement une agriculture écologique responsable, et je vous parle pas des taules, des EHPAD, des HP et autres lieux de privation de liberté...

A l'heure où ces grands groupes s'offrent des morceaux du pays de plus en plus gros, morceaux que Macron, en officier de bouche zélé, leur découpe sur la planche, prêts-à-consommer : Aéroport de Paris, EDF (à propos, si vous avez cru aux titres de presse qui parlent de "renationaliser" l'électricien, ne vous gourez pas : c'est un préliminaire du genre doigtage distrait avant sodomie profonde de tous les contribuables), c'est vraiment émouvant de les voir sortir le chéquier pour une cause aussi urgentissime.

Dans un début de 21e siècle qui signera, soyez-en sûrs, le rachat d'à peu près tout l'hôpital public par Ramsay Générale de Santé et consorts (Elsan, Orpéa pour ne citer que les numéro 2 et 3) - au passage, apprenez ces noms par coeur : ce sont ceux qui factureront vos soins à vos "mutuelles", lesquelles ne méritent déjà plus ce nom car elles appartiennent ou appartiendront, dans moins de dix ans, à des groupes d'assurances complémentaires santé privés et quand vous ne pourrez plus vous offrir leurs contrats juteux, eh bien vous irez vous faire soigner chez le véto du coin, bref : dans un début de 21e siècle qui est celui de l'énorme mahousse privatisation globale, la fourniture de 600 millions d'euros cash pour la réparation d'une église, fut-elle cathédrale, donne un signal tangible.

Signal de quoi ? De cette évolution apparemment inéluctable qui introduit le mécénat comme seule source de financement, mais attention : exclusivement de ce qui entre dans leurs critères d'éligibilité. Faut-il que je vous les détaille ?

Le propre du mécène, c'est en effet qu'il choisit ses causes, voir ici article du monde.fr : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/16/dons-pour-notre-dame-de-paris-c-est-la-collectivite-publique-qui-va-prendre-en-charge-l-essentiel-du-cout_5450972_3224.html .

C'est très exactement le credo (encore un mot approprié) de la pensée ultralibérale. L'impôt, descendu en flammes, ringardisé et réduit à néant, l'impôt, système de redistribution solidaire, est en train de cramer bien mieux et bien plus vite que la flèche de Notre-Dame. Macron, sa clique et ses parrains surfent sur la vague jaune pour chanter "moins d'impôts" et portent haut la doctrine d'un ruissellement plus orienté que la source du Rhin au St-Gothard.

Qu'on fasse donner les grandes orgues à propos de l'incendie (sans doute évitable, mais c'est une autre histoire) d'un "symbole national, fleuron de la chrétienté" et autres âneries, qu'on fasse jouer l'émotion la plus basique, la plus télé-réalisable, à coup de vidéos et de musiques appropriées, qu'on nous joue le coeur meurtri des Parisiens (s'il s'agit des habitants de trois arrondissements, oui, sans doute. Mais allez donc parler de Notre-Dame aux personnes qui s'entassent à une heure de RER du centre de Paname, ça m'étonnerait qu'on verse des larmes de sang par là-bas, ou alors ils sont nés cocus), c'est dans l'ordre des choses.

Que la gentry des paradis-fiscalisés en profite pour étaler ses pépettes et sa pseudo-grandeur, ça a quelque chose de... Je sais pas, moi. J'ai plus de mots.

Et qu'on ne vienne pas me parler de reconstruction de la gauche en France, après ça. D'ailleurs, j'ai pas le temps, je suis occupée. Je mets le compteur à jour.