C'est la déprime assurée, si l'on n'y prend garde

D'abord il fait nuit
Tiens, le trottoir est mouillé pourtant je n'ai pas vu pleuvoir
disons plutôt qu'il est gras

C'est l'époque où les vieilles tasses commencent à marcher petitement
peur du fémur qui casse, de la hanche qui vrille, du genou qui lâche
on sent venir les jours de neige mouillée, la gouillasse des villes
on avance les pieds bien horizontaux comme des lapins duracell en fin de piles

Les vitrines sont éclairées mais les magasins, déserts
la gent étudiante se rue vers les bistrots
de petites minettes habillées ridiculement court et léger se pressent
(car l'air pince un peu et à trois heures du mat'
quand elles devront vomir leurs coquetèles dans la rue
elles auront très, très froid et
demain on ira faire soigner son angine par môman)
les minettes se pressent, leurs vestes ouvertes volent
on sent qu'elles sont parties aussi pour l'aventure amoureuse
leurs plus jolis dessous dessous, sûrement
le maquillage un peu trop, les cheveux lissés, tout quoi

Cours Victor Hugo y a un restau pour viocques friqués
vous savez le genre prout-prout-ma-chère
ancien restau de prestige, n'en reste qu'une salle vide
une entrée accueillante avec son éclairage tamisé et son canapé
qui n'accueille plus personne on devine
toute une période agonique où les patrons recensaient avec leurs habitués
la nécrologie de la semaine, encore une table en moins à réserver
C'est à se pendre
Et maintenant le cuisinier doit être très âgé et travailler beaucoup le surgelé

Tiens je croise Nouche qui rigole parce que je regarde une vitrine d'opticien
de quoi donc on a parlé ? De pain industriel et de pain honnête
d'un boulanger qui est un pote à lui et donne du pain
Nouche me refile un prospectus pour Solidart42, expo-vente 10e édition
il y aura 3 ou 4 toiles de lui
Nouche peint et dessine j'aime mieux ses travaux à l'encre
que ses toiles colorées un peu psychédérélictisantes
mais toujours à voir et à dire tout de même
il écrit aussi de chouettes poèmes faudrait voir à lui faire une place
dans les Ecrissures un de ces jours

A Monop' les soixante-sept et demi bobos de la ville se donnent rendez-vous
devant les soupes estampillées bio qu'est-ce qu'on ne biote pas de nos jours
avec des parfums ridicules carotte mangue asperge kombucha
ou châtaigne aux algues
quelques BTS 2e année comptent au coin d'un rayon combien de binouzes
pour se binger presto y en a toujours un qui dit je prends la vodka

Décidément le vendredi soir s'alcoolise c'est pas nouveau

Quant à celleux qui rentrent du turbin ils sont un peu courbés
leur sac de courses est pesant, ils se dépêchent aussi
quarante huit heures pour dételer nettoyer les rouages graisser la machine
donner l'avoine aux chevaux recharger les batteries
plus qu'environ un millier de lundis à appréhender avant la retraite
toutes réformes confondues

les derniers trams avant longtemps se croisent et s'en vont vers les confins
là où les lumières deviennent rares
ils trimballent une fatigue générale