Ici en Armeville est née T3 nouvelle config', rejetonne monstrueuse d'un réseau-mère par ailleurs pas trop mal organisé et dont la paternité, douteuse, pourrait être attribuée à quelques édiles au premier chef desquels... Hum.

Cependant, avant de râler, la Taulière, qui passe beaucoup de temps dans les transports en commun et médite, depuis quelques années, l'envoi d'un petit bilan de sa fabrication à qui de droit (c'est en cours de gestation, car moi aussi je sais accoucher), la Taulière donc, a pris ce matin la ligne de tram T3 nouvelle configuration qui, laissez-moi vous le dire, présente de nombreux avantages :

1 Elle bénéficie des "rames neuves"

La compagnie de transport locale (dont le principal administrateur, faut-il le rappeler, est le maire de la commune et président de la Métropole attenante - 400 000 âmes à la louche) a fait, ces deux dernières années, une pub d'enfer sur l'arrivée de ces nouvelles rames - en effet plus confortables que les anciennes, des trapanelles hors d'âge qui peinent à contenir les usagers qu'on devrait bien écrire, comme Gary dans "Gros-Câlin", des usagés et dont le confort reste proche de ce qu'on pouvait offrir de mieux vers 1900.

Las, les rames neuves ont souvent couleur d'Arlésienne et l'on ne connaît pas leur nombre, qui, restons honnêtes, semble avoir augmenté légèrement ces jours-ci mais reste symbolique.

Enfin, T3 oblige, nous voici en route, le derrière bien calé dans les sièges, intelligemment conçus, de ces nouvelles rames, où une personne grosse peut s'installer sans éprouver ce sentiment désagréable d'être de trop sur la planète.

2 Ces rames sont, sur une bonne partie du parcours, vides

C'est ainsi qu'à 8 h 10 ce matin, la Taulière, qui aurait pu occuper 4 sièges et s'y coucher si la fantaisie l'en avait prise, a vu défiler derrière les vitres un paysage morne et désolé : celui du "Technopôle", du "Zénith" (la salle de spectacles où l'on recycle éternellement Daniel Guichard, Mylène Farmer et les conférences sur le "bien vivre au-delà de 70 ans"), d'une Comédie exilée en ces contrées désertes (alors qu'avant elle était fièrement plantée, depuis sa création par Jeanne Laurent et Jean Dasté, en plein coeur de la ville), de quelques axes routiers du plus bel effet et de quelques boîtes dont on se demande bien ce que l'on y fabrique car leurs parkings sont à moitié vides. Du chômeur, sans doute.

A peine, à chaque station, si descendait - mais jamais ne montait - une seule personne, qui a peut-être droit au titre d'Employée du Siècle en détenant l'unique CDI sur 3000 m2 à la ronde.

Il ressort de ce circuit au milieu de nulle part que le tram est désert. Ce n'est pas sans une certaine tristesse que la Taulière y a voyagé, déroutée (c'est le cas de le dire) comme si le tram était en chemin vers son dépôt et qu'on y eût oublié une passagère endormie.

3 La T3 "nouvelle config" passe souvent, et selon un parcours très original

Il est certain que pour desservir une partie de la ville qui se caractérise par un non-peuplement notoire, par l'abondance d'infrastructures routières encombrantes (pour qui ne roule pas en bagnole), de parkings géants et de friches, il était urgent de cadencer cette ligne de manière à ne laisser personne trop longtemps sur les quais - eux aussi déserts.

De surcroît, son parcours est, quelque part, distrayant car comment ne pas sourire, voire éclater d'un rire certes déplacé (c'est encore le cas de le dire) mais qui, dans un tram vide, ne porte pas à conséquence, en constatant que les arrêts de tram se situent loin de tout ?

Loin, relativement à la géographie mentale locale, peut-être pas, au fait. Car j'ai rarement vu habitants d'une ville arpenter aussi vigoureusement le pavé en tous sens, nonobstant le relief accidenté et les pentes raffarinesques de certaines rues, sans préjudice de distances qui feraient hurler un Parisien ou un Lyonnais habitués à être desservis au pied de leur immeuble.

Mais enfin, l'on est en droit d'attendre des élus d'une municipalité qu'ils fassent état d'un rien d'anticipation, de logique.

Comment donc a-t-on pu planter des stations (très clairsemées, au demeurant) systématiquement loin des rares ensembles d'habitation, à des centaines de mètres des lieux où l'on pourrait vouloir se rendre, pour privilégier des spots aussi souriants qu'un coin de rue contenant dix habitants, pas le moindre commerce et surplombé par une voie ferrée au-dessus d'un talus empierré, ou le carrefour de trois larges avenues nécessitant au piéton sorti du tram un gymkhana au milieu de feux rouges désespérément longs (priorité à la bagnole), de détours pour aller chercher le passage suivant et faire ainsi trois cents mètres pour rien au milieu des ronds-points et des carrefours ?

Ainsi donc, le "loin" est relatif, je ne vous apprends rien. Et j'ai plaint, ce matin, un gars qui ne bénéficiait pas de ses deux jambes et qui s'en est parti béquiller au travers de ce paysage lunaire pour aller je ne sais où (j'espère que lui le savait).

Et je me suis demandé à qui, à quoi pensaient ceux qui ont tracé ce parcours inutile, coûteux, visiblement fondé sur l'espoir (j'espère que ce n'est pas une certitude chez eux) d'une "reprise" des affaires et d'une pérennité de l'emploi ici, alors que, de façon tristement éclatante, tout se déglingue à la vitesse V partout en France (et ailleurs) et que surtout (car la Taulière est d'un naturel farouchement optimiste) d'autres modèles économiques se profilent à tout va, d'une vie professionnelle choisie dans des lieux choisis qui ne seront certes pas ces ensembles sans âme. C'est à croire que les élus n'écoutent pas la radio, ne lisent pas les journaux, bref, ne s'informent que chez Pernaut.

Alors que (chiffre donné par quelqu'un de la DIRECCTE - voyez que je prends mes sources aux meilleurs robinets) 20 % - vingt pour cent ! Ce n'est pas rien - de l'emploi dans notre ville repose sur l'économie sociale et solidaire... Et que si cette soupape, rudement et constamment attaquée par les coups de boutoir du capitalisme macronien, venait à claquer, eh bien je vous en foutrais, moi, des trams vides desservant des déserts économiques et humains... Et que dans l'autre cas, si cette économie-là fait des petits et s'oriente ailleurs que dans les déserts mégalo-urbains, je ne donne pas cher des rails de cette extension de ligne que personnellement, en mettant de côté la gabegie et l'impact écologique, je verrais avec plaisir s'enherber de linaire, coquelicots et autres armoises.

Avec STEEL, le giga centre commercial (pardon : pôle économique et de loisirs, ha ha, je me tords) planté à une entrée de ville qui n'en demandait pas tant et en état d'échec annoncé, avec cette reconfiguration de ligne de tram sans ancrage dans la réalité urbaine d'ici, on atteint des sommets de gestion municipale avisée.

Il est vrai qu'il est difficile d'attendre de l'intelligence de quelqu'un qui, pour tout bagage, a étudié de courtes années dans une école de commerce où des profs rancis servaient, dans les années 90, les mêmes cours qu'ils avaient peaufinés à la fin des années 70, avec des certitudes périmées et un appétit certain pour le sport consistant à foncer dans le mur en klaxonnant.

Faut-il préciser que je brûle de pouvoir écrire, d'ici six mois, un billet correctif où je me confondrai en excuses pour avoir si mal estimé la situation. Promis, j'irai à Canossa (par la T3).