Hier en rentrant d'une journée à l'extérieur, elle constatait la présence obstinée sur le palier du Grand Vert sans chaussure noire, toujours agrippé à son mur ou parfois, frrrrrt, réfugié sous les plantes.

L'esprit humain peinant vraiment à communiquer intelligemment avec la gent animale, Mr Cricket a du bien du mal à me faire comprendre quelque chose d'élémentaire. Aurais-je vu un.e humain.e camper sur mon palier sans bouffer pendant 48 heures, n'aurais-je pas eu l'idée première de lui proposer de la nourriture bien avant l'échéance ?

Après avoir fait semblant de croire que le criquet se nourrissait de Begonia maculata, de Schlumbergera truncata ou de Dracaena marginata, ce matin en le découvrant planté devant l'ascenseur, tout prêt à en franchir le seuil dès l'ouverture de la porte et semblant attendre patiemment que quelqu'un veuille bien l'accompagner au rez-de-chaussée, j'ai constaté aussi que son vert magistral avait bien pâli...

Bon sang ! Mais c'est bien sûr !! Ce criquet crève la dalle !

Le temps de foncer vers une innocente courgette ronde apportée par une copine en direct de son jardin, hop, lui trancher le cul (faites excuse) et le porter, tout frais exsudant sa rosée, sur le rebord extérieur de la fenêtre du palier...

Certes, mais Jiminy ne semble pas particulièrement dégourdi : il demeure obstinément devant l'ascenseur. Suit un dialogue silencieux : "je veux descen-en-en-dreuh !" - Et qu'est-ce que tu iras faire, hein, en bas dans l'avenue ? Passer sous le tram ? Te faire écraser par une grosse semelle taille 46 ? Bouffer par les chiens qui viennent compisser les arbres à toute heure ? Tu vas croquer du bitume ? Dégourdi, va..." and so on.

Résigné, le criquet se traîne dans un angle et boude. Il est de moins en moins vert, un peu grisâtre, l'air fripé, comme une dracaena non arrosée... Alors bon, le bocal à confiture pour le chopper sans qu'il s'avise de voler jusqu'à 2 m de haut (la Taulière cumule à 1,59), le déposer sur le rebord de la fenêtre à 3 mm du cul de courgette, parce qu'en plus, il me semble qu'il n'y voit pas bien.

Bingo !! Jiminy se traîne jusqu'au bord de la tranche de courgette ; les pattes avant posées sur le légume, il plonge la tête dedans et commence à mastiquer. C'est du sérieux. Je reste là une demi-heure et pendant ces trente minutes, il n'arrête pas. Je vois son "coin" de courgette se creuser, la tête du criquet suit, il s'enfonce dedans jusqu'aux yeux comme Obélix s'enfonce dans un sanglier rôti : avec délices et une fringale irrépressible ! Je ressens presque son bonheur.

Ca dure un bon moment. Pendant ce temps je vais arracher une motte de terre portant chiendent, en pleine forme sur ma fenêtre extérieure de salon (c'est tout ce que j'ai comme fleurs ces temps-ci), et je l'apporte à proximité de son garde-manger. J'ai aussi posé une petite reine-claude ouverte sur la courgette, mais non, Jiminy n'est pas "sucré". Il en reste à sa courgette chérie...

Chaque fois que je m'approche, il cesse de bouffer et je jurerais que son oeil me scrute, dans l'attente d'une prochaine livraison, ou d'une possible catastrophe (avec les humains, semble-t-il dire, on peut s'attendre à tout). Puis, rassuré par mon immobilité, il se remet à table. Je vois les mandibules s'agiter, fouisser, mâcher.

Il... Il... Le criquet... enfin, la bestiole alimentée, si elle glande encore sur ma fenêtre, dimanche matin elle partira dans mon sac à dos pour rejoindre un milieu plus adapté, dans une verte colline du coin où je dois faire une balade. En attendant, je me décide à chercher sur internet pour identifier mieux ce ravissant orthoptère. Et là !...

Que les entomologistes me pardonnent : c'est pas un criquet !!

Tettigonia viridissima est une sauterelle géante capable de voler sur de longues distances. Son arrivée dans un sixième étage n'est donc pas une rareté. Elle est nantie de quelques caractéristiques me permettant de l'identifier sans coup férir (ça tombe bien, je n'avais pas l'intention de la frapper) : longueur (42 mm semble être la cote maximale, j'étais pas loin du compte), oviscapte (organe de ponte en forme de dard caudal) généreux (c'est donc une femelle), grandes antennes... Les yeux c'est bien ça, mais : elle ne chante pas (ne stridule guère, donc). Et puis, elle boulotte de la courgette...

Ah oui, Tettigonia viridissima (= très verte) est carnivore, mais quand manquent les grives (mouches, chenilles) elle peut "compléter son menu" avec des merles (courgette du jardin). Oui mais là, elle complète le vide, mémère ! Je vais pas, en plus, lui fournir des mouches. Elle n'a qu'à se les attraper, j'en ai vu une pas plus tard qu'hier. Elle ressemblait à Musca, que j'avais adoptée l'hiver dernier...

Car la Taulière est comme ça : elle nourrit l'insecte de passage, abreuve les guêpes affolées par la canicule, adopte les mouches, cohabite sans dommage avec les fourmis qui occupent une partie de l'appartement qu'elle n'utilise pas (les rainures en bas des plinthes) et a nourri plus d'une fois une araignée en haut d'une porte en déposant dans sa toile une miette de pâté en croûte, un millimètre de thon... (je n'ai pas eu de retour, donc je ne sais pas si ça a plu).

Pour ce qui concerne la verte locataire de ces jours-ci (en vacances, peut-être ?) on n'en saura peut-être pas davantage, mais ce qui est sûr, c'est que Jiminy ou Géminette retrouvera un pré en bonne et due forme dès dimanche matin. Les vacances en pays étranger, c'est bien mais faut pas en abuser.

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Crédit photographique et article : https://www.quelestcetanimal.com/