Bon, c'est un genre de stéphano-chronique, au fait.

Milieu de matinée, place de l'Hôtel-de-Ville (une appellation originale s'il en fût). La Taulière, très en avance pour un rendez-vous, zone est assise sur un des petits sièges "anti-sdf" qui ont remplacé les bancs, ici comme ailleurs.

Pour zoner, faudrait pouvoir ouvrir largement les bras et reposer ses épaules en occupant la totalité du dossier. Du banc. Qu'il n'y a plus. Impossible en effet, sur ce siège à peine plus grand qu'une simple chaise, de faire autre chose que d'être assise peu confortablement : bois à clairevoies, angles aigus, inclinaison du dossier peu propice à la détente et superficie du siège adaptée aux miches d'ados taille 34.

Cette place est donc l'un de ces endroits où l'on passe, la plupart du temps en diagonale, le plus court chemin pour rejoindre "La grand'rue". Car il n'y a rien à faire, à voir, à contempler, sur ce rectangle de béton irrespirable en été, chichement entouré de plantations en bacs de bois, dans la droite ligne de la mode actuelle : aucune plante vivace ; que des machins que l'on plante et déterre à longueur de saisons, on se demande bien ce que deviennent ces pauvres fleurs arrachées tous les deux ou trois mois de ce terreau provisoire. Une aberration de plus, la ville de Sainté n'étant pas à ça près en la matière.

Que pouvait-on attendre en effet d'une municipalité dont les deux préoccupations avouées sont le commerce et la place de la voiture dans la ville (lire : "remettre la voiture au coeur de la ville", souhait carrément surréaliste mais réalisé par une express modification du plan de circulation dès l'arrivée de la nouvelle municipalité en 2014, diktat émanant des unions de commerçants qui croient encore, conformément à la vie telle qu'elle était vers 1970, qu'on peut se garer devant chez eux pour faire ses petites courses) ?

Il est maintenant évident que notre maire a l'horloge biologique arrêtée en 1990, à peu près l'époque où il devait intégrer une école de commerce locale et y apprendre, de profs pré-retraitables non éligibles à la formation continue, l'ABC du Centre Commercial Géant basé sur de vieux polycops volés dans les CDUC (1) de la fin des années 60. Il semble, depuis, s'être muni d'un imperméable total qui l'empêche de comprendre les enjeux et évolutions sociétales, climatologiques, environnementales de son siècle ou d'imaginer que les priorités ont changé.

De bonnes raisons, par conséquent, pour cet édile post-moderne, de soutenir, promouvoir et s'enorgueillir de ceci. Peut-être aussi quelque accord souterrain avec EIFFAGE ? Bah j'ai rien dit.

On a rarement vu maquette et vidéos plus mensongères. Pour seul exemple, l'espèce de tram dessiné sur la maquette objet du film, n'existe pas et n'existera jamais, en raison de la pente du terrain de l'emprise STEEL. Pas plus que la voie ferrée, celle-ci étant située assez loin de l'autre côté des voies routières et encaissée avec un dénivelé d'environ 30 mètres. La montrer comme débouchant à l'entrée du centre commercial est une escroquerie à laquelle aucun Stéphanois ne se laisserait prendre, d'autant que SNCF aura sans doute d'autres préoccupations que de créer une sixième gare à Sainté.

Il s'agit donc bien d'un projet monstrueux de centre commercial à l'ancienne, basé sur des études paléontologiques, mais qui va défigurer et pourrir l'environnement pendant des décennies. Les commerces vont ouvrir puis fermer, comme partout, et ça deviendra, au mieux, une méchante zone déserte où casser des trucs et faire des rodéos.

Avec spéciale dédicace à Joran Briand (celui-là même du MUCEM) pour sa "résille métallique et lumineuse" qui créera du même coup, sur les 52 000 m2 du machin, la plus abjecte pollution lumineuse d'un espace jusqu'alors sauvage, avec les compliments des derniers oiseaux du secteur.

Et le rire poli de la Taulière devant les promesses d'espaces verts. Déjà, entre la vidéo et la réalité, il va bien s'écouler vingt ans avant qu'un semblant d'arbres nains pointe son nez sur les allées à bagnole du machin, parmi les remblais couverts d'armoise et les parkings extérieurs. Et puis, ils y étaient, bande de connards, les espaces verts, et naturels encore, avant que vous décidiez de foutre en l'air : le sol, le sous-sol et les sentiers.

Bon, qu'est-ce que je voulais vous raconter ? Ah oui.

Sur la place de l'HDV, ce matin-là, deux types d'âge mûr s'engueulaient copieusement et fortement, polluant l'espace sonore de cette place déjà peu gracieuse, l'un faisant mine de poursuivre l'autre qui s'éloignait, les épaules un peu arrondies sous l'orage, comme s'attendant à un ramponneau.

Soudain, émergeant d'un fatras de vitupérations, on entendit distinctement : « … RACISTE ! ». Le poursuiveur, brandissant le poing, renonça à sa course vengeresse mais ses paroles résonnèrent fièrement par-dessus les toits et sur les façades des boutiques-à-la-con : « PAS DE FACHO DANS NOS QUARTIERS, PAS DE QUARTIER POUR LES FACHOS ! »

Je ne sais pas ce qu'il avait dit, l'autre, là, qui s'enfuyait platement, les fesses rentrées, l'air faussement normal. Mais putain, qu'elle était belle, la colère du type à l'autre bout de la place, le pull remonté sur la bedaine, les pieds à dix heures dix, la casquette en arrière !

A Sainté, on ne veut pas de STEEL, mais on a du style.

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(1) La Loi Royer instaure, pour les projets commerciaux, des seuils de surfaces (1.000 m² ou 1.500 m²), au-dessus desquels ceux-ci doivent être soumis à un examen par une commission spécialisée, la Commission départementale d'urbanisme commercial (CDUC). En 1996 la Loi Raffarin abaisse ce seuil à 300 m².

L'enquête publique relative à STEEL, à laquelle la Région Auvergne Rhône-Alpes en la personne de M. Wauquiez, président, se signale pour ne même pas avoir daigné répondre, n'a pas dû, comme toujours, être l'objet de beaucoup de pub pour que les citoyen.ne.s se bougent. Le commissaire-enquêteur est un modèle de convivialité, il est consensuel et optimiste mais bien obligé de plancher sur le risque minier, avéré et souvent vérifié par ici (Saint-Etienne a un sous-sol en forme de gruyère). La plus audacieuse de ses conclusions quant aux risques miniers du site est cependant qu'il faut voir "avec le temps".

On rêverait de voir STEEL englouti à tout jamais dans des marnières caffies de sulfates et de manganèse, à 300 mètres sous terre. A condition que personne ne bosse sur le site ce jour-là.