... d'une baguette plus ou moins bien intentionnée :


Tous les véhicules de transport en commun : bus, trams, portent sur leur bandeau lumineux une seule et unique destination : "MASQUE OBLIGATOIRE". Ce n'est pas là-bas que je veux aller !! La fâcheuse impression se dissipe lorsqu'on monte dans le bus et qu'il prend le chemin habituel, ouf.

Peut-être le seul luxe qui nous est offert, en ces temps covidés, ce sont ces transports où un siège sur deux est barré et où l'on s'assoit en tout confort, sans gêne ni en face, ni à côté. L'impression ressentie n'est pour autant pas forcément heureuse, il y a une curieuse nostalgie dans l'air de ces rames bondées où l'on s'écrase mais ici, souvent, dans une relative bonne humeur.

Dans le centre, des magasins qui montraient depuis mars une vitrine figée, devant laquelle on passait en détaillant toujours les mêmes articles, affichent maintenant une vacuité totale et définitive, assortie de l'affiche habituelle "bail à céder", ou "à vendre". Drole d'étalagiste, qui ne s'est pas donné beaucoup de mal ! La morosité immobilière est au rendez-vous.

Pour la "balade tranquille du lundi" animée par la Taulière et qui a repris ce 18 mai, je retrouve mes "baladeuses" pas si tranquilles que ça : la moitié de l'effectif seulement est au départ et elles ont eu beaucoup de mal à sortir de l'hibernation. L'une d'entre elles est très vêtue et masquée, porte des gants. Il fait 27 degrés sur la place de l'Hôtel de ville où nous attendons le bus et nous ne passons pas inaperçues, avec cette dame au look polaire, au milieu des promeneurs en tee-shirt et pantacourts.

Dans les rues, c'est d'une tristesse sans nom, toutes ces personnes masquées. Ici, on peut marcher sans difficultés à dix mètres les un.e.s des autres, sur des trottoirs qui ne sont pas surpeuplés. Pourquoi toutes ces personnes, dans un air bien circulant, avec un petit vent qui garantit la dispersion rapide d'Eventuelles Lourdes Gouttelettes De COVID19 Qui Stagneraient dans l'Atmosphère Et S'attraperaient Juste En Parlant, pourquoi toutes ces personnes éprouvent-elles le besoin de cacher le bas de leur visage ? (Les mêmes, dans une bonne proportion, qui vilipendent depuis quelques années les "femmes voilées").

Une amie me téléphone hier soir et nous parlons longuement de ce "masque obligatoire" contre lequel elle est entrée en rébellion ouverte. Ma religion, si j'ose dire, n'est pas faite en la matière. Je continue d'entrer dans les commerces et autres lieux publics équipée de mon masque fabriqué à la maison (modèle AFNOR 3 plis, deux couches coton et une intermédiaire en polyester, très chic, ourlé avec un biais imprimé noir jaune et blanc) mais je l'ôte dès que je retourne à l'air libre. Sensation d'apnée répétée. Suite à notre conversation, je sens que j'évolue lentement vers une libération du visage masqué sauf obligation sous contrainte.

Une partie de l'explication aux visages masqués de la rue m'a été fournie par une de mes "baladeuses" : il s'agit majoritairement de gens disposant du modèle "jetable" (masque bleu). Le motif de cette aberrante catastrophe écologique tient, pour ce qui concerne notre ville, à ce que le maire, qui tambourine et trompette tant et plus depuis deux mois, annonçant des masques lavables à disposition "de tous les Stéphanois", semble avoir du mal à réaliser sa prophétie car lesdits masques, promis sur le site de la ville en mars pour les seniors (annonce non suivie d'action et disparue de l'écran assez rapidement), puis à partir du 11 mai pour tous, puis du 18, m'ont été cette fois-ci notifiés par lettre "à partir du 30 mai". Avec un peu de chance, on les aura pour affronter l'épidémie de grippe hivernale.

Pendant ce temps, dans la commune voisine de La Ricamarie, le maire (coco, mais c'est sûrement un hasard) a fait déposer il y a déjà 3 semaines, dans les boîtes à lettres de tous les habitants, un nombre de masques lavables correspondant à la composition du foyer. C'est pas la panacée mais c'est toujours mieux que les rodomontades stériles de l'édile stéphanois.

Les gens n'ont donc à leur "disposition" (moyennant euros tout de même) que des masques à usage unique vendus par les grandes surfaces. Comme ils n'ont pas les moyens d'en changer toutes les 5 minutes, ils les gardent sur le visage entre deux épisodes transport ou boutique, en dépit du risque de légère asphyxie lorsqu'on marche avec ça sur le nez.

La cerise sur le gâteau - pire : le cerisier sur le toit de la pâtisserie, c'est la débauche de plastique occasionnée par cette mesure "sanitaire" : la consigne est d'enfermer le masque utilisé dans un sac poubelle qu'on jettera bien ficelé, des fois que la peste noire déborde des poubelles et nous grimpe le long des godasses... J'ai vu plusieurs personnes obéir à cette consigne invraisemblable de connerie et d'une irresponsabilité grave en termes de préservation d'une planète habitable (multipliez cette vision par quelques milliards, calculez le volume et la durabilité de cette pollution d'un nouveau genre).

Une de mes petites-filles, qui a repris le travail dès le 28 avril, me racontait que les masques qu'on leur avait fourni "ressemblaient à des couches Pampers". La vision de ces salarié.e.s affublés de couches-culottes pouvait faire rire dans un premier temps, mais sachant qu'elle bosse dans un atelier de réparation d'électroménager, le rire s'éteignait vite devant la compassion et la crainte que malgré ces "mesures-barrières" (le mot de barrière fait chaque fois surgir Vauban), elle n'expose sa santé, qui m'est très chère.

Ce matin sur France Culture, en dépit des questions imbéciles à lui adressées d'un ton inutilement ironique par l'insupportable Guillaume Erner, chef de la matinale-à-droite-toute, Patrick Bouchain, architecte inspiré et politiquement pas neutre, met à bas la surconsommation de masques et de "gel hydroalcoolique". Il est emporté, sincère, convaincant, c'est une respiration sans barrière, de l'écouter. En plus il a la colère rieuse : "du gel hydro-alcoolique dans les écoles ! Et la LOI EVIN, alors ??? Y a plus de savon ?"... Ou bien il fulmine : "distanciation... SO-CIA-LE !!!".

Pauvre Guillaume Erner. Parfois on a l'impression qu'il ne choisit pas toujours ses invités. Là, avec Patrick Bouchain, il était si manifestement en service commandé et tombé sur un os qu'on le plaignait presque. On le sent tellement plus à l'aise lorsque c'est Bruno Lemaire, l'invité de la matinale... Blague à part, heureusement que les radios du service public - en particulier France Culture - sont restées assez plurielles pour abriter aussi bien des nauséabonds que des vieux cons, de légers fantaisistes qui "ne s'engagent pas" ou de vrais journalistes militantes, je mets "journaliste" au féminin parce que ce sont majoritairement des femmes auxquelles je pense.

Obéir. Se conformer. Respecter. Ca fait du bien, via le téléphone des copines et la radio, d'entendre des voix qui s'insurgent.