... Et en fait, on pourrait s'en foutre, de où il pisse, politiquement parlant. Tant qu'il ne crache pas.

Hélas, l'article lisible sur le Net (en se bouchant le nez) appartient à cette dernière catégorie. Il est intitulé "Interview d'une féministe islamique" et éreinte de manière incroyablement agressive, avec une malhonnêteté qui aurait dû interdire sa publication, la journaliste de France Inter Lauren Bastide et son invitée, Hanane Karimi (enseignante à l’Université de Strasbourg, post-doctorante à l’Université de Créteil et chercheuse associée au Laboratoire SAGE - Sociétés, Acteurs et Gouvernement en Europe - à l’Université de Strasbourg), lesquelles s'étaient entretenues dans le cadre de l'émission "Les savantes" le 11 août 2019.

Les mots "féminisme islamique" : pourquoi pas féministe musulmane ? Bien que les deux termes soient donnés comme équivalents, "islamique", qui veut clairement renvoyer à "islamiste", donne le ton.

L'auteure de l'article, qui signe Celine (sic) Florentino, introduit son texte critique de la manière suivante :

"En pleine vacances d'été, l'interview de la sociologue Hanane Karimi par France Inter est arrivée à mes oreilles, et j'ai héroïquement décidé de l'affronter, par besoin de démontrer les faux-semblants, l'hypocrisie et le danger de ces sophistes."

On fait mieux comme objectivité. Le reste est du même tonneau mais en pire. Je n'ai pas envie de détailler ces pages de contre-vérités, de détours et insinuations, mais pour une qui veut s'attaquer aux sophistes, Mme Florentino se fourre regrettablement le doigt dans l'oeil, ou fait semblant.

Ou alors, elle est en service commandé, ce qui se conçoit mieux car le site "Riposte Laïque", assez connu pour son marquage ultra-droite et ses déversements racistes, fait de l'interview en question une analyse tout aussi puante mais sert la soupe, tout du long, à Florentino. Qui se ressemble...

Ce n'est pas la première fois qu'on pointe ici la stratégie grossière qui consiste soit à se citer soi-même, soit à se faire relayer par les copains pour inonder le net.

Quant à l'avalanche de commentaires, on peut deviner sans peine le contenu. Si vous n'êtes pas déjà en train de gerber, vous pouvez jeter un oeil sur ce papier et sur les interventions nauséabondes des lecteur.e.s.

Le journal Marianne n'a modéré ni l'auteure, ni les commentaires, ce qui est non seulement une faute professionnelle mais pourrait tomber sous le coup de la loi, sans compter qu'ils devraient peut-être s'interroger, au comité de rédaction, sur le fait de servir de plateforme à l'extrême-droite la plus raciste. La déontologie ne les étouffe pas.

A propos des commentaires, on repère par exemple au passage la vilenie aggravée qui consiste à utiliser le mot "bougnoulesque" (presque sic, sauf que le commentateur a changé le "n" en signe grec "pi"). C'est fin, c'est très fin : il échappe à l'éventuelle modération (mais il avait tort de s'inquiéter), puisque le terme raciste ne peut être décrypté par le site, et ça se lit très bien comme ça veut être lu : le "pi" grec ressemble à un "n" comme deux gouttes d'eau, et le mot constitue une insulte de la plus grande bassesse, un vocabulaire qui renvoie aux pires moments de la colonie.

D'autres regrettent que Hanane Karimi (française née à Troyes de parents marocains, encore qu'il me navre de devoir toujours préciser ces détails, mais enfin il est vrai que les personnes racisées, en particulier en raison de leur nom, doivent toujours démontrer leur "appartenance" à la "nation" - merde voilà que je refais une crise de guillemets) ne se soit pas fait "expulser" depuis longtemps, et je passe sur les injures associées.

Ca renvoie direct à la négation forcenée des extrême-droitiers depuis le 19e siècle, qui déniaient aux Français juifs cette nationalité, les considérant au mieux comme apatrides (les mêmes considéraient volontiers les Noirs comme des animaux). Cf. La Recherche..., dans laquelle Proust met en scène avec insistance et une ironie glaciale, plus d'un "aristo" violemment antisémite (il est vrai qu'il avait quelque titre à pointer du doigt ces abrutis).

Ce sont les mêmes. Leurs cibles sont différentes, mais ce sont les mêmes. Les mêmes injures, les mêmes éructations, la même haine. Juifs et musulmans de France le savent bien.

Tous ces commentaires, chez Marianne, auraient dû être modérés (c'est-à-dire supprimés) pour que le journal soit en conformité avec la loi, qui interdit la propagation de contenus haineux. Le nombre des commentaires, les extrémités où ils vont, montrent que la loi sévit où elle veut, quand elle veut, et qu'en l'occurrence une certaine presse peut s'asseoir dessus tranquillement, quand bien même son titre évoque le symbole de la république française.

Pendant ce temps à Biarritz, 13200 flics se préparent à... quoi ? Et 70 avocats campent dans un poste de commandement pour anticiper quelques 300 gardes à vue toutes les 24 heures. La police de la pensée va permettre aux macron-flics d'arrêter les gens qui auraient l'intention de commettre un délit (de type lancer de canette vide). Grâce à la police de la pensée, vous n'allez même plus avoir l'idée d'acheter une canette. Eh ben tant mieux, c'est bon pour la planète. Passons.

Pour en revenir à Hanane Karimi, le 11 août, j'étais branchée sur France Inter un peu par hasard, et j'ai suivi cette émission que j'ai prise en route, sans savoir qui parlait, qui interviewait qui (je ne suis plus familière de la grille de France Inter). J'ai été agréablement surprise par son approche, par les questions de la journaliste, et ce fut une heure plutôt sympathique, qui m'a amenée à m'interroger sur plusieurs points.

Mais voilà : je n'avais pas pris l'écoute armée jusqu'aux dents pour "affronter" une vilaine "islamique". J'écoutais sans préjugés deux femmes parler de questions qui m'intéressent, sur lesquelles mon opinion n'est pas arrêtée, et j'entendais des pistes de réponses qui ne viennent pas immédiatement à l'esprit et qui en tout cas, contribuaient grandement à l'ouvrir, l'esprit.

Pour une réécoute...