Le Figaro en ligne d'aujourd'hui publie cette photo qui déjà, en soi, laisse perplexe :
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et la propose comme illustration en tête d'un article ab-so-lu-ment pas-sion-nant sur le "manque à gagner" de la France qui, selon Rexecode, serait plus riche aujourd'hui de 8 points de PIB si elle avait maintenu ses parts de marché à l'exportation d'avant 2000. Le Figaro prend la précaution tout de même de noter que Rexecode, institut de conjoncture libéral (ah bon ?) fait de l'économie-fiction. Merci de l'info !

La photo d'un porte-conteneur en haute mer est censée nous montrer toute la richesse que l'on perd, ajoute le Fig navré qui titre "Ces 185 milliards d’euros qui ont échappé à la France en 2018...". On compatit.

Et tout ça en raison principalement, vous vous en doutiez, de la hausse du coût salarial horaire dans l’industrie qui n'est "pas pour rien dans cette dégradation".

Salariés, salauds de capitalistes !!!

Je ne sais pas vous, mais une vision de la richesse ramenée à ces parallélépipèdes trimballés sur ce qui se fait de plus laid en matière de barlus (excepté les navires géants de croisière), ça ne m'évoque vraiment pas une idée de richesse. Et pourtant... Dans d'indigestes billets publiés ici voici quelques années à propos du salutaire ouvrage "Et soudain un inconnu vous offre un conteneur", on avait déjà abordé la question de cette "richesse" en conteneurs, ou plutôt des fortunes aussi colossales qu'immorales que se font, sur le dos des pauvres gens (un scoop) ceux qui remplissent, achètent, revendent, trimballent ces machins remplis de futures ordures non recyclables.

Quand on pense à ces saloperies inutiles, aux millions de saloperies inutiles et nuisibles enfermées dans ces boîtes, que déplacent ces bateaux d'un bout à l'autre de la planète, plus ça va, plus ça paraît surréaliste à force de ringardise.

Tous ces courtiers, ces intermédiaires, ces holdings enchevêtrées les unes dans les autres, tous ces fabricants esclavagistes, ces financiers véreux optimisateurs fiscaux, ces Carlos Ghosn, ces transporteurs sans morale maritime, etc. qui se gobergent autour de ces tonnes d'objets en plastoc, ça fout le vertige, non ?

Et plus on avance dans la "découverte" que l'urgence serait de tout stopper et de commencer par arrêter d'acheter, tout simplement, plus on se demande comment les médias peuvent continuer à produire ces discours décalés - non : déclavetés.

Mais peut-être la Taulière est-elle victime (en plus de sa bronchite estivale) d'une violente crise de dé-réalité aiguë ? C'est vrai, j'avais déjà ressenti ça voici quelques semaines, en voyant les trombines des candidat.e.s aux élections européennes sur les panneaux métalliques.

Ces panneaux toujours les mêmes, qui ressortent à chaque élection, comme un vieux circus hors d'âge qui débarque sur les mêmes places de saison en saison vides, avec leur tente trouée, leurs artistes à la manque, leurs animaux pelés et leur chapiteaux branlants, leurs numéros éculés, aboyeurs exténués, camions en coma dépassé et la poussière, la poussière...

Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi...

C'était bien meilleur pour le moral d'écouter Spyros Dapergolas mercredi soir dernier à La Dérive (*), venu tout exprès de Grèce pour nous raconter Rouvikonas ("Rubicon", en grec), mouvement anarchiste non-violent qui met à mal ce genre d'image de surface dans les institutions grecques et autres hauts lieux du gros capital, en y entrant sans tambour ni trompette pour y commettre des actions de provoc spectaculaires ("mais, souligne Spyros, si nous on peut entrer, Daech par exemple pourrait tout aussi bien rentrer ; à la différence que nous, on vient avec de la peinture et du papier").

Là nous étions dans la réalité. Les deux pieds dedans. Deux activistes de Rouvikonas sont à la veille d'aller en taule pour dix ans. Dix ans pour des actions de provoc. Sauf si on trouve pour chacun 30 000 euros, montant auquel a été fixé le dépôt de caution, il n'y a pas si longtemps de 3000 euros, mais tout augmente. Spyros Dapergolas a effectué ce tour européen, possible seulement par le jeu des solidarités, pour essayer de recueillir ces 60 000 euros...

Des infos sur le blog de l'inlassable Yannis Youlountas, en particulier sur Giorgos Kalaïtzidis, un des deux militants proches de l'embastillement, et sur les raisons de cette aberration.

Si votre carte bancaire ne traîne pas trop loin, voyez ce que vous pouvez faire, merci pour eux.

Mercredi soir, à la Dérive, nous n'étions pas des conteneurs à la dérive mais en pleine écoute du message de Spyros, qui a rencontré pleinement et puissamment une conviction intime de la Taulière : que le mouvement anarchiste, lorsqu'il ressemble à cela, et si l'on veut bien laisser tomber toute une vieille imagerie, représente un avenir le seul avenir possible.

Y sabes qué, compañera ? Même si je peux raisonnablement penser que je ne le verrai pas de mon vivant, eh bien ça me réjouit que tu peux pas savoir.

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(*) La Dérive 91 rue Antoine Durafour - http://www.laderive.info/