Le genre de bouquin qui fait sourire, transpirer, se demander où cours-je et dans quel état j'erre !

Un mot sur le nom de l'auteur, qui m'a intriguée : Chevassus c'est typiquement un nom jurassien. Confirmé par les sites qui s'occupent de ça : ce nom dériverait de "cabassus" = forte tête, ce qui fait pléonasme avec Jurassien. Ne dit-on pas :
« Comtois, tête de bois » et « Comtois, rends-toi ! - Nenni, ma foi » ?

Dans le Jura (mais pas que), on traite les noms propres comme des noms communs (sans toutefois leur dénier le droit à la majuscule), c'est-à-dire qu'on les fait précéder d'un déterminant. Ainsi : « la Taulière, c'est la fille au Gaby et à la Georgette » ou : « je vais chez la Simone chercher un litre de lait. » J'ai aussi découvert qu'il y a une branche Chevassus qui s'appelle Chevassus-à-la-barbe. Et qu'un gars qui porte ce nom habite à St-Claude, bingo, en plein dans mon Haut-Jura quasi-natal (1) ! Et qu'il existe des "Chevassus-A-L'Antoine", etc. C'est joli, je trouve, ces noms remontant à l'époque où le sobriquet faisait patronyme, mais à condition, pour s'y retrouver, de le personnaliser en lui adjoignant ce qui le distinguait de ses frangins, cousins, voisins...

Revenons à cette histoire d'iceberg. Mais avant, pour une petite idée du parcours, de la bibliographie et des engagements de Nicolas CAL (j'abrège), allez ici...

Et aussi ici.

Si ça se trouve, vous savez déjà tout ça et la Taulière est en train de ramer à pied pour rejoindre le club des lecteurs de Nicolas CAL qu'elle était la seule à pas connaître !

Une question me taraude après avoir refermé ce réjouissant (enfin, ça dépend...) petit bouquin de 200 pages et des bricoles, compréhensible à peu près par toute une chacune, salutaire par son approche rigoureuse et l'humour de l'auteur : pourquoi diable ce livre porte-t-il, en 4e de couverture, la mention "Offert par votre libraire pour deux livres achetés, cet ouvrage ne peut être vendu séparément" ? Le bouquin et son auteur auraient-il fait un flop éditorial si retentissant qu'il fallait à tout prix le brader pour éviter les frais de pilon ? Seuil a-t-il accoutumé d'offrir ses auteurs en cadeau, style saladier Duralex pour un plein d'essence ?

Enfin, si vous voyez ce livret quéque part, n'hésitez pas. Vous y trouverez (on dirait un inventaire à la Prévert !) : un barrage sur la Méditerranée, la turbine à vapeur "à la chaleur de l'eau de mer", en passant par les steaks de pétrole, le ramassage de "nodules" de métaux précieux au fond des océans ou la transformation de l'Arctique en mer navigable (une opération qui, pour notre plus grand malheur, est en train de se réaliser sans effort grâce aux activités humaines), la propulsion à l'hydrogène toujours promise et jamais réalisée, l'aérotrain, etc.

Certains projets ne manquent pas de poésie, tel celui de « détourner les ouragans, transformer l'aride Texas en un vert éden, supprimer les brouillards givrants au-dessus des aéroports... » mais la plupart font froid dans le dos ; et l'on sait gré aux technocrates et scientifiques qui les ont imaginés de s'être plantés, bien qu'en deuxième approche ça fasse encore plus peur, car les lascars, qui n'ont pas eu la hauteur de vues d'un Vatel, ne se sont pas suicidés à l'issue de leurs échecs et plusieurs de ces projets sont toujours dans les cartons...

Pour en finir avec cette recension réjouissante, un mot du projet mégalomaniaque peut-être le plus stupéfiant de tous, le remorquage d'un iceberg pour apporter de l'eau douce à l'Arabie Saoudite ! Mohamed bin Faisal Al Saud, alias Mohamed al-Fayçal, prince et homme d'affaires saoudien, a conçu ce dessein d'après une idée née « dans les cénacles du Snow, Ice and Permafrost Research Establishment Corps of Engineers de l'US Army », ouf, comment faut-il vous l'éternuer : « Leur plan est simple : appareiller plein sud de Valparaiso ; repérer un iceberg dérivant depuis l'Antarctique ; le remorquer pour le lancer, comme un canard en plastique dans un bassin de fête foraine, dans le courant de Humboldt qui longe la côte Pacifique de l'Amérique du Sud ; puis l'amarrer, sa course achevée, au large d'une des régions désertiques du nord du Chili pour qu'il serve de réservoir d'eau douce. »

Bien que toutes les études aient démontré presque immédiatement l'impossibilité d'amener un iceberg à destination avant sa fonte complète, Mohamed al-Fayçal persiste et signe pour adapter le projet à sa région, lâchant des millions pour financer des recherches plus avancées.

Heureusement, le prince finit par retirer ses billes de cette entreprise insensée qui ne put se réaliser (à la vitesse de 1,5 km/h pendant 140 jours de voyage). Il faut dire qu'entre temps il a disparu des écrans, soupçonné de financer le terrorisme islamiste.

Tous icebergs mis à part, qu'il me soit permis ici de remercier Nicole-Marie qui m'a déposé, lors de sa dernière visite, quelques livres excellents dont celui-ci, qui m'a énormément réjouie.

Et voilà que ça me rappelle Jean Rolin (il n'est jamais loin, celui-là) qui, dans Chemins d'eau, évoque à propos du canal du Midi et de ses environs, le projet de modernisation dudit canal, qu'il traite de « vieille lune ». Dès 1889, « l'année de l'inauguration du canal de Suez, des imaginatifs se mirent à gamberger sur un projet de canal maritime qui permettrait aux navires de fort tonnage de passer de l'Atlantique dans la Méditerranée, et damerait ainsi le pion à Gibraltar. »

Des aménagements de grande envergure sont alors envisagés sur ce canal dont les écluses, trop courtes, ne pouvaient même pas accueillir les péniches Freycinet (automoteurs de 38 mètres 50, gabarit devenu réglementaire pour le fret en France).

Cependant « le projet s'enlise » et, vers 1910, l'ingénieur Louis Verstraët, un de « ses plus ardents zélateurs », se suicide, rejoignant le ci-dessus Vatel au rang des hommes qui ne survivent pas au déshonneur, vrai ou fantasmé, de leurs oeuvres professionnelles.

Le plus drôle reste à venir : l'affaire du canal des Deux-Mers, dont la société technique du même nom continuera de promouvoir l'idée, y compris par la construction d'un canal au plan d'eau de... 150 à 200 m de largeur (!) et aux rives uniformément bétonnées. Un genre de Panama miniature, qui a suscité les enthousiasmes jusqu'au déclin et à l'abandon de la navigation fluviale sur le canal du Midi.

Jean Rolin raconte qu'à ce projet avorté répondent d'autres inventions non moins farfelues comme celles de « l'ingénieur Mähl, dont il est difficile, en l'absence de données techniques suffisantes, de déterminer s'il s'agit d'un fou furieux ou d'un génie du bricolage titanesque » et qui proposera « en 1934 son propre projet de nautostrade : des écluses automotrices, montées sur 1200 roues de 1,80 mètre de diamètre, transportant à cent à l'heure des transatlantiques ou des porte-avions. Dans son ouvrage modestement intitulé "Restauration de la fortune économique de la France et de l'Europe", le projet de Mähl, pour être plus convaincant, est illustré d'un petit dessin maladroit d'un transatlantique à quatre cheminées passant en trombe, dans sa baignoire automobile, sous les remparts de Carcassonne. Cependant la guerre éclate sans qu'aient abouti ces projets grandioses, qui auraient peut-être permis à notre flotte de se saborder devant Castelnaudary plutôt que dans la rade de Toulon ».

La fin de ce paragraphe constitue un bon exemple de l'humour de Rolin qui rend sa lecture si agréable ; dans Chemins d'eau, c'est un festival.

====================================

(1) La Taulière, qui est née et a demeuré dans le Jura (côté plaine) jusqu'à l'âge de huit ans, a connu une "deuxième naissance" à sa province en retournant, adolescente, vivre précisément à Saint-Claude (Haut-Jura, côté montagne) pendant une année. C'est lors de ce deuxième séjour où, grâce à sa famille elle a beaucoup fréquenté les petits sommets, les sentiers, lacs, ruisseaux, cascade et forêts enneigées, qu'elle a pu appréhender le formidable patrimoine naturel de cette région, que se sont épanouies des sensations, impressions et images définitivement gravées en elle.