... Il paraissait logique de vous donner quelques nouvelles.

Alors :

Tettie, la sauterelle géante, est toujours en vacances sur le palier, ou plutôt sur le bord extérieur de la fenêtre du palier (du 6e, de l'immeuble, du 43, de l'avenue, etc.).

Nous nous comprenons de mieux en mieux : lorsqu'elle ne mange plus, je change le légume. Aujourd'hui, une demi-tomate (petite). Tettie tète son plat du jour en me jetant un coup d'oeil que j'interprète de la façon suivante : elle a compris que je ne suis pas son ennemie, elle aimerait bien que je lui procure plutôt des insectes, mais elle m'est reconnaissante tout de même des substituts que je lui offre chaque jour.

Tettie boit de l'eau dans la soucoupe de pot de fleur que j'ai déposé à côté de son casse-croûte et de sa touffe de chiendent. Comme la coupelle n'est pas pleine, c'est un peu acrobatique pour elle, mais elle y parvient.

Ensuite, elle s'agrippe au rebord extérieur du chambranle (en vieux bois fendillé) et s'enfile un peu dans l'interstice entre le bois et le béton. Y trouve-t-elle des insectes ? Où s'y sent-elle plus en sécurité qu'au milieu de son tas de foin de chiendent, plus exposé (mais dans lequel, vert sur vert, elle se fond complètement) ? Seule sa tête apparaît au ras du cadre. Et elle me regarde. Nous nous regardons. Mes yeux sont à 20 centimètres des siens...

Je sens que vous allez rigoler. Mais je vous jure que je vois, dans son regard, quelque chose comme une familiarité avec le monstre que je représente pour elle, qui la nourrit et qui, lorsqu'il l'observe longuement, ne la dérange pas et n'a pas de gestes brutaux plus que nécessaire (ce matin, ramassage avec pelle et balayette parce qu'elle s'obstine, la nuit, à squatter vers l'ascenseur).

Je me suis demandé ce qui motivait son retour sur le carrelage du palier chaque nuit. Je crois qu'elle a trop froid sur le rebord de la fenêtre, ou qu'il y a des prédateurs (chauves-souris, oiseaux nocturnes...) qui tout de même n'oseraient pas la pourchasser jusque sur le palier, on n'est pas chez Poutine.

Mais le matin, je m'empresse de sortir Tettie de là car je crains que la voisine (une apprentie architecte qui ne va peut-être pas tarder à mettre fin à ces scandaleuses et interminables vacances que s'offre la gent estudiantine de nos jours), que la voisine donc ne rapplique, et comme les jeunes filles d'aujourd'hui ont peur d'à peu près tout sauf du seul truc qui devrait les effrayer (leur smartphone), j'entends d'ici ses cris d'orfraie et le clac d'une lourde valise écrasant la pauvre Tettie. Ou bien, que l'équipe des dames de ménage ne l'extermine à coups de seau ou de balai.

Non, Tettie n'a pas conscience de tout ça. Peut-être pense-t-elle que tou.te.s les humain.e.s sont des personnes accueillantes et nourricières ? Ah, pécaïre, va...

Bon, c'est pas tout ça : plus qu'un jour et une nuit. Dimanche matin, grand voyage vers les jardins de Momey, parcelle de jardins familiaux que longe le sentier de balade que nous allons prendre. Et là, lorsque le microcosme nous paraîtra hospitalier, hop : au revoir,Tettie, et bon vent !

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N'empêche, on ne se sépare pas sans un petit pincement au coeur d'une créature avec laquelle on a partagé un palier pendant près d'une semaine. Rapporté au temps humain, ce serait comme par exemple une amitié de trente ans... Et maintenant, imaginez un peu ma stupéfaction (et mon émoi) si dimanche midi, en rentrant de ma balade, je trouvais Tettie de retour sur sa fenêtre, en train d'attendre Mamie La Taulière...

Post-scriptum : « Ad-di-ôôo, de-el pa-a-ssato bei-i-i sogni ri-i-i-ident'... »

Samedi, 7 heures

La Tettie a s'est envolée là...
Elle a pris sa liberté là
La la liii... La !

Bon et joyeux vol vers le soleil, chère Tettigonia viridissima !
Je n'aurai donc pas besoin de préparer, demain, ta valisette de transport, ta réserve d'eau et ton linge propre :)
En ton honneur j'écoute la merveilleuse Callas dont les notes s'envolent comme sur tes ailes de tulle iridescent. Puisse le ciel t'être dégagé, ton atterrissage se dérouler en des contrées propices à ton épanouissement (y compris sexuel, puisqu'il paraît que c'est le moment pour toi), et puis j'allais dire "longue vie", mais il semble que la tienne doive prendre fin avec l'été...