... Recette(s) pour rester calme, toujours, inlassablement imperturbable :

- essayer de limiter les contacts avec le monde des médias : radio, internet pour ce qui me concerne
- enfiler, avant la prise de contact, un caparaçon de composite à l'épreuve des balles, constitué d'humeur égale voire bonne, d'optimisme, de souvenir de la dernière fois qu'on a vu quelque chose de drôle, d'attendrissant, ou qu'on a reçu une bonne nouvelle
- aller chercher rapido l'info dont on a besoin en essayant de ne pas crouler sous l'avalanche d'images dedans, dehors, autour... - si le regard se laisse attraper, ben : tant pis, on passe.

Ca n'empêchera jamais de tomber sur une image ou un propos à la con, un.e de plus. Et d'avoir à encaisser le petit ou gros choc de l'image, du propos, de la pub, de la déclaration "politique", etc. qui, immanquablement, vont se présenter à vous lorsque vous prendrez connaissance de la "marche du monde", à supposer qu'il marche.

Puis se le prendre dans la gueule :

PECHE_A_LA_LIGNE.jpg, fév. 2020

Voici donc une image tirée d'une pub pour un jeu vidéo : Vikings, War of clans.

Se dire que ce n'est même pas un épiphénomène mais rien, rien qui vaille qu'on y jette un regard plus acéré qu'à une boîte de petits pois au rayon conserves de légumes.

Mais nada. Ca ne fonctionne pas. Alors on regarde cette nénette virtuelle engagée pour vendre le jeu. Voici donc une dame Viking qui pêche à la ligne.

On ne s'arrêtera pas à l'extrême pauvreté de l'arrière-plan, une sous-croûte que n'importe quel gribouillard de sous-préfecture en 1930 était capable de produire en mieux. On se concentrera sur la présence de cette image de femme. Et qu'est-ce qu'on nous vend ?

Que les Vikings, à l'heure de la guerre des clans, ont des gonzesses aux tifs décolorés par un savant balayage digne des meilleurs coiffeurs hollywoodiens. Que les Vikingues femelles, donc, se coiffent élégamment par une torsade qui tient avec rien. La force du cheveu, quoi. Et qu'elles se vêtent, les coquines, d'une combi-short taillée ras-la-touffe, dos nu, et qui marque le décolleté (on peut apercevoir sous l'aisselle de la donzelle le nichon droit moulé dans le tissu, une forme tout de même un peu osée pour une vêture Viking des années 300).

Enfin, cette riche icoconographie nous montre que pour pêcher à la ligne, la Vikingue est obligatoirement à plat-ventre, la posture la plus naturelle qui soit pour soutenir une canne à pêche (d'un modèle étonnamment évolué, avec moulinet car, c'est bien connu, les Vikings ont inventé le bateau en granit et la canne à moulinet pour la pêche au saumon). Donc, la Vikingue, tenant ferme (?) sa canne, s'est accoudée... sur une pierre, ce qui est bien la plus intelligente chose à faire lorsque vous êtes à plat-ventre dans l'herbe, que de chercher le seul caillou sur lequel vous faire bien mal en posant votre olécrâne.

Abrégeons : peu importe l'invraisemblance de cette gonzesse des années 90, sous-produit barbarellesque (son look date, d'ailleurs à peu près l'âge des salariés de la boîte qui conçoit ce truc) en train de pêcher, avec une canne pour gros format, un vairon. Peu importe sa décoloration californienne, sa jupette à franges Kiabi, peu importe qu'elle n'ait pas de bras gauche (je ne vais pas faire en plus du racisme anti-handicap). Peu importe que sa musculature en pâte-à-modeler soit celle d'une ado dont les loisirs se passent au centre commercial entre la boutique de parfumerie bas de gamme et une boîte à hamburgers.

Parce que cette silhouette couchée, en réalité, est faite exclusivement pour titiller les bistouquettes adolescentes au fond des boxers. On ne doit en retenir que le postérieur agressivement pointé au premier plan grâce à une cambrure 100 % naturelle : moi-même, chaque fois que je pêche à la ligne, je me couche d'abord à plat-ventre - puisque tout de même, la femme ne vaut qu'en train de bosser pour la tribu ou d'être couchée pour le plaisir du chef - et ensuite je me cambre au max pour bien mettre mon cul en évidence. C'est absolument tuant pour les lombaires, mais nous, les femmes, on est prêtes à tout, mais tout pour attirer le mâle. C'est même le postulat de base, pour les ados élevés au gonzo : on est toujours prêtes et on est bonnes.

La femme "bonne" est un deux-trous dont on peut faire absolument n'importe quoi : c'est un objet de fantasmes et dans ces fantasmes, c'est un objet malléable dans lequel on peut s'insérer de toutes les façons possibles, si possible en lui faisant un peu mal (aïe ça vient, maman), elle ne respire et sa voix n'est audible que pour nous encourager, hagne donc, oh la la, bingoooo !

Deux minutes.

Cette déclinaison de nous, femmes, comme objet sexuel - voire comme objet d'excitation sexuelle immédiate - et jetable - à l'heure de (bof, j'ai même pas envie d'énumérer à l'heure de quoi), perdure, têtue et même exponentielle, envers et contre tout. Ils vendent des jeux vidéos, des bagnoles, des boissons "énergisantes", des rôtis en promo, des lave-vaisselle et même des outils très virils (lesquels ne sont jamais conçus pour les femmes), des couches pour adultes, des desserts glacés et des sites de rencontre, toujours par ce même canal - si je puis dire.

Ainsi, chaque fois que j'ouvre le robinet du flux extérieur (radio, internet), il en coule ce fleuve nauséabond qui me ramène à ma condition d'objet priée de la fermer.

Chaque fois, je mets mon mouchoir par dessus et je trouve de bonnes raisons pour faire ça : cette image voulue appétissante et qui n'est que dégradante n'a aucune, mais aucune importance. C'est fait pour dix ados qui vont se procurer le jeu (ah, pardon : dix millions d'ados). L'impression rétinienne et la marque définitive que laissera cette image dans leur mental n'ont aucune importance, etc.

Parfois aussi, comme ce matin, je n'ai pas envie d'être de mauvaise foi avec moi-même : si, bien sûr que cet impact est mortifère (pour les femmes). Le lien est immédiat et à haute toxicité avec l'idée que la femme ne mérite ni respect ni compassion. Ceux qui se laissent avoir par ce type d'image se voient fabriquer, "à l'insu de leur plein gré", un logiciel à haute teneur en testostérone (pour ne rien dire de l'argumentaire de ce jeu : "war of clans", la guerre des clans, présentée comme modèle de vie ? Laissez-moi pleurer) qui leur permettra d'user des femmes de toutes les façons qu'il leur plaira et de leur mettre des pains dans la gueule si elles s'avisent de protester et même, tiens, de les fumer si elles continuent. Le 6 janvier 2020, on en était à 4 féminicides en France depuis le début de l'année (chiffres recoupés de deux sources).

Et derrière, j'entends déjà la longue et sirupeuse déclinaison de ceux qui en usent et qui les tuent symboliquement, l'air de rien, et qui disent qu'il ne faut pas tout prendre toujours au premier degré ; que ça représente peanuts, regarde tout de même l'évolution. Y a de vrais combats qui se mènent, je t'assure. Les mentalités changent, c'est indéniable.

Essayez de voir autour de vous, tiens - un indicateur banal, quotidien et de peu d'enjeu (ah oui ?) : combien d'hommes disent, au lieu d'employer son prénom : "ma femme" (ou pire, "ma wife", ce qui fait djeun' et moderne, comme on dit "un black" ou "un renoi" pour ne pas avoir l'air de dire "un noir") ou encore, comme un de mes proches : "mes femmes" - il inclut sa fille dans le compte. Sérieux. Est-ce qu'il est conscient (il me dira que c'est du second degré, mais à ce stade, ça pourrait être le 17e que ça ne changerait rien) de promouvoir en s'exprimant ainsi, l'idée de harem ou de possession collective d'individus ? au lieu d'utiliser le.s prénom.s, par exemple ?

On demandait récemment à un photographe de défilés de mode, sacrée exposition de femmes-objets et même de femmes-cintres s'il en fût (oui je sais, de quelques hommes aussi, moi non plus je ne suis pas raciste d'ailleurs j'ai un ami arabe), on demandait à ce type, donc, pourquoi les mannequins ne souriaient pas (plus, aurait dû préciser la questionneuse, puisque dans les années cinquante les mannequins souriaient tout à fait - ce qui ne rendait pas leur sort plus enviable d'ailleurs) : eh bien, c'est pour qu'on ne remarque pas une mannequin plus qu'une autre. Si elle sourit, explique le professionnel de la mode, elle attire l'attention - et la lumière - sur elle et sur ce qu'elle porte, ça favoriserait un modèle ou un créateur au détriment d'un autre.

On ne peut pas dire plus sereinement qu'un mannequin, c'est un objet, pire : un support.

On pourrait en parler pendant dix ans que ça ne ferait pas avancer l'humanité d'un poil sur ce sujet, malgré la purée médiatique permanente et les déclarations politiques à deux balles sur le sujet, qui coulent elles aussi à jet continu et qui ne sont que de la brouillasse sur une vitre pour éviter de voir ce qui se passe vraiment à l'intérieur.

Sinon, vous pouvez aller à un "concert" de Hatsune Miku.
Et réfléchir à ce qui se joue tandis qu'on continue à imager des corps de femme pour vendre de la merde, de la musak, de l'air du temps, du vide, du rien.