1 On va en cure à Montrond-les-Bains par un car départemental à 2 balles qui relie Saint-Etienne à Montrond en une heure et des brouettes et marque des arrêts aussi pittoresques que : "Angle RD1082 et rue des Villas", "Rond-Point du Lycée"... Le véhicule est confortable et la conductrice, professionnelle (le contraire serait gênant) quoique d'une amabilité mesurée.

2 La cure à Montrond (prononcer : mon rond) c'est pour celleux qu'en ont pas, de ronds. Sinon ils vont dans les Pyrénées, au bord de l'océan, en Croatie...

3 A quoi reconnaît-on un.e curiste en semaine 3 : elle/il parle fort, se réunit avec ses amis-de-cure pour manger de la brioche en rapprochant les tables, rigole sans discrétion de blagues, elles aussi, à 2 balles. Les rires sont gras, essentiellement masculins.

4 La curiste semaine 1 jour 1 est généralement maussade : sans savoir à quelle sauce on la mangera, elle est ballotée de couloir humide en zone d'attente surchargée, pieds dans l'eau, se goure de couloir, retombe sempiternellement dans les mêmes vestiaires et cherche les toilettes.

5 La notion de temps est aussi élastique à Montrond que chez Marcel Proust : on se fait allumer si on arrive 1 minute en retard (parce que l'accueil ne se fait pas sur 4 postes comme il devrait, mais sur 2), mais on se prend 20 minutes d'attente dans la vue parce que le planning est bourré au-delà du raisonnable.

6 Les garçons-baigneurs (en vrai ils s'appellent pas comme ça, c'est pour faire Second Empire) et les demoiselles-baigneuses sont très sympathiques et souriants. Ils ont des accents étrangers à couper au couteau, le polonais domine, il y a aussi un peu de catalan, mais alors sud, sud.

7 Parfois elles/ils sont très pressés de vous voir déguerpir d'une cabine de soins. On est souvent à la limite du dérapage incontrôlé sur carrelage mouillé, à force de se dépêcher, tandis que le ou la GB est déjà parti en courant chercher le client suivant (i.e. hurler son nom dans le couloir d'attente ou quarante curistes poireautent pour 14 cabines).

8 Le personnel d'accueil est conforme à la charte tacite régnant en France dans les services dévolus à cette fonction : à peine aimable, plutôt aboyant. S'il fallait décerner une palme, c'est au personnel d'entretien (blouses fuchsia, logo "Entretien") : ce sont les plus gentilles, les plus serviables, les plus souriantes, forcément les plus mal payées.

9 Ville et gare de Montrond-les-Bains : voir focus.

10 Il est évident que trois semaines de délices attendent la curiste jour 1, et que dès demain il lui faudra prendre des notes pour ne rien oublier de raconter.

FOCUS : Ville et gare SNCF de Montrond-les-Bains (Loire)

La situation de Montrond dans "la plaine" au nord de Saint-Etienne n'est déjà pas, d'un point de vue topographique et paysager, paradisiaque. Maintenant, avec cette configuration, que faire ?

Les équipes municipales successives de Montrond doivent aller cul nu depuis au moins quarante, voire cinquante ans. Oui, parce qu'à force de baisser son pantalon, il arrive que c'est plus la peine de le remonter. Le symptôme suivant c'est la courbure de la colonne vertébrale. Vous me direz que pour les douleurs vertébrales ils peuvent se faire soigner sur place.

Voilà donc une commune qui, au fil des décennies, a tout accepté : le développement "en carré", à l'américaine, du territoire local entièrement mité par d'interminables lotissements avec leurs cortèges de rues aux noms imbéciles (rue des prairies, rue des vignes, rue des villas... Lotissement des Princes...) et des "zones d'activité" pléthoriques.

"Ils" ont laissé l'agriculture intensive cerner la ville (ne respirez plus !). Le développement autour du croisement de deux routes à grande circulation fait de Montrond un infernal manège routier, dont les poids-lourds ne sont point détournés.

Les ronds-points qu'on s'est laissé fourguer jusqu'à plus soif (pour une ville thermale, c'est ennuyeux) portent des noms aussi intéressants que "Rond-Point des clowns" avec statuaire illustrative (un maire et son premier adjoint ? En tout cas deux clowns en ciment coloré dans la masse, ou en pierre rose, ce qui serait plus grave) ou "Rond-Point de l'Arc-de-Triomphe", lequel arc, situé pile au milieu de l'ouvrage, mesure 2,20 m sous plafond et se surmonte d'un auvent en tuiles romanes.

Enfin, le rachat des thermes par un groupe privé, avec les "gains de productivité" monstrueux qui s'en sont suivis, signent l'abandon de toute gestion municipale et l'ignorance de ce que signifie "intérêt général".

La fermeture de la gare, autour de laquelle aucun développement urbain n'a pris jour (en face, au croisement de bâtiments industriels et de deux champs de betteraves, il existe un bar PMU semblant peu actif ; de fait, il faudrait être la proie d'une soif dévorante ou d'une addiction sévère au tiercé pour entrer là-dedans et déjà, pour y parvenir), parachève le tableau. Le parti pris du tout bagnole et l'absence de transports en commun, à l'exception du car ci-dessus cité qui ne fait que frôler la ville, n'est qu'un des dommages collatéraux.

Les "trottoirs" autour des thermes et jusqu'à la gare (à deux kilomètres), sont en fait des terrains vagues très larges, au cas où l'on aurait l'envie, peu probable, d'y gambader sur un sol constitué de pouzzolane grossière et de caillasse. On dirait que la Loire est montée jusque là au quaternaire et y a laissé des sédiments rocheux en vrac, ce qui est probable. Qu'on n'ait pas jugé utile d'aplanir et de revêtir ces "trottoirs" depuis l'aube de l'anthropocène en dit long sur l'intérêt que les édiles portent à la circulation pédestre de leurs concitoyen.ne.s, à compter que ceux-ci aient envie de marcher 30 minutes d'un bon pas pour rejoindre la gare.

La gare, définitivement fermée, se résume à un bâtiment hors d'usage sur le côté duquel un automate "TER" ne délivre rien du tout mais vous redemande inlassablement votre code de carte bancaire et continue de vous interroger, alors que vous l'avez tapé ad nauseam après avoir répondu à toutes les autres questions (d'où l'on part, où l'on veut aller, si on a une carte de réduction, est-ce qu'on voyage en période bleue, est-ce qu'on part aujourd'hui ou en 2022 et combien de billets veut-on). C'est un peu décevant d'accomplir ce petit parcours du combattant pour buter sur un automate buté qui vous demande un truc qu'il ne comprend pas.

Deux voies orientées Nord-Sud desservent Roanne d'un côté et Saint-Etienne de l'autre. Paysage plutôt bucolique, passage d'un train de fret à grande vitesse, abri et bancs.

De la gare hors service sort un type en gilet orange à qui l'on explique les déboires avec l'automate. Il dit d'en parler "aux contrôleurs" (ce pluriel paraît légèrement emphatique) qui "doivent être au courant". On oppose le risque d'amende, il en convient, il en convient... Et conseille de plaider l'absence d'équipement opérationnel.

Ou comment voyager gratuitement sur de petites lignes, la présence d'un contrôleur - a fortiori de plusieurs - ne s'étant pas manifestée pendant la demi-heure de trajet.

On s'en voudrait d'omettre qu'à côté de la porte de la gare de Montrond-les-Bains est apposée une petite plaque émaillée bleue du meilleur effet, de celles qu'on voit dans les rues bien nées où elles signalent les habitations bourgeoises, et qui vous apprend que cette gare est sise au 55, rue de l'Anzieux (ruisseau circumvoisin).

Ce signe désuet d'humanité qui semble assimiler la gare à une habitation, du moins à une adresse postale valide, ne manque pas d'humour dans ce morceau d'agglomération à l'abandon.

Il est beaucoup pardonné à la gare de Montrond-les-Bains, d'abord parce que c'est pas de sa faute, ensuite parce que, sur le quai, l'horloge, détraquée, a la trotteuse immobilisée, l'aiguille des minutes qui court le 100 m en 6"5 et celle des heures qui avance par secondes, ce qui fait qu'arrivée à 14 h 30 on peut voir arriver 17 h 55 le temps de s'asseoir sur le banc en face. Le train n'en arrive pas moins à l'heure dite, soit 14 h 40 heure SNCF, 22 h 57 heure locale.