... à garder son calme et à laisser retomber la furia médiatique avant de parler - ou pas, la plupart du temps - de l'événement - ou du non événement - qui l'a déclenchée. Mais là, comme ça rancit peu à peu...
A propos de "l'homme et l'artiste"
Et faut-il séparer l'oeuvre, na ni, na na... Celle qui écrit ici a lu très jeune le "Voyage au bout de la nuit", qui n'est pas l'ouvrage le plus antisémite de Louis-Ferdinand Céline. A l'époque de cette lecture, elle n'avait pas idée de la personnalité de ce sinistre docteur raté. La découverte d'un ou deux autres bouquins du même, non terminés d'ailleurs, lui a souvent donné la nausée mais lui a permis de faire un point définitif sur Céline, son oeuvre, son humanisme etc. (humour).
La Taulière, en toute malhonnêteté intellectuelle et désaccord avec ses convictions, a écouté une ou deux fois le concert de Noir Désir de 2003 (elle l'a écouté bien après la condamnation de Cantat). S'agissant du chanteur, entre sa peine de prison plutôt légère (mais qu'on s'en satisfasse ou non, l'affaire a été jugée), et l'acharnement avec lequel il lui a été interdit d'accéder de nouveau à une scène, nous avons considéré qu'écouter à part nous un concert du groupe ND et pas seulement de son chanteur, sans en faire la promotion d'ailleurs, ne constituait pas une entorse insoutenable à nos valeurs.
Ce concert a d'ailleurs été écouté avec une émotion relative non pas tant au climat de l'événement (un concert particulièrement successful) mais surtout à l'assassinat de Marie Trintignant (le concert a eu lieu juste avant le départ de Cantat pour la Lituanie), et une foule de questions sans réponses sur ce qui fait qu'un chanteur de rock devient un meurtrier, la certitude enfin que ça n'a pas été une transformation subite et inexplicable mais l'aboutissement d'un processus dans lequel Bertrand Cantat n'a cessé d'exercer la violence sous différentes formes sur les femmes de sa vie. Et donc, on l'a écouté, on a réfléchi, on a retourné ces douloureuses interrogations, et puis on a cessé de l'écouter.
Irions-nous voir le film de Polanski ? Certes pas. Dans l'affaire Trintignant / Cantat, encore une fois, ce dernier a été condamné, il a purgé sa peine et a fait l'objet d'une double peine. Cependant, sans qu'il soit besoin de lui interdire quoi que ce soit, il ne me viendrait pas à l'idée de le voir sur scène. C'est une posture personnelle et politique : je ne vais pas payer pour voir un assassin de femme. Au passage, il n'est besoin de nulle pression pour prendre cette décision. Morale individuelle suffit.
Dans le cas du cinéaste, le refus est dû non seulement au fait qu'il a bel et bien suborné une adolescente pour la violer, mais que depuis des dizaines d'années, il se débrouille - avec son fric, avec ses relations - pour échapper à la justice dans une douzaine d'affaires de viols présumés, le plus souvent à caractère pédophile, et a été condamné pour ces mêmes faits au moins une fois.
Or - et c'est là selon nous ce qui justifie une interdiction absolue de regarder ce film - voilà un cinéaste qui ne craint pas, pour continuer de se poser en victime (une ligne bien classique, qu'il suit depuis le début des accusations), d'en appeler à une affaire d'antisémitisme patent. Dès lors, il n'est pas difficile d'additionner 2 et 2.
Polanski, enfant juif victime des nazis et survivant du ghetto de Cracovie, Polanski, privé de son épouse dans des conditions horribles, est certainement un homme marqué, et durement. Pour autant, il serait anormal de l'absoudre de la commission d'actes violents et de viols répétés sur de très jeunes filles, voire des enfants (9 ans pour la plus jeune de ses victimes), d'actes commis impunément grâce au pouvoir qu'il exerçait sur elles, au moyen de son fric, de son entregent, de sa position dominante (la transaction officialisée par les juges en 1977 à propos de l'affaire pour laquelle il a été condamné, est aberrante).
Or, en convoquant la mémoire d'Alfred Dreyfus, Polanski ne craint pas d'imager ses propres procès avec celui, indigne, du militaire français et juif traité avec la dernière injustice et le plus virulent antisémitisme. Et bien sûr, Polanski intitule son film "J'accuse". Il a osé. Du coup, indigne, c'est lui qui l'est.
On ne va pas perdre de temps à évoquer la quantité de personnes - et d'hommes, en particulier - qui ont connu des destins tout aussi tragiques que le sien, voire davantage, et qui sont restés des personnes humaines dignes, respectueuses de leur prochain.
Mais ce qui est particulièrement nauséabond, pour le coup, c'est cette solidarité puante d'artistes français au nom de quoi, on se le demande, avec ce violeur impuni qui a l'indignité d'en appeler à Dreyfus. Si j'étais descendante de Dreyfus, je serais sacrément en colère. A noter que la palme du courage revient à Jean Dujardin, pour qui l'argent n'a pas d'odeur et qui poursuit une carrière très réussie "d'apolitique", au point de refuser de faire la promo du film non par morale, mais par peur qu'on l'interroge sur Polanski... Un à-côté qui n'en est pas tout à fait un, Dujardin ayant accepté (comme les autres acteurs) de tourner avec Polanski.
Si l'on songe que Bertrand Cantat s'est vu signifier par les juges, associée à sa liberté conditionnelle, l'interdiction - justifiée - d'évoquer Marie Trintignant ou quoi que ce soit relatif à cette affaire dans ses productions artistiques, on reste perplexe devant l'audace de Polanski d'interférer dans ses affaires en cours en criant à l'antisémitisme.
En signant ce film aux fins de plaidoyer personnel, Polanski n'aboutit à nous convaincre que d'une chose : c'est que, dans son cas au moins, l'homme et l'oeuvre ne font qu'un. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître.
En termes de dégâts collatéraux, il est probable que les antisémites de tout poil vont en appeler au "lobby juif" et autres globalisations incultes pour stigmatiser Polanski et celleux qui l'ont soutenu.
Enfin, occasion de dire ici que la question "doit-on confondre l'artiste et l'homme" ne nous semble qu'une triste facétie. Bien sûr qu'on doit. Jusqu'à nouvel ordre, ils ne sont pas deux et distincts.
Coda : j'ai entendu sur France Inter qualifier le livre de Nabokov "Lolita" de chef-d'oeuvre. No comment.
Finir sur une note légère
Ecouté attentivement sur France Culture aujourd'hui ("Le tour du monde des idées"), Barbara Loyer (politologue spécialiste de l'Espagne et enseignante et chercheure en géopolitique à l'Université de Paris-VIII selon le site de F-Cult), nous expliquer le pourquoi du comment de la question catalane en Espagne.
A l'issue de son intervention, proférée d'une voix pressée et truffée de lapsus regrettables ("catalans" au lieu "d'andalous" ou l'inverse, par exemple), la Taulière est restée non seulement aussi ignorante qu'avant, mais carrément emplie de la plus inextricable confusion quant aux indépendantistes, catalanistes, socialistes confédérés et autres ouvriers catalans.
Ou comment tricoter du jus de boudin en voulant faire de la pédagogie. Vous remarquerez que la Taulière ici ne fait pas la part de sa propres incapacité à comprendre. On a sa fierté.
Chère Taulière
preuve est faite avec ce texte brillantissime de clarté que nous approuvons totalement mme K et moi-même, puisque j'ai eu grand plaisir å le lui lire, qu'un petit matelas de colère aide à la luciditė et au bon sens.
Bravo.
Grand merci à Mr & Mrs K. d'avoir apprécié ce billet, rédigé avec trop de hâte (je viens d'en corriger quelques phrases et mots fautifs). Guillaume Meurice, sur France Inter, a dit la même chose mais brièvement et avec son brio habituel : https://www.youtube.com/watch?v=skO... Si je l'avais écouté avant je n'aurais peut-être pas pris la peine d'écrire :)
Pas grave, je ne l'ėcoute pas, donc ça valait le coup ici ????
Carrément ! Du bon Meurice, sans concessions, qui a amené Charline Vanhoenacker à dire qu'elle allait envoyer son CV à la RTBF car elle allait pas tarder à chercher du boulot !
Ah, non ! pas ça ! J'ai lu ces lignes hier, j'avais un peu à dire, j'ai médité ce sur quoi je n'étais pas d'accord, et alors que je rédigeais mon commentaire dûment muri, j'ai perdu le texte limpide qui sortait (en vérifiant l'orthographe d'un mot figurez-vous, je n'ai pas ouvert de nouvel onglet)
Merdum merdum. C'est cuit pour ce soir.
"Ce qui est cuit pour ce soir peut être re-cuisiné demain" ! Proverbe azéri entendu à Bakou, hi hi !
Ca doit être la saison qui veut ça, la période des questions impossibles. Euh, comme vous êtes fâchée, je n'ose pas trop l'ouvrir, ça intimide... Mais quand même.
Séparer l'homme de l'œuvre, c'est de la dissection, ça se fait pas. Après 24 h de réflexion (j'ai lu votre billet hier) ce que je peux dire c'est que vous m'avez fait un peu changer d'avis sur le cas Nabokov , hier donc je tenais précisément Lolita comme un grand roman (je l’ai lu il y plus de 30 ans). Le réduire à son sujet me paraissait totalement injuste . Plus aujourd’hui.
Noir Dèz je l'ai écouté à mort (si je peux m'exprimer ainsi) avant le drame, plus après. Plus maintenant non plus, l’histoire l’a suicidé. Au moment, je lui accordais les circonstances atténuantes alors que paradoxalement je prenais conscience dans ma propre vie que ce genre d'homme existait. Mais la famille Trintignant m'agaçait tellement.
Céline, je botte en touche, je n'ai jamais accroché au style, seule raison de le lire.
Idem pour Polanski dont je connais moins d'un tiers de la production cinématographique. J'en sais un peu plus sur ses agissements et ça me suffit.
On ne va pas rétablir la peine de mort ni re-lancer des autodafés ou bien encore la censure.
Alors quoi ? Boycotter, oui, on le peut.
Réfléchir encore et encore à comment on peut se débarrasser de ce poison insidieux de la banalisation et de la réserve dispensé par les esprits les plus brillants quand ils sont invités à s'exprimer (qu’ils oeuvrent ou pas). Cette détestable posture ennuyée (de plus en plus ennuyée d’ailleurs): on ne s’immisce pas , on se tient coi, chacun chez soi et pour le fond que c’est une affaire de femmes. Un peu comme les règles.
Merci pour cette piqûre de rappel Taulière.
PS : j’ai retrouvé ma prose en éteignant mon ordi, miraculeusement la page est ré-apparue ;)
Eh ben, vrai, ç'aurait été dommage que ces lignes se perdent. Rien à ajouter, sinon que j'aurais pu les écrire à quelques détails conjoncturels près, et que vous me donnez ici chère Espiguette une leçon de concision (je suis très preneuse, compte tenu de mon infirmité logorrhéique).
J'ai vu peu de Polanski qui ne m'ont pas laissé de souvenirs impérissables, souvent une sensation de malaise mais qui tenait, je crois, davantage au fait que, après le drame de l'assassinat de Sharon Tate, il "écrivait torturé". Rosemary's baby m'a, en revanche, laissé une impression très négative dans la façon dont il place son héroïne en posture totalement passive, voire désemparée, comme si cette femme était dépourvue de cerveau. Révélateur déjà !