... tellement jolie qu'elle ne souffre pas de délai pour être publiée.

La Taulière rentre, ce lundi, de sa petite balade hebdomadaire sur les hauteurs de Sorbiers. Panorama majestueux à l'est sur les Crêts de la Perdrix et de l'Oeillon, points culminants de cet aimable massif, et au sud-ouest sur le Mézenc, que quelques 2000 personnes gravirent en octobre 2016 par un temps à ne pas mettre un alti-ligérien dehors, ni un migrant d'ailleurs, c'est pour ça qu'on y était, et pour faire la nique à Wauquiez qui s'est attribué ce sommet contre toute légitimité, sa roche de Solutré à lui, et lui signifier, comme disait un article de presse (pas celui-ci), qu'on était "pro-migrants".

Sentier fleuri de genêt d'Espagne en énormes massifs et de centaurée champêtre, champs de blé et d'orge peignés par une aimable brise, passage de la ligne de partage des eaux, gai devis des mémés...

Nous parcourons une partie mineure de la "Boucle du chevreuil" qui fait 17,5 kilomètres (et nous, rarement plus de 6) et rentrons, contentes.

Retour à l'agglomération, la Taulière se prend une envie de machins sucrés. Un appel irrésistible la conduit vers l'épicerie du coin dont le boss a eu la pire idée (en ce qui me concerne) : d'avoir installé, en cette période de ramadan, une table pleine de gâteaux arabes succulents.

Pour se donner une contenance, la Taulière gourmande achète aussi des citrons (on en a toujours besoin) et une barquette de carottes râpées bien indus, parce que c'est bon parfois la junk-food, ne rien peler, éplucher, regarder cuire. Juste ouvrir une barquette et crac miam, et puis les gâteaux, miel, semoule, pâte de dattes (makrouts tièdes...), et puis une verveine pour se donner bonne conscience. Et euh... Ah oui, des crèmes au chocolat pour demain, faut pas mollir.

Bon, ça c'est pour plus tard. Dans l'instant, elle passe à la caisse. 9 euros 73 dit la petite caissière, une jeune fille très agréable : sage brunette à lunettes et cheveux bien tirés, l'air d'une écolière (qu'elle est peut-être encore, d'ailleurs).

La Taulière ouvre son sac à dos et se trouve alors bien emmouscaillée, vu qu'elle n'a que 9 malheureuses boules dans un vieux porte-monnaie, vu qu'en marche du lundi elle n'emporte pas son portefeuille.

- Ah ben mince, j'ai pas assez. On n'a qu'à enlever ça (les citrons, pas bête ma caille).
- Vous avez combien ? questionne la jeune fille de caisse
- 9 tout pile ! que s'exclame la Taulière déconfite

La petite caissière se lève et va farfouiller dans son blouson siglé "Leader Price". Je subodore qu'elle cherche la clé ou carte qui permet de faire une opération de retour arrière dans sa caisse.

Que nenni.

- Voilà, qu'elle dit la jeune fille en posant des pièces jaunes et rouges devant elle. C'est bon, du coup vous pouvez tout prendre.

L'interlocation me colle au sol. - Vous m'avancez les 73 centimes ?? Alors ça c'est vraiment sympa ! Je passerai demain matin les rendre et merci beaucoup !!

- Non, c'est bon, vous avez pas besoin de passer, c'est pas le magasin, c'est moi, je vous en fais cadeau !
- Ah mais non, vraiment, c'est très gentil, mais regardez : on peut enlever un truc, là c'est du superflu (je désigne les gâteaux, miséricorde - non, finalement, les crèmes au choc...)
- Non non c'est bon, pour 73 centimes franchement ça va, on va rien enlever, en plus c'est de la nourriture, quoi...

Cette jeune fille, qui a devant elle une cliente avec 4 produits dont 2 destinés à la seule gourmandise (oui, bien sûr, de la nourriture, mais pas vitale, tout de même), lui offre deux tiers d'euros avec le sourire en prime et cette remarque si riche d'humanité : "c'est de la nourriture...".

Oui ma belle, c'en est bel et bien, c'est même de la nourriture de l'âme, là, que tu m'as offerte avec ta monnaie perso, sortie de ta petite et humble poche. Avec ce geste modeste, discret, arrimé à un quotidien ordinairement plus banal, plus anonyme, tu as été très grande, petite caissière. Ton ramadan sera riche.

Demain, je viendrai te rendre cette monnaie tout de même (encore que j'hésite : est-ce que ça ne va pas te gêner horriblement, que je refuse ta gentille offrande ?), avec un bouquet de verveine de mon jardin, qui ne se refuse pas.