Aujourd'hui 21 février, ici, à 500 mètres d'altitude, les "épines blanches" et certains arbres (peut-être des prunelliers) sont en fleurs ; les saules ont sorti leurs feuilles. Marquer ce jour et s'en souvenir.

Tout à l'heure en regardant une ancienne vidéo de Poutine et Trump s'entre-congratulant pour les photographes - ce devait être en 2017 - je n'ai pu m'empêcher de remarquer combien, par comparaison avec son visiteur, M. Poutine était bien coiffé, coiffé "juste" selon son âge et son physique. Puis, la vidéo passant à une image actuelle, j'ai vu qu'il avait beaucoup grossi, lui qui était si fier de son "corps d'athlète", et blanchi, au point qu'il commence à ressembler à Boris Eltsine. Tout vieillit, même les dictateurs. Et puis tout passe, même les Trump ; mais les Poutine, vieillissant sous le harnois de leurs affaires sanglantes, de leurs guerres iniques et de leurs opposants "neutralisés", demeurent.

Cette semaine, dans un bus, j'ai souri puis me suis laissée attendrir par le spectacle de deux personnes âgées, assises l'une derrière l'autre et qui, montées au même arrêt non loin d'une grande surface, avaient acheté exactement le même article : une espèce d'ustensile ménager ou de jardin dont je n'ai pu élucider la fonction exacte, un truc emmanché d'un long manche vert rayé de blanc. Ces braves vieux le tenaient, cet outil, calé debout entre leurs jambes, le manche un peu incliné, qu'ils tenaient à deux mains, dépassant même la hauteur de leurs épaules. D'où je me tenais, j'ai eu soudain l'impression de voir deux galériens en train de ramer. Et si j'isolais leur coin sans regarder autour, l'illusion était parfaite : on aurait dit que c'étaient eux qui, en pagayant, faisaient avancer le bus.

Inlassablement passent dans le ciel, depuis bientôt trois mois, des trains entiers de nuages épais qui ne font que passer, justement, mais ne se résolvent jamais en pluie, à l'exception d'une insignifiante ondée en début de semaine. Chaque fois on se dit : ça y est, ça va tomber... Et puis non : leur marche inexorable se poursuit, toujours du sud-ouest vers le nord-est. Malgré le confort que procure cette situation, en particulier le fait que depuis décembre je n'ai pas eu à décrotter une seule fois mes chaussures de marche qui demeurent, lundi après lundi (*) rigoureusement propres et sèches, je ne peux m'empêcher de ressentir une sourde inquiétude, aussi bien devant le probable printemps chaud et sec qui se profile avec un jardin à arroser dès le mois de mars, qu'à l'idée de l'été à tous les coups caniculaire qui va s'ensuivre.

Et pourtant, un infime glissement se produit dans nos habitudes de pensée : la satisfaction coupable de n'avoir enduré aucun froid hivernal et de voir surgir à l'aube, chaque jour, un ciel imperturbable et turquoise sur lequel se découpent les cimes arrondies et brunes du Pilat. Un cultivateur de pommes bio me rassurait, sur le marché, en affirmant que l'automne avait été bien chargé en pluie et que les nappes étaient au plus haut. Ses pommiers étaient, eux aussi, en fleurs mais il ne manifestait pas davantage d'inquiétude à ce propos car, disait-il, ça fait trois ans qu'on a un hiver doux sans retour excessif du froid. C'est un très jeune cultivateur, il n'est évidemment pas atteint par la nostalgie morose de celles et ceux qui ont connu "de vraies saisons", marquées net.

A propos d'hiver, ce matin, j'ai participé (comme volontaire), au bénéfice d'un jeune chercheur en psycho, à une étude sur Alzheimer. Je m'empresse de rassurer mon lectorat : je fais partie du panel de sujets-témoins, non affectés donc (à l'heure qu'il est) par cette terrible maladie. Très intéressante batterie de tests qui au premier abord semblent basiques, voire nunuches, comme par exemple dire en quelle saison l'on est, et quel jour (je me suis rendu compte que j'avais presque oublié le mot "hiver"). Ou encore, se rappeler, tout au long du test, les 3 mots : fauteuil, tulipe, canard. Taper la table avec son crayon à l'unisson du testeur, ou à son inverse. Ou relier ensemble 5 chiffres et 5 lettres en les alternant et par ordre de grandeur, ou lever la main droite en même temps que le testeur, lui toucher les mains sans les serrer, etc.

Mais lorsqu'on imagine le panel de patients atteints (de formes légères, m'a-t-il dit) d'Alzheimer devant ces mêmes tests et pour peu qu'on ait eu, dans son entourage une personne atteinte de cette dégradation neuro-cérébrale, soudain on en mesure la difficulté et le désarroi de ces personnes. Evidemment, en rentrant je me suis jetée sur des sites évoquant toutes ces maladies et, en lisant la fiche consacrée à la "démence à corps de Lewy" (joli nom mais ne regardez pas, c'est horrible), je me suis à peu près persuadée que tel était mon destin. Alzheimer, Parkinson, Lewy... C'est le groupe de symptômes les plus contagieux pour l'imaginaire, que ceux des maladies neuro-dégénératives.

A midi, dans le tram qui me ramenait de l'hôpital, j'ai retrouvé mon étudiant en psycho en train de pianoter sur son ordinateur et, pendant tout notre trajet commun, au cours duquel nous avons échangé quelques mots avant qu'il se plonge dans son travail, je savais qu'il était en train d'exploiter les données engrangées ce matin au cours de mes innombrables cogitations. Etrange.

Comme beaucoup de vieux, je m'éveille souvent sur le coup des quatre heures du matin et j'ai pris l'habitude d'en profiter pour aérer ma chambre "en grand" pendant 5 minutes avant de repousser le battant et de retrouver la couette pour un deuxième sommeil, plus léger mais non moins réparateur. Pendant ces minutes que je passe à la fenêtre, scrutant la demi-obscurité, cherchant du nez le sens du vent ou la possible humidité de l'atmosphère (il y a parfois une légère rosée nocturne mais, la plupart du temps, l'air ne sent que la pierre sèche ou le bitume), depuis quelques jours j'entends des oiseaux chanter. C'est émouvant parce que, dans cette partie de la ville, très bruyante, il m'avait semblé, depuis quelques années, qu'il n'y avait plus d'oiseaux autres que quelques pigeons déplumés et des corneilles dont le chant n'est tout de même pas très mélodieux.

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(*) La Taulière a plus d'une fois raconté les balades du lundi avec ses potes âgés sous l'égide de "l'Office Stéphanois des Personnes Agées", un nom d'association qui ne vous raconte pas de balivernes à propos de seniors ou de silver economy. Eh bien, les balades continuent, les vieux (les vieilles, en l'occurrence), ne détellent pas, va falloir nous abattre.