Celleux que ça intéresse peuvent aller y voir de plus près ici, mais autant vous dire que ça me gave carrément d'avance ce genre de truc.

Analysons un peu la composition de ce conseil national (déjà l'adjectif m'hérisse) de la nouvelle (nouvel hérissage) résistance (et là je vous dis pas, si j'étais pas déjà hérissée...) :

- 2 noms à consonance arabe pour faire bien,
- peut-être 1 personne noire et encore, pas sûr,
- Aucune personne issue des quartiers défavorisés,
- Aucun jeune !!! C'est d'eux qu'il s'agit, nom de dieu, et ils ne sont pas là !
- que des universitaires, des "patrons" de "think tanks" comme :
- Alphandéry, homme du sérail politique, 98 ans !!!
- l'insubmersible Pablo Servigne dont je rappelle qu'il est affilié à l'institut Momentum d'Yves Cochet, machine politique s'il en fût, et qui s'autoproclame "spécialiste des questions de transition écologique" !
- des éditeurs, des enseignants, des philosophes, des gens de télé et de cinéma, etc. bref, que des travailleurs de la pensée, on dirait le conseil d'administration de Télérama !
- la moins gradée de la bande est infirmière et combien tu paries que dans leur machin, ce sera celle qui pourra le moins s'exprimer parce qu'elle aura pas le temps, son boulot d'abord, et ne pourra pas dégager le même temps que les autres pour plancher ?

Rien que des bobos parisiens ou peu s'en faut, en tout cas des représentants de la classe moyenne supérieure ou carrément supérieure.

J'en ai fini de faire confiance à ces gens-là ; ils ne sont pas légitimes à former un groupe destiné à parler au nom des pauvres, une majorité réduite au silence. J'avais écrit "Français pauvres" mais je rectifie : pauvres tout court parce qu'une grande partie d'entre eux, pur hasard bien sûr, n'est pas de nationalité française, puisqu'il faut une nationalité.

Le jour où ces intellos comprendront que de l'autre côté du périph parisien et dans la province profonde il y a des gens qui pensent aussi, le jour où ces gens comprendront qu'ils ne sont pas chargés de penser pour eux, surtout pour ces personnes dont ils ne connaissent pas le premier début de l'embryon des problèmes quotidiens...

Le jour où ils se mêleront à cette multitude non pour créer je ne sais quelle officine superfétatoire - sachant qu'en plus ils ont déjà élaboré et bouclé le truc qu'ils vont présenter le 27 mai (avec qui, dans quel type de rencontres, avec quelle collégialité, représentant qui ?), mais en tant que simples anonymes, et qu'ils sauront fermer leur gueule aiguisée pour laisser la parole à ceux qui la manient difficilement mais ont des choses à dire...

Bref, ce jour-là, je leur ferai confiance.

Et je regrette qu'il suffise d'agiter un chiffon rouge et vert, de prononcer les mots magiques "conseil - national - résistance" qui fait lever tous les bons petits soldats de l'autre majorité silencieuse des plus de 70 piges - dont je fais partie, alors que parmi nous peu auraient été capables (pas moi, en tout cas) du courage des lycéens qui ont foncé dans la Résistance avec un grand R quand il s'agissait de se faire canarder au coin d'une rue par un détachement SS...

Non, je regrette, mais cette bande-là ne m'inspire aucun, mais aucun espoir. L'espoir, s'il existe, n'est pas dans ces signatures qu'on voit dans tous les médias, qui trustent les ondes des grandes émissions radio et télé, et qui jamais, jamais, ne vont se ressourcer là où ça se passe.

Qu'ils viennent faire la queue au milieu des resto du coeur, et qu'ils se démerdent avec la vingtaine d'euros hebdomadaires de ces gens, qu'ils aient à choisir entre soigner leurs dents ou réparer la bagnole, bref, qu'ils viennent y voir d'un peu près, et sur la durée, pas pour une simple visite de charité. Après, ils pourront parler d'effondrement et de réchauffement climatique.

La réalité des classes sociales, les discriminations racialistes, géographiques, la ségrégation selon les moyens intellectuels procurés par l'argent, l'invisibilité totale des gens qui n'ont pas les bons papiers, la bonne couleur, le droit de vote, la possibilité de s'exprimer, les mots pour le dire, la capacité d'écrire, ça devient, pour moi, de plus en plus indécent.

Je serai donc, définitivement et sans regret, du côté des sans-dents (bien qu'on s'apprête à m'en confectionner une toute neuve, figurez-vous, ce qui me place de facto dans les rangs des privilégiés).

N'empêche : mon passé de mère de famille seule, s'échinant avec deux boulots (un la semaine, un le week-end) pour ne même pas arriver à payer des vacances à mes trois gamines, la farandole des loyers en retard, des banques qui vous prélèvent des frais 5 fois plus importants que le montant du dépassement de votre découvert, le mépris des assistantes sociales qui vous expliquent que l'argent dans l'enveloppe, c'est bien pour payer le loyer, hein ("non, non, je vais le boire de ce pas"), la lente remontée à la force du poignet et au sacrifice de beaucoup d'autres choses, les heures où je n'étais pas avec mes enfants, les soucis permanents qui me rongeaient et me rendaient peu joyeuse pour elles, la tardive découverte d'un salaire régulier et garanti, à l'âge de 45 ans après la réussite à un concours et des années de difficile formation, voyez-vous, c'est pas si loin, et ça me sert de bagage intellectuel. Grandement. Et définitivement. Profitez-en, c'est pas tous les jours que je lève le voile.

C'étaient, ces années, une sorte d'université particulière, qui me confère un master en économie domestique et en exercice du choix (ceci ou cela, on ne peut pas avoir les deux). Ca me donne aussi une proximité incroyable avec tou.te.s celleux qui vivent ça au quotidien maintenant, dans un monde cent fois plus désespérant que celui que j'ai connu, et qui n'ont peut-être pas rencontré les chances que j'ai eues (et encore, par dessus le reste, ai-je la "bonne couleur") : proches et ami.e.s secourables, opportunités professionnelles, tout ce qui m'a maintenu la tête hors de l'eau et permis d'en sortir et qui n'est pas, non plus, à la portée de tout le monde. Et en particulier, avec les citoyen.ne.s de seconde zone que notre pays post-colonial mais définitivement colonial tout de même, héberge - quand encore il le fait.

Alors pour la nouvelle résistance, vous repasserez : avant de lancer de nouveaux paquebots de croisière de la pensée, allez donc demander à ceux qui sont sur des rafiots en pleine mer démontée s'ils ne préfèreraient pas, dans un premier temps, juste un bateau étanche pour rejoindre la sécurité de la rive et comment ils entendent, elleux, résister.

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