... C'est la marotte de dire que "c'est compliqué". Tout est compliqué et c'est vachement pratique d'utiliser cet adjectif : organiser une journée où l'on bourre trop de trucs alors qu'y en avait déjà what mille, alors que le simple bon sens consisterait à trier et à faire des choix. Affirmer une conviction : non, ça demande simplement du courage et vous je sais pas mais moi souvent j'en manque. Se séparer de son enfant qui ne veut pas vous voir partir au boulot : ah mais ça, c'est pas compliqué, c'est chagrinant, faut trouver les mots... Exprimer son ras-le-bol à quelqu'un qui vous ch... dans les bottes déjà depuis trop longtemps : pas compliqué si tu respires un grand coup avant de lui délivrer son paquet. Vivre avec un.e conjoint.e qu'on commence doucement à détester... Voui, compliqué mais pas sans remède... Apprécier la situation politique (au contraire tellement simple que c'en est déroutant). Réussir un risotto...

Bref, le truc c'est qu'on a la flemme de trouver le mot qui convient, alors on dit "c'est compliqué", on se frotte les mains et on est ridicule. C'est compliqué de perdre un proche ? Non, c'est douloureux. C'est compliqué de prendre une décision ? Non, mais c'est difficile et ça suppose un choix, donc un renoncement. Ah, c'est compliqué... Non, c'est au contraire très simple mais ça nécessite un peu de force d'âme. C'est compliqué de s'inscrire sur Parcoursup. Euh : oui. C'est compliqué de réussir un risotto ? Eh bien, ça peut le paraître mais si on suit la recette pas-à-pas et qu'on utilise les bons ingrédients, ça peut le faire.

Encore une expression à la mormoil', "ça le fait" ou "ça va pas le faire". Un peu démodée toutefois. Ah, c'est compliqué...

Sinon tu peux préparer un gratin de coquillettes, c'est pas compliqué, le chanteur Alex Beaupain a donné la recette ce matin sur France-Inter. Il a bien fait de préférer être chanteur, Alex : on ne "chauffe" pas les coquillettes, on les fait cuire avant le stade al dente. Ce n'est pas un plat gras et "sale" comme il a trouvé original, avec l'écho d'Eva Bester, de qualifier ce gratin. Ca ne peut paraître "sale" et "régressif" (oui oui, ils ont dit tout ça) qu'à des gens au palais blasé et tapissé d'euros. Et mettre du comté 24 mois comme fromage à gratiner, c'est un truc de bobo !

Entendre une chroniqueuse, par exemple, sur France Culture (ah oui tout de même...) parler des "millenials" en prononçant "millégnol", on dirait qu'elle parle de rongeurs frugivores, ce que ne sont assurément pas les gens nés en 2000 et plus si affinités. Leur donner un nom constitue déjà un abus fréquent dans les médias, on va pouvoir les ranger sur l'étagère aux clichés, à côté des ados, papy-boomers et autres cougars (on dirait la distribution d'un film français des années 90).

Mon avant-dernier boss avait un tic verbal insupportable. Chacune de ses phrases commençait par "J'allais dire :... (suivait la phrase)". Pendant deux ans j'ai eu envie de lui dire "mais dis-le, putain !!!". Ah faut se calmer, dans la vie. C'était par ailleurs un type d'une extrême gentillesse et d'un humour potache assez fin qui a transformé notre collaboration en une suite de gags et sketches dont, en tant qu'équipe de direction d'un collège dit "sensible", on ne se vanterait nulle part mais qui nous aidaient grandement à, j'allais dire, supporter l'infra-ordinaire et nous permettaient d'abattre le boulot le sourire au lèvres (le fou-rire, souvent).

En ce moment y a vraiment trop de trucs qui m'agacent, c'est mauvais signe, faut que je me lave la tête. En même temps (ça aussi, carrément envahissant), c'est pas grave. Les agacements, on vit avec.

Un des remèdes possibles c'est d'écouter l'album de Ceramic Dog : "YRU still here ?" de 2018, pour celleux qui se demandaient ce que fichait Ribot ces temps-ci.

Ah c'est pas de la musak, c'est pas conçu pour écouter dans les cours de maternelle ni pour votre réunion tupperware. La rage musicale de Ribot, portée à l'incandescence dans ce manifeste musical anti-Trump ("Are you still here ???"), vous met la perruque droite sur la tête dès le premier titre éructant de fureur ("Personal Nancy", pulsant, puissant et foutrement bien construit).

Faut pas craindre l'univers ribotien : ligne mélodique aléatoire, sons destructurés, utilisation de tous les moyens techniques pour graisser/graveler les sonorités tout en gardant la ligne claire de sa guitare, riffs envoûtants, jeu de basse, sons étouffés ou au contraire sursaturés, slides hurlants, on est dans le metal et la concrète, métissage punk funk grunge, des vocals rappés et furax... Faut dire qu'il est bien entouré par deux compères que la Taulière aurait regretté de ne pas connaître, qui gardent le groove, le tempo et causent bien dans le micro. Belle conclusion avec Rawhide qui tourne rond comme un bon gros son de rock groovy assaisonné au petit poil par la voix, légèrement trafiquée, de Ribot.

Tout ça forme un album qui devrait être celui de gens effleurant leurs vingt piges : et Marc Ribot a 65 ans !! Son comparse Shahzad Ismaily n'est pas non plus de la première jeunesse, et le quadra/quinqua Ches Smith fait figure d'ado dans le trio.

C'est pour ça, voyez-vous, que la Taulière affectionne la scène new-yorkaise. C'est des gens qu'on peur de rien et vive les vieux !!

Les textes (paraît-il, mi j'comprends rin à l'engliche chanté) sont à la hauteur de la furia musicale, Ribot vient cracher/crier/gerber face public son exaspération contre-trumpienne. Il n'est pas le seul, mais quand même, ça réconforte. Pour le coup, c'est pas compliqué : c'est lumineux !

Trouvé ici : https://www.youtube.com/watch?v=W1aZqSYyKn0

Un conseil : demain matin, prenez une matinée de congé. Attendez que tout le monde soit parti au boulot, assurez-vous que les voisins sont bien partis et montez le son au max, c'est pas conçu pour la sourdine. Et banzaï !